Chroniques de la Cour

Le comité 255, des apprentis sorciers ?

d'Lëtzebuerger Land du 08.11.2019

Pourquoi la Slovaquie a-t-elle subi quatre échecs ? Pourquoi ses quatre candidats au poste de juges au Tribunal européen ont-ils été rejetés ? Que se cache-t-il derrière ces refus ? Les projecteurs sont braqués sur les activités du comité dit 255, lequel fait et défait les nominations de juges. Sa manie du secret risque de lui jouer des tours.

2016. la Slovaquie est tirée au sort avec onze autres États membres. Ils doivent nommer immédiatement un second juge au Tribunal européen, comme l’exige la fameuse réforme voulue par la Cour elle-même, en décembre 2015. Le gouvernement slovaque désigne une professeure de droit, Maria Patakyová. Comme tout candidat elle doit passer devant le comité prévu à l’article 255 du traité de Lisbonne pour évaluer « l’adéquation » des juges. Elle échoue. Un candidat refusé, cela arrive. Malte, par exemple, connaît. Les Slovaques envoient ensuite Radoslav Procházka, homme politique et juriste. Il a même été l’agent du gouvernement dans certaines affaires devant la Cour de justice. Refusé lui aussi... Le troisième candidat est Yvan Rumana. Juge depuis vingt ans, dont douze à la Cour suprême slovaque. L’intéressé y croit. Il déclare bien connaitre la Cour pour y avoir été référendaire. Le président de la Cour de justice Koen Lenaerts est aussi persuadé qu’il fera un très bon juge. Il le dit haut et fort. Mais Rumana est aussi recalé. Arrive le quatrième candidat Michal Kuceva fonctionnaire au greffe du la Cour des droits de l’Homme et celui-là ne fait pas non plus l’affaire.

Les rapports d’évaluation du comité sont secrets. Il y a quelques années, l’ONG espagnole Access Info Europe, épaulée par la Clinique du droit de l’école HEC et la New York University, avait porté plainte auprès de la Médiatrice européenne. Ils disaient que les juges étaient des personnages publics payés par le contribuable et le citoyen avait le droit de savoir pourquoi tel ou tel était choisi ou rejeté et ils réclamaient la publication des rapports d’évaluation. En vain. Rien n’a changé.

Le comité que préside un ancien juge à la Cour, Christiaan Timmermans, est composé de quelques magistrats nationaux, d’un professeur de droit, d’une ancienne juge au Tribunal européen et d’un ancien député européen. Leur rapport, publié après chaque audition est succinct. Quelques pages, un paragraphe dans lequel, en termes généraux, est indiquée la raison du rejet le candidat. Veronika Müller, la porte-parole du conseil judiciaire slovaque chargé de sélectionner le candidat présenté au gouvernement, après appel public à candidatures, s’en était plaint. « On n’a pas les critères, comment travailler ? », disait-elle en substance. Les raisons des rejets slovaques ont finalement transpiré. La première candidate ne connaissait pas la langue française. Pour le second, son manque d’intégrité morale pour cause de financement douteux lors d’une campagne électorale, a été déterminant. Yvan Rumana aurait eu droit à une appréciation du genre « sa connaissance du droit européen ne lui permettrait pas d’être immédiatement opérationnel ». Le dernier candidat n’était pas au point. Il faut toutefois en ajouter un cinquième, Jan Mazak. Son ombre plane sur cette affaire. Depuis son départ de la Cour où il était avocat général jusqu’en 2012, il n’a cessé de vouloir y revenir. A chaque appel à candidatures, il est là, et à chaque fois il est écarté. De l’avis général, il n’a aucune chance tant que le gouvernement actuel est au pouvoir. Le comité 255 lui garde-t-il une place au chaud en attendant un changement de gouvernement ? La Cour a bruissé de cette rumeur. Une information circule aussi : l’ancienne juge au tribunal Maria Eugenia Ribeiro, qui aurait gardé des contacts à la Cour, aurait une place prépondérante au sein du comité. Ses questions, pointilleuses pour les uns, mais justifiées pour les autres, seraient déterminantes dans l’évaluation des candidats. Certains d’entre eux se plaignent aussi de différence de traitement. Accusations non vérifiables, faute de transparence. Mais comme disait le ministre des Affaires étrangères slovaque après le quatrième refus : « Je ne peux pas croire qu’aucun de nos candidats ne vaille ceux qui sont devenus juges à la Cour ! »

Depuis septembre dernier, la Cour et le Tribunal se composent de 91 juges et avocats généraux (il manque un Slovaque deux Slovènes et un Britannique pour cause de Brexit). Les mandats de six ans sont renouvelables par moitié tous les trois ans, en années décalées pour chacune des deux juridictions. Des gouvernements ne se gênent pas. Un parti qui arrive au pouvoir éjecte souvent le juge nommé par le pouvoir précédent. Il y a aussi les démissions, les décès. Du travail pour le comité qui doit auditionner tous les nouveaux venus. Il vient d’ailleurs de refuser une candidate française, Catherine Pignon. De nombreux observateurs craignent qu’avec ses critères souvent trop vagues, son absence de transparence, et… l’intérêt accru des médias nationaux dans la nomination du personnel européen, le comité perde vite pied.

Dominique Seytre
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