Droit des actionnaires minoritaires

Obligation de prudence

d'Lëtzebuerger Land du 15.10.2009

En ce jour de célébration de ses 50 ans, Investas, l’asbl œuvrant pour la protection des droits des petits actionnaires, fêtera aussi une défaite. Jeudi matin, la Cour de Justice européenne déboutait la société Audiolux dans un arbitrage que lui avait demandé la Cour de cassation sur l’interprétation du droit des actionnaires : pouvait-on trouver dans le droit communautaire un principe d’égalité des actionnaires qui aurait servi en quelque sorte d’Ersatz à l’absence de dispositif de protection qui a prévalu pendant des années au Luxembourg ? Et qui a permis au groupe allemand Bertelsmann de s’offrir RTL Group, sans être obligé de lancer une OPA coûteuse (d'Land, 03.07.09) ? Comme l’avocate générale de la Cour le suggérait déjà cet été dans ses conclusions, les juges européens ont estimé que ce n’est pas parce qu’il y avait dans le droit dérivé (c’est-à-dire l’ensemble des règles contenues dans les actes pris par les institutions com­munautaires en application des traités, par exemple un code de conduite) des dispositions concernant l’égalité et la protection des actionnaires, qu’il fallait en déduire l’existence d’un principe général de droit communautaire. En outre, soulignent les juges dans leur arrêt, la portée des dispositions de deux directives (1977 et 1979) est « limitée à des situations bien déterminées », sans lien avec l’affaire RTL Group.

La directive du 21 avril 2004 sur les OPA n’indique « ni explicitement ni implicitement » que les règles instaurées par ce texte « procéderaient d’un principe général du droit communautaire » relatif à la protection des minoritaires, précise un communiqué du service de presse de la Cour. Si la directive, soulignent les juges, fait allusion aux principes généraux du droit communautaire, cette référence est étrangère « à un quelconque principe de traitement égal des actionnaires ».

« Si, lorsqu’un actionnaire acquiert ou renforce son contrôle dans une société, poursuit le communiqué, il était décidé d’accorder une protection particulière aux autres actionnaires, cela nécessiterait d’imposer une obligation à l’actionnaire dominant. Une telle décision présupposerait la pondération tant des intérêts des actionnaires minoritaires et de l’actionnaire dominant des conséquences considérables dans le domaine des acquisitions des entreprises. » Les juges européens se sont donc imposés, comme l’avocate générale avant eux, une obligation de prudence en signant cet arrêt Audiolux qui va renvoyer l’affaire devant la Cour de cassation de Luxembourg.

Il n’y a pas ainsi d’obligation particulière de Bertelsmann de racheter leurs titres aux actionnaires minoritaires, dont Audiolux. L’affaire va sans doute se régler à l’amiable par une opération de marché entre les parties, ce à quoi d’ailleurs le groupe allemand était déjà disposé fin 2007, avant de se rétracter, en raison de l’insécurité juridique de la loi de 2006 pesant sur les opérations de squeeze out

Charles Demoulin, associé chez Deminor, ne se dit pas surpris par la teneur de cet arrêt. C’est la suite de l’affaire qui l’inquiéte et notamment la manière dont va évoluer le droit luxembourgeois sur les retraits et les rachats obligatoires de titres (squeeze out et reverse squeeze out, selon la terminologie anglo-saxonne). Un projet de loi est actuellement pendant devant la Chambre des députés, qui vient subitement d’être ranimé par un avis du Conseil d’État. Est-ce un hasard ?

Lors de l’adoption de la loi OPA en mai 2006, le volet des rachats/retraits avait été laissé en friche, les députés se contentant, après le vote du texte, d’adopter une résolution invitant le gouvernement à légiférer plus tard sur ce point. Ce qu’il a fait en décembre 2008, après d’ailleurs que Bertelsmann se soit ravisé sur son intention de lancer une OPA sur le restant des actions RTL Group qu’il ne contrôlait pas encore. 

Le Conseil d’État considère que l’intégration des mécanismes de squeeze out et reverse squeeze out aurait toute sa place dans le texte de mai 2006 et en faciliterait aussi la « lisibilité ». Les Sages ont marqué leur intention de ne pas accorder leur dispense d’un second vote constitutionnel si n’était pas intégrée dans le texte de loi lui-même (et non pas dans un règlement grand-ducal) entre autres une référence à un juste prix, une clarification de l’étendue du contrôle par la CSSF et la possibilité pour les actionnaires de faire un recours en justice s’ils considéraient l’offre de rachat comme inférieure au juste prix. 

Véronique Poujol
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