Isabelle Marman

Livre en boîte

d'Lëtzebuerger Land du 10.12.2009

C’était au tour de Paul di Felice, enseignant-chercheur à l’Université du Luxembourg, critique, coordinateur du Mois européen de la photographie à Luxembourg et, last but not least, membre de l’Aica (Association internationale des critiques d’art) – section Luxembourg, d’inviter un artiste, jeune de réputation de préférence, à investir le Kiosk, ce petit lieu perdu dans le paysage urbain du centre ville. Son choix s’est porté sur Isabelle Marmann, l’artiste qui offrait ses cartes postales esquissées lors de Roundabout – Refreshing Art Rotonde en 2007, et plus pendant Elo. Inner exile – outer limits au Mudam en 2008, deux expositions mettant en avant la nouvelle garde artistique nationale. Ce choix, le curateur lui-même le qualifie de « gageure » dans son texte de présentation (cf. le dépliant du Kiosk, également disponible sur le site internet de l’Aica). Comment en effet prétendre de l’ostentatoire chez une artiste toute en délicatesse ? Comment réussir à attirer l’œil du passant – indispensable mission que chacun des hôtes du pavillon se doit d’accomplir – tout en restant fidèle à sa démarche intrinsèque ?

Le défi a été relevé avec beaucoup d’élégance par une Isabelle Marmann inspirée par la fonction première du lieu. Elle transfigure en livre le petit kiosque à journaux, ancien distributeur d’imprimés divers, avec titre frontispice, textes, illustrations et pages blanches qui se tournent d’elles-mêmes. Ce livre, elle en est la conceptrice mais pas l’auteure, l’artisan de la mise en page mais pas la graphiste. Les phrases qui le ponctuent, elle les a trouvées au fil de ses lectures. Les dessins qu’elle a choisis, elle les tire de son répertoire, patiemment constitué à partir de ce qu’elle trouve à droite et à gauche dans le foisonnement iconographique qui nous entoure… Des citations littéraires et graphiques donc, mais revendiquées comme telles, et surtout mises à sa sauce. Redessinées pour les unes et réécrites à la main pour les autres. Puis, tout se joue dans le rapport entre image et texte, cette étrange relation qui fait que l’emplacement ou la taille d’une police par rapport à une image rend le message véhiculé complètement différent.

Pour parler de son Kiosk, Isabelle Marmann tient à expliquer l’ABC de son fonctionnement artistique actuel, comme si Le vent picotait mes joues… n’était pas juste une œuvre, mais un élément parmi d’autres de toute une œuvre. « Je suis revenue vers le bidimensionnel et à des matériaux très traditionnels comme le papier, le pigment… J’aime la fragilité du papier, la délicatesse du trait de crayon. J’aime les voir évoluer entre eux, comment ils vont accrocher la lumière en tant que mélange optique. Je considère aujourd’hui que je m’étais beaucoup dispersée à la recherche d’un concept au détriment du travail de la matière » explique-t-elle.

Le livre qu’elle nous présente ici a une cohérence très personnelle. Inutile de chercher le fil d’un récit ou le lien qui existe entre telle illustration et telle phrase. Il n’y en a pas, ou plutôt il y en a plein, au « lecteur » de voir : il faut rêver entre les lignes, et se laisser emporter au gré de ses propres références. Inutile aussi de connaître la source exacte de la citation, l’affiche ou le film dont s’inspire le dessin, ou le livre duquel est extrait le passage calligraphié par l’artiste. Ce n’est pas ça qui importe.

Tout le travail minutieux de la jeune femme – la collecte d’abord, puis le nouveau rendu et le repositionnement des éléments écrits ou figurés qui constituent l’œuvre – converge vers l’ouverture de son propos. À partir, bien sûr, d’éléments qui lui sont chers, tel ce yogi dont la spiritualité l’attire tant sans qu’il ne devienne ici un porte-parole du bouddhisme. Ou ces phrases qui lui ont plu car, n’affirmant rien de précis, elles permettaient à l’esprit de s’échapper. Matière, texte et image finissent par être complètement liés et forment un tout sans contrainte aucune pour le spectateur qui prend le temps de feuilleter Le vent picotait mes joues. Et le choix de représenter une tortue ou un faon s’apparente à celui des coloris ou du support : pas d’autre raison précise que le sens de la composition d’Isabelle Marmann.

Une œuvre esthétique chargée de poésie, mêlant dessin à la ligne et phrases sibyllines : on pense immédiatement à certains dessins de Cocteau. Largement plus formel et matériel et résolument moins littéraire, le travail d’Isabelle Marmann se distingue néanmoins par la subtile originalité de sa démarche.

Romina Calò
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