Filmpräis 2009

Le fond et la forme

d'Lëtzebuerger Land vom 10.12.2009

Que d’émotions Cela commença fort, vendredi dernier, 4 décembre, lors de la quatrième cérémonie de remise du Lëtzebuerger Filmpräis à Luxexpo au Kirchberg, avec les larmes de Christina Schaffer, décoratrice d’exception, qui reçut un Prix spécial du jury. Non prévue, cette distinction fut inventée par le jury pour récompenser « le savoir-faire et la créativité » de celle qui travailla sur les principaux films de cette sélection 2009, notamment Dust de Max Jacoby et House of boys de Jean-Claude Schlim, films dont tout le monde s’accorde à souligner la qualité esthétique. Christina Schaffer n’en revenait pas d’être ainsi honorée – elle avait reçu un premier Filmpräis en 2005 –, la salle l’honora même d’une ovation debout.

D’ailleurs, le prix de la meilleure contribution technique au chef opérateur Carlo Thiel, responsable des magnifiques images soulignant par leur travail sur les couleurs, la lumière et le grain différentes émotions fortes dans House of boys – intimité, amour, maladie... –, est à attribuer à la même ambition d’un jury très cohérent dans son palmarès de souligner la qualité des techniciens au Luxembourg. Christina Schaffer et Carlo Thiel en tout cas furent surpris de se voir appelés sur scène, alors que normalement, ils restent discrètement à l’arrière. Mais peut-être que c’est ça, le principal mérite du Filmpräis : qu’il valorise ces centaines d’acteurs plus ou moins inconnus qui travaillent dans la production audiovisuelle et permet à tout ce beau monde international de se retrouver une fois tous les deux ans.

Autre moment fort de la soirée : l’hommage très personnel de la présidente du jury, Désirée Nosbusch, au défunt Thierry van Werveke, terminant avec ces « Yeppa ! », « Gëff Gaas ! » et « Rock’n roll ! » qu’il aimait lancer à ses amis. Ce fut la deuxième standing ovation de la soirée. Le fait que le Prix du public, décidé par vote électronique, soit allé au documentaire d’Andy Bausch InThierryView, et que le producteur de ce film et ami de l’acteur, Paul Thiltges, ait pu annoncer par la même occasion que la fondation éponyme en l’honneur de ce « troublemaker », et qui a pour objectifs de soutenir des projets culturels et d’aider des jeunes en difficultés à s’en sortir, venait de recevoir sa validation par le ministre de la Justice, a contribué à faire de la soirée un moment qui fut spécialement dédié à Thierry van Werveke, l’acteur fétiche des Luxembourgeois.

Un palmarès cohérent Le jury de cette édition 2009 a pris quelques décisions inattendues – Routine de Saesa Kiyokawa que quasiment personne n’a vu en meilleur court-métrage, section avec une concurrence très forte ; Entrée d’artistes d’Andy Bausch, sur les pionniers du jazz et de la musique pop au Luxembourg, petit film modeste mais bien fait en tant que meilleur documentaire ; ou Beryl Koltz et Armand Strainchamps meilleure contribution artistique pour le film de commande sur le centenaire de Dudelange –, et d’autres évidemment portées par ses préférences stylistiques (l’épique, le populaire, le sentimental). Ainsi, la meilleure coproduction pour Bride Flight de Ben Sombogaart et le double prix du film d’animation, Panique au village de Stéphane Aubier et Vincent Patar pour le long-métrage et Fog de Thierry Schiel pour le court, en sont des illustrations : les trois films sont des œuvres grand public et populaires.

Ce fut dans la catégorie-reine du meilleur long-métrage, qu’on croyait vite résolue vu le peu de films en compétition – à côté de Dust et House of boys, il y eut encore Réfractaire de Nicolas Steil –, que le jury a eu les discussions les plus passionnées. Que Jean-Claude Schlim l’ait finalement remporté, il le doit pour beaucoup au sujet du film, le sida, et à son message, « the fight against aids is far from being over ». Une décision courageuse, jugea le récipiendaire lui-même, qui rappela quel courage il lui fallut à lui aussi pour montrer un film aussi direct, avec plusieurs sujets qui, selon lui, sont toujours délicats au Luxembourg, (l’homosexualité, la dérive, le sida...), ici, chez lui. La reconnaissance est tout à fait justifiée et trouva un écho plutôt positif dans l’assistance.

Les absents Parmi les grands absents de la soirée, il y a des noms (Max Jacoby, notamment, dont Dust fut très attendu et qui rentra bredouille), mais aussi des professions ou des catégories. Ainsi, le Prix de la meilleure musique originale, créé par la Sacem et attribué en 2005 à Gast Waltzing, a été supprimé par le Film­fund. D’autres prix, comme celui du jeune espoir, qui avait pourtant été décerné lors des trois premières éditions, ont également disparu.

Étonnamment, la profession la moins valorisée dans le métier est celle qui est pourtant la plus visible – mais qui n’a aucun représentant, ni dans le comité d’organisation, ni dans le jury (dominés par les réalisateurs, techniciens et producteurs), peut-être parce qu’elle n’arrive toujours pas à s’organiser en réseau : les acteurs. Les départager serait certes difficile, car seuls les acteurs nationaux d’un film sélectionné sont éligibles dans la catégorie « meilleure contribution artistique », ce qui est d’ailleurs déjà une aberration en soi. Mais si même Désirée Nosbusch se plaint (lors de l’émission K (wéi...) de RTL Télé Lëtzebuerg dimanche dernier) qu’elle ne se voit proposer que des rôles alibis, à peine plus qu’un figurant, dans les grosses coproductions luxembourgeoises, cela prouve que les réalisateurs et les producteurs ne ne leur font toujours pas confiance.

Peut-être d’ailleurs que cela a à voir avec une autre des grandes faiblesses du cinéma luxembourgeois en ce moment, faiblesse amplement soulignée à plusieurs reprises par le jury : celle des scénarios des films autochtones. Il faut probablement de bons acteurs et actrices pour interpréter de bons textes.

La soirée La quatrième édition de cette fête de famille du cinéma luxembourgeois fut la plus réussie aussi, celle qui prouva un certain savoir-faire local dans la gestion événementielle. L’animation de Max Hochmuth et de Fred Neuen, les deux créateurs d’eveant.com, émission culturelle exclusivement diffusée en-ligne, était dynamique et rigolote, la musique d’Eternal Tango rock à souhait ; la collaboration des deux un rien décalée et un chouilla impertinente. Même si tout cela demeure un peu système D, que tout le monde porte plusieurs casquettes – on pouvait être nominé en tant que producteur puis comme réalisateur en une soirée, ou remettre un trophée et, dix minutes après, en recevoir un –, cela contribue au charme d’un milieu qui est resté assez intime.

Les politiques et la culture C’était flagrant lorsque le ministre des Communications François Biltgen et l’ancienne Commissaire européenne aux médias Viviane Reding remirent le principal Filmpräis, celui du meilleur film : voilà deux stars du CSV (Esch) qui se baignent dans les sunlights, en l’honneur du film grand-ducal, devant 800 convives visiblement conquis. Peu avant, la ministre de la Culture Octavie Modert avait déjà annoncé le Prix du meilleur documentaire. Abstraction faite de l’appartenance politique du directeur du Filmfund, Guy Daleiden, vice-président du DP (mais qui n’était pas ici dans sa fonction politique), la remise des prix était une manifestation quasi strictement CSV – dans la salle, on repéra encore un ministre (Claude Wiseler) et plusieurs députés CSV, quelques Verts, l’un ou l’autre libéral, et un seul (!) député LSAP. La nonchalance avec laquelle les socialistes laissent le CSV seul labourer le champ culturel est impressionnante : alors même qu’ils s’apprêtent à honorer une nouvelle fois leur grande figure culturelle Robert Krieps, artisan de la décentralisation, aucun de leurs ministres n’a semblé utile de soutenir un secteur qui pourrait être considéré comme faisant partie de la diversification économique (Jeannot Krecké ?) ou garan­tissant du travail direct ou indirect à plusieurs centaines d’intervenants (Nicolas Schmit ?).

Ce n’est peut-être qu’un détail, mais à voir le duo Biltgen/Reding sur scène, c’était frappant. Le film, côté production, côté idéologie et côté esthétique, est aussi une chose politique, House of boys en est une belle illustration.

josée hansen
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