Chroniques de l’urgence

Chutzpah émiratie

d'Lëtzebuerger Land vom 27.01.2023

L’annonce en a été faite le 13 janvier par le gouvernement des Émirats Arabes Unis : le patron de la compagnie pétrolière nationale, le sultan Ahmed Al Jaber, sera le président de la COP28, qui commence le 30 novembre à Dubaï. Il est aussi président et fondateur de Masdar, le conglomérat d’énergie renouvelable des Émirats, ce que n’ont pas manqué de souligner les apologistes de ce choix surprenant. Le représentant américain pour le climat, John Kerry, a ainsi estimé que les différentes casquettes du sultan allaient « contribuer à réunir autour de la table toutes les parties prenantes requises pour bouger plus vite et à l’échelle ».

N’en déplaise à M. Kerry, la nomination d’Ahmed Al Jaber est un cruel pied-de-nez à l’humanité. Certes, la désignation des Émirats comme hôte de la COP28, intervenue en novembre 2021, était déjà le signe que les négociations internationales sur le climat avaient renoncé ne serait-ce qu’à l’apparence d’un engagement sérieux. Mais en nommant à sa présidence, toute honte bue, celui qui déclarait l’an dernier, que « les politiques qui visent à désinvestir des hydrocarbures trop tôt, sans alternatives adéquates viables, sont autodestructrices », les Émirats enfoncent le clou.

« C’est l’équivalent de nommer le CEO d’un producteur de cigarettes pour diriger une conférence sur les cures anti-cancer », a raillé Zeina Khalil Hajj, responsable des campagnes de l’organisation 350.org.

Loin d’annoncer une sortie progressive des énergies fossiles, l’entreprise que dirige l’entreprenant sultan, Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC), qui extrait quelque 2,7 millions de barils de pétrole chaque jour, indiquait à la fin de l’an dernier vouloir avancer à 2027 la date à laquelle elle porterait ce chiffre à 5 millions, contre 2030 précédemment. A prendre connaissance de ce nouvel objectif, qui n’aura pu que réjouir les actionnaires d’ADNOC, une autre analogie qui vient à l’esprit est celle de confier la gestion d’un centre de prévention des incendies de forêts à un pyromane avéré.

Car tous les panneaux photovoltaïques et toutes les éoliennes de Masdar ne serviront en rien à résoudre la crise climatique s’ils ne se substituent pas à des énergies fossiles. La stratégie du sultan Al Jaber consiste à accélérer massivement les émissions de gaz à effet de serre, alors qu’il est urgent de les réduire à zéro, tout en dépensant des dizaines de millions de dollars dans des budgets de communication destinés à présenter les Émirats comme une pétrocratie visionnaire.

Ce qui est en jeu, c’est la crédibilité des pourparlers internationaux sur le climat – ou ce qu’il en reste. Pour les climatologues comme pour ceux qui espèrent encore parvenir à décarboner le monde assez vite pour éviter le pire, les COP sont de plus en plus déconnectées de la réalité. Les remettre en phase suppose de réinventer leur fonctionnement, pas de les organiser sur les rives du Golfe persique sous les auspices des rois du pétrole.

Jean Lasar
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