Festival du film italien de Villerupt

Qualités artistiques et ancrage social

Ambiance festivalière à la salle polyvalente Jean Moulin
Foto: Loïc Millot
d'Lëtzebuerger Land vom 08.11.2019

Traversée par l’Alzette, ce cours d’eau dans lequel Villerupt puise son nom (rupt signifiant « ruisseau »), la cité meurthe-et-mosellane fête, jusqu’au 11 novembre, la 42e édition du Festival du film italien. L’occasion, bien sûr, de déguster dans une ambiance populaire les mets fameux de la Péninsule – on recommandera pour cela de se rendre à la salle polyvalente Jean Moulin, l’ancienne piscina de Micheville devenue le sujet d’une bande-dessinée de Baru, l’enfant du pays (cf. La Piscine de Micheville, 1985). Mais aussi de découvrir un vaste panorama de la production cinématographique italienne, qui souffre d’un manque de visibilité depuis le tournant critique des années 80. Tel est d’ailleurs l’un des enjeux de la manifestation : celui de faire connaître des films peu distribués en France auprès d’une population locale issue de l’immigration italienne.

Outre les films en compétition soumis à l’appréciation des différents jurys, la programmation comprenait cette année un hommage à Mario Monicelli, dont on pourra revoir les chefs-d’œuvre que sont par exemple I soliti ignoti (1958) et I Compagni (1963) ; un focus sur la région de la Basilicate, dont la ville de Matera, connue pour ses Sassi et actuelle capitale européenne de la culture, a accueilli les tournages de L’Evangile selon Matthieu de Pasolini et du Christ s’est arrêté à Eboli de Francesco Rosi ; un portrait dédié au producteur Angelo Barbagallo, auquel on doit les premières réalisations de Nanni Moretti, mais aussi de Marco Tullio Giordana, Abbas Kiarostami ou encore Robert Guédiguian, dont le dernier opus, Gloria Mundi (2019), vient tout juste d’être présenté à la Mostra de Venise. On pourra sinon assister aux deux grandes fresques qui tiennent en ce moment le haut de l’affiche : Martin Eden, de Pietro Marcello, et Le Traître de Marco Bellochio.

Concernant les films concourant à l’Amilcar du Jury de la critique1, cinq longs-métrages de fiction étaient proposés en avant-première. Présidé par Rebecca Manzoni, journaliste et chroniqueuse musicale à France Inter, le Jury de la critique fut confronté à des films très différents. Le premier d’entre eux, Amare Amaro, est le premier long-métrage de Julien Paolini, jeune homme de 33 ans né à Florence et séjournant entre Paris et Palerme. C’est là, parmi des paysages sauvages magnifiés par le chef-opérateur Tristan Chenais, que s’est tenu le tournage. Dès le générique citant un vers d’Antigone, on devine les intentions du réalisateur : celui de transposer dans un village sicilien la tragédie de Sophocle. L’interdiction d’inhumer un parent traditionnellement imputée au roi Créon devient, dans cette fable sicilienne, celui proclamé par la maire du village, l’inflexible Enza. La fable antique revêt ici la forme d’un western moderne, avec sa triade d’archétypes formée autour de l’étranger (un boulanger français), du shérif (la maire du village) et des bandits menaçants. Une option hélas confortée par la réalité sociale italienne, entre isolement dans un désert maritime et une jeunesse livrée au plus grand désœuvrement. Trop inféodé au récit, sans parvenir à atteindre la puissance pathétique de la tragédie de Sophocle, le cinéaste se contente de suivre sans originalité un canevas connu d’avance. On en gardera cependant de belles atmosphères picturales, parsemées de clairs-obscurs, en attendant les futures réalisations de ce cinéaste prometteur.

Plus amusant fut C’è tempo, comédie familiale que l’on doit à Walter Veltroni, également maire de Rome de 2001 à 2008. Ce road-movie transnational, parti de Rome pour arriver à Paris, aborde tout autrement le thème des relations fraternelles. À l’inverse d’Amare Amaro, la mort d’un parent connaît ici un dénouement positif, permettant à deux frères qui ne se connaissaient pas jusque-là de se rapprocher. Jouant de tous les contraires possibles – à la fois d’âge, de taille, d’éducation, etc. –, Veltroni livre un divertissement de qualité, où l’humour vient souvent désamorcer d’importantes inégalités sociologiques. Sans grande originalité formelle toutefois, on regrette que ce film n’ait pas été proposé à l’appréciation du public, où il aurait certainement trouvé un meilleur accueil.

Les trois autres films se distinguent par leurs qualités artistiques et leur ancrage social. Il s’agit de Dolce fine giornata de Jacek Borcuch, Hogar (Maternal) de la cinéaste bolognaise Maura Delpero, enfin de Sole de Carlo Sironi, fortement imprégné du réalisme des frères Dardenne. Contrairement aux deux précédentes productions, qui se réfugiaient dans le mythe ou l’idéalisation des relations familiales, ces trois fictions abordent des sujets brûlants et souvent méconnus de nos sociétés contemporaines. De la gestion quantitative des flux migratoires à l’usage de la peur à des fins électoralistes dans Dolce fine giornata, en passant par des sujets tels que la maternité adolescente (Hogar) et le commerce des naissances dans Sole, un état douloureux du monde était esquissé. C’est finalement Dolce fine giornata qui sera récompensé ce vendredi 8 novembre par les membres du Jury de la critique. Les contradictions et les ambiguïtés soulevées par ce portrait d’une femme libre auront finalement eu raison des prétentions artistiques de Sole et des bondieuseries de Hogar.

1 l’auteur est membre de ce jury

La 42e édition du Festival du Film italien de Villerupt dure jusqu’au 11 novembre ; le programme complet de la manifestation est disponible sur le site festival-villerupt.com.

Loïc Millot
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