La Villa Vauban présente ses dernières acquisitions. La peinture de genre comme leçon d’histoire(s)

Vie du petit musée

Dans la salle des autoportraits, un buste  de Sali Muller
Photo: MB
d'Lëtzebuerger Land du 27.01.2023

Bienvenue à la Villa ! est un titre comme un point sur le i pour cette nouvelle exposition temporaire. Elle accueille les visiteurs par une surprise de taille : la cimaise à l’entrée des expositions temporaires a servi de support pour une peinture à l’acrylique réalisée in situ par Tina Gillen (*1972). Cela montre un détail d’architecture comme elle en a le secret, aux montants et au cadre noirs. La porte-fenêtre de Sea of Green ouvre sur la pelouse peinte, vert gazon, qui cache le vrai jardin de la Villa Vauban. Malheureusement, cette œuvre disparaîtra lors de la prochaine installation, mais elle annonce que l’art contemporain a bien sa place au musée. Comme les deux photographies de la Finlandaise Elina Brotherus (*1972), don de l’artiste après sa participation à l’European Month of Photography, Bodyfiction(s) en 2019 (voir d’Land du 12.07.2019).

Habile clin d’œil à l’escalier et transition entre les deux étages de l’exposition, Nu descendant un escalier (2010), montre un homme nu devant une rambarde 1900 et une fresque Art Nouveau. Le sujet rappelle l’exercice d’après modèle des écoles d’art, tandis qu’en haut de la volée des marches, la silhouette d’Elina Brotherus (L’Etang, 2012) se reflète à l’envers, dans le miroir d’eau. Une sorte de Narcisse, qui fait écho à un vrai miroir au rez-de-chaussée.

Miroir aussi, parmi les autoportraits de peintres, où le visiteur en se penchant, voit son visage sur un buste à l’ancienne, la tête flanquée des rouleaux d’une perruque. Inside de Sali Muller (*1981) a été acquis en 2020 et cadre parfaitement dans cette salle des autoportraits. Exercice de peinture classique réalisé à l’aide d’un miroir, l’artiste fixait son reflet sur la toile. Le visiteur pourra ici donner un visage à un peintre peu connu, Nicolas Bücher (1874-1957). Il est coiffé d’un feutre et le faux-col de sa chemise est ouvert. On suppose qu’il a mené « la vie d’artiste », comme son voisin de cimaise Adolphe Eberhard (1896-1941). Tout du moins dans sa jeunesse. Car le portrait de jeunesse, où il a visiblement de l’ambition, côtoie le peintre replet qui a réussi : on le voit à mi-corps, en costume trois pièces et pochette, cigarette à la main.

Ces deux tableaux sont un parfait exemple du travail réalisé sur le contenu de Bienvenue à la Villa ! Acquisitions et donations récentes. Le tableau de l’homme mûr est une donation de sa fille en 1962, le portrait de l’homme jeune a été acquis par le musée en 2019. On craignait un peu que l’exposition permanente depuis 2021, basée sur les collections Pescatore, Dutreux-Pescatore et Lippmann (voir d’Land du 11.06.2021) n’en vienne à lasser. Les acquisitions et dons depuis 2018, présentés ici, viendront en compléter des manques et l’histoire. Loin de remplir les réserves du musée (aussi avec des donations acceptées par le passé pour ne pas « fâcher »), Guy Thewes, directeur des deux musées de la Ville explique : « les achats et les donations actuels obéissent à la nouvelle définition du musée, adoptée l’année dernière par le Comité international des Musées (ICOM). Pour « accentuer la responsabilité sociale des musées en offrant des expériences variées d’éducation… et de partage de connaissances ».

On a personnellement beaucoup aimé voir les traits, peints finement en 1924 par Auguste Trémont d’un collègue sculpteur, lui qui réalisa des pièces animalières puissantes. Notre favori de cette section, est le Portrait du peintre Dominique Lang en 1920, par Umberto Cappelari. Curieusement un pastel sur photographie. Le côté figé que cela donne aux traits du visage, est tout l’inverse des dévotions de la salle voisine. Il est vrai que les collections Pescatore et Dutreux-Pescatore ne comptent que deux peintures religieuses. Voici donc une Vierge allaitant et une Adoration des seizième et 17e siècles, qui ont été achetées par le comité d’acquisition des musées de la Ville et deux donations. Curieusement, La baroque, marbre du sculpteur contemporain Bertrand Ney (*1955), présentée à l’horizontale dans l’exposition, à la verticale dans le catalogue), fait du coup plutôt penser à Mélusine. Où l’on revient – ce lapsus aidant – à la légendaire et païenne première dame de la capitale alors que la Vierge est la sainte patronne de Luxembourg…

37 acquisitions, achetées ou reçues depuis 2018, sont donc actuellement présentées, qui renvoient soit à des tableaux de la collection permanente de la Villa Vauban, soit conservés dans d’autres musées européens. Ainsi le Garçon au chardonneret peint par Bartholomeus van der Helst (1613-1670), une huile sur toile du 17e siècle hollandais acquise en 2021 et reproduite sur l’affiche de l’exposition. Ce petit volatile, devenu rare dans nos jardins, est connu par le fabuleux succès du roman policier éponyme de Dona Tartt. Volé dans l’intrigue, il est conservé en vrai à la Mauritshuis à La Haye.

Grâce à la volonté d’exposer leurs collections au public, Pescatore, Dutreux-Pescatore et Léo Lippmann et leurs compléments, nous permettent ce voyage dans la peinture ancienne des scènes idéalisées que la bonne société accrochait dans ses salons : à la campagne, dans les tavernes, sur les mers. David Ryckart (1612-1661) et David Teniers (1610-1690), acquises en 2021 et 2022, nous offrent deux classiques du genre flamand : la taverne où l’on boit et joue aux cartes. Ils font écho à Jan Steen par exemple, dont le musée possède déjà quelques belles pièces.

Le matin dans les dune a été peint en 1872 par Johannes H. L. de Haas (1832-1908). La lumière océane transparente de cette huile sur toile est exceptionnelle et enlumine la coiffe de la petite gardienne de vache. Réalisée en aplats mats, voici une autre découverte : Paysage avec deux femmes, vache et chèvre de Gustav A. Thomann (1874-1961). Cette huile sur toile est un don récent de 2018. La campagne est recherchée aujourd’hui pour ses vertus quasi thérapeutiques et défendue pour sa conservation naturelle. Jusqu’au 19e siècle, on aimait les traques par les chiens (Les chiens de chasse avec faon blanc de Johann H. Rooos 1631-1685), la chair grasse d’un troupeau opulent. L’acquisition des Moutons au pré quasi kitsch de Franz van Severdonnk (1809-1889) font écho à des scènes semblables ayant appartenu à Pescatore et Lippmann dans leur collection de peintures hollandaise et flamande.

Le produit de la chasse était un objet de peinture de salon. La Villa Vauban vient d’acquérir une nature-morte de gibier (Adrien de Gryeff (1657-1722). Un lièvre est savamment disposé au centre de la toile, son ventre de poils blanc mis en évidence. À ses pieds, une perdrix et des oiseaux dont les couleurs servent de faire-valoir au tableau. Sans oublier un paysage« sfumato » à l’italienne en fond de paysage… Pendant d’une nature-morte de la collection Léo Lippmann, on ne peut que constater que celui-ci avait l’œil et qu’aujourd’hui encore, son acquisition a un plus. Sa sobriété en fait une peinture dont le « touch » traverse les époques. Tant qu’à avoir ses favoris, on terminera ce « bienvenue au musée », par deux petites marines de Georges Willem Opdenhoff (1807-1873 acquises en 2021. Le fond est quasi identique, des bateaux de pêche sur la plage dans Le retour de la pêche et Sur la Plage. Ils nous ont rappelé ce qu’on avait déjà vu dans l’exposition temporaire précédente, la grande rétrospective John Constable (voir d’Land du 15.07.2022). Deux classes de la société, les travailleurs et les oisifs de la fin du 19e siècle en bord de mer. Un choix raisonné qui révèle une ligne éditoriale cohérente pour cette « petite » exposition.

Bienvenue à la Villa ! Acquisitions et donations récentes est à voir jusqu’au 21 mai à la Villa Vauban

Marianne Brausch
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