Jérôme Bloch, patron d’une boîte de comm’, suscite le débat, de Linkedin au bureau du Premier ministre

Troll et influenceur

Jérôme Bloch mardi après-midi au Intense Coffee de Bonnevoie, Luxembourg
Foto: Olivier Halmes
d'Lëtzebuerger Land vom 04.10.2024

Ce mardi, l’entrepreneur aux 36 136 followers sur Linkedin, a de nouveau jeté un pavé dans la mare. Dans son post intitulé « No-one cares about you », Jérôme Bloch reproche au magazine Paperjam, qui fête ses 25 ans, d’avoir distribué sa dernière édition papier dans toutes les boîtes aux lettres du pays. 132 pages et tous les suppléments publicitaires en 300 000 exemplaires (soit 88 tonnes de papier) qui partiraient, selon Bloch, dans l’immense majorité des cas directement à la poubelle, alors que l’éditeur, Maison Moderne, communique sur une prétendue neutralité carbone. (Une pub Luxlait en quatrième de couverture promeut son produit, « 100% collecté et conditionné au Luxembourg, 0km en dehors du Luxembourg ».)

Bloch critique également le contenu de l’édition spéciale, un catalogue de cent personnes (dont la sélection interroge) qui ont moins de quarante ans et met en question l’âge du magazine. Ce sur quoi il se trompe et que Mike Koedinger, fondateur de la maison d’édition, corrige : « I usually don’t get involved in your toxic conversations for obvious reasons, but in this case, I thought it necessary to set the record straight. » La diffusion « toutes boîtes » de ce numéro ambitionne de « fièrement présenter le futur du Luxembourg au pays entier », précise Koedinger. Jérôme Bloch réplique à son tour en proposant un duel 2.0 : « Let’s have a public debate about the so called Independent press and Freedom of speech in Luxembourg. Your video studio. My video studio. Anywhere else. Anytime. Unscripted. » Jérôme Bloch pointe régulièrement du doigt l’allocation des aides à la presse. Un autre communicant commente en soutien à Bloch : « Thanks for speaking up uncomfortable truths. More people need to stand up and speak up against the rampant cronyism and influence peddling in Luxembourg. »

Ici, la plateforme Linkedin déroge à l’ultrabienveillance qui la caractérise normalement. Depuis mai 2023, Jérôme Bloch publie ce qu’il appelle des posts bleus, identifiables à leur couleur. À un mois des élections municipales, ce natif de Metz (en 1972) résident du Grand-Duché depuis la fin des années 1990 (il en obtiendrait la nationalité à la fin de l’année), s’est inquiété de la teneur du débat démocratique : « On n’a pas parlé de la dette. On n’a pas parlé de la surcharge administrative. On n’a pas parlé des retraites », martèle-t-il… évoquant surtout des enjeux pour les élections législatives d’octobre. « J’ai commencé à poster sur un coup de tête », raconte-t-il mardi après-midi lors d’un entretien au Intense Coffee à Bonnevoie où il a ses habitudes. « Je me suis aperçu que je n’étais pas le seul à me plaindre de ce que j’appelle les campagnes selfie », où le candidat cherche plus à plaire par sa personnalité que par son plan d’action. Il trouve régulièrement de l’inspiration auprès de son voisin et camarade entrepreneur Jean Diederich, fidèle soutien sur Linkedin, voire jeteur d’huile sur le feu. Ainsi, Jérôme Bloch dit se lever tous les matins à 6 heures pour bosser sur un dossier (principalement en relevant des statistiques publiques) et parler du fond sur la seule plateforme qu’il pratique : « Je pense que j’écris pour tous les gens qui s’intéressent à l’avenir du pays, dans un exercice citoyen. »

L’exercice se serait révélé une « aventure dangereuse » à l’approche des élections législatives, « avec des pressions subies ». Bloch refuse néanmoins d’être plus spécifique ou d’en apporter la preuve. Confronté au fait que certains l’identifient comme un troll (« un individu cherchant l’attention par la création de contenus négatifs » selon la définition Wikipedia), l’entrepreneur rétorque que ses accusateurs seraient une poignée de « Luxembourgeois ». Il prend l’exemple de celui avec qui il s’est querellé quelques minutes plus tôt, Koedinger, par ailleurs son modèle en affaires. « J’ai du respect pour Mike. C’est un entrepreneur luxembourgeois comme je les aime. »

Jérôme Bloch a fondé et dirige une entreprise de communication, 360crossmedia. Comme l’indique son nom initial, Global Golf, elle s’orientait à ses débuts en 2000 vers du networking et de l’événementiel dans et autour de l’univers golfique. Son magazine business, Andy, est né en 2006 et a marqué la diversification vers la communication. Où l’on paie pour se faire portraiter ou interviewer. Sur le site 360crossmedia.com, on revendique une production multimédia low-cost. « Why are your prices below the market prices ? We spend less time producing things and rely on high volumes to compensate the fair margins that we apply », est-il écrit. Un article de deux pages dans Andy à Luxembourg ou Duke coûte 3 960 euros, un portrait Linkedin, 400, ou une interview d’une heure dans le studio, 1 500. Un article sur LuxembourgOfficial.com se facture mille euros. Le même prix pour un push sur le compte Linkedin de « Jérôme ». Il est même possible de choisir à la carte (parmi de nombreux services), un « journaliste » pour 200 euros par heure. Les bénéfices de l’entreprise, qui emploie cinq personnes (selon le rapport annuel 2022), sont confortables sans être insolents.

Les « blue posts » seraient préjudiciables aux affaires. En février, Bloch s’est adressé au ministre des Finances Gilles Roth (CSV) en visant la direction générale du régulateur financier : « It is time for CSSF to deliver a good quality of service again ». Il comprend désormais qu’une partie de ses clients ne veut plus s’afficher sur ses supports de peur de froisser l’instance. Sur Linkedin, le grand patron de PWC, François Mousel, prévient : « While, certainly, we all have each other to give constructive recommendations from time to time, I believe that the tone, quality/depth, style, personal targeting and channel of your message go against all what we want to be in Luxembourg as an economic and political ecosystem which should be characterized by a high level of trust and desire to collaborate and exchange between all the decision makers. »

Mais la popularité de Jérôme Bloch attire les politiques. Il figure au troisième rang d’un classement des créateurs de contenus les plus influents au Luxembourg réalisé par la plateforme spécialisée Favikon. Derrière le vice-Premier ministre DP, Xavier Bettel (plus de 100 000 followers), une experte en expérience utilisateur (UX) Stéphanie Walter (51 000)… et devant l’ancien joueur de tennis Henri Leconte, l’athlète Patrizia Van der Weken et le Premier ministre, Luc Frieden. Ainsi, avant de se rendre à New York pour rencontrer ses homologues aux Nations unies et avant d’accueillir le pape, Luc Frieden, a reçu Jérôme Bloch au ministère d’État. Cet été, Gilles Roth s’est déplacé dans le studio de 360Crossmedia. Max Hahn, ministre de la Famille, a reçu le trublion de Linkedin à la fin du mois de septembre. Comme les autres précédemment, l’entretien a été diffusé (cette semaine) sur Luxembourgofficial.com. Celui de Luc Frieden fait date car il est publié in extenso. Jérôme Bloch est impressionné par la disponibilité du chef du gouvernement à répondre à toutes les questions, quelles qu’elles soient, « unscripted ».

L’entretien se déroule en anglais à la demande de l’interviewer. L’on s’adresse de cette manière à une communauté d’affaires internationale. Jérôme Bloch introduit assez longuement en se référant à l’accord de coalition, lequel indiquerait des « directions claires » avec trois mots clés « Simpler, better, modern ».  « You were elected on a probusiness idea », dit-il à son interlocuteur. Bloch livre en passant ses préceptes : « We hear or we see in the press, people who are antibusiness. Something I’ve personally never really understood. (…) First you make money and then you spend the money. » Jérôme Bloch sélectionne des chiffres qui lui tiennent à cœur : 75 pour cent des recettes de l’impôt sur les revenus des entreprises proviennent de la place financière, trois travailleurs sur quatre ne votent pas. « Est-ce que les citoyens savent ? », est-il demandé au Premier ministre qui s’extirpe tant bien que mal : « Le résultat des élections prouve que les gens sont conscients des défis. En être conscient ne veut cependant pas dire pour autant être prêt aux changements. »

Jérôme Bloch vise la lourdeur politique. « Pourquoi quatre années sont-elles nécessaires pour changer la loi sur les loyers alors que tout le monde savait qu’elle avait un problème ? », demande-t-il en ciblant leur plafonnement. Luc Frieden répond que « c’est l’ancien gouvernement » qui a tardé, car le sien n’a mis que « quelques mois pour réformer. ». « C’est vrai », répond Jérôme Bloch, ne relevant pas que la question du plafonnement des loyers est tombée du texte entretemps. Jérôme Bloch s’attaque à la fonction publique, réservoir majeur d’électeurs : « Comment organiser le dialogue sans être victime de chantage ? » Luc Frieden prend le temps de répondre : « Le Luxembourg apprécie la vie harmonieuse en communauté. La paix sociale fait partie de l’ADN des Luxembourgeois et c’est aussi un élément de l’attractivité économique. » Au sujet des juteux jetons encaissés par les fonctionnaires siégeant aux conseils d’administration des entreprises dans lesquelles l’État à des participations (contraire à la loi, laquelle requiert de les restituer à l’État), le Premier ministre considère que c’est « une manière de donner un bonus aux gens qui travaillent très bien », mais qu’il faudrait clarifier cela.

Bloch voudrait des indicateurs de performance pour les fonctionnaires. Un système existe répond le Premier ministre, mais « I’m not sure it is very well implemented », complète-t-il. D’ailleurs, le gouvernement lui-même devrait être soumis à une forme « d’accountability », selon Bloch. Frieden aimerait bénéficier d’un tel système également et reconnaît « un besoin d’améliorer la communication gouvernementale », mais se rend à l’évidence : « we’re not a company ». « I can advise you. I run a communication agency », répond Jérôme Bloch. « I get that advice for free, I hope », sourit Luc Frieden.

L’entretien donne aussi lieu à des confidences du Premier ministre: « I’ve had a long political career which is far from being finished ». Luc Frieden, 61 ans, envisage-t-il une nouvelle candidature en 2028 ? Jérôme Bloch évoque en outre ces fonctionnaires qui ne pourraient pas lui parler, car ils devraient dès lors inscrire leur conversation sur le registre des entrevues. « Ce registre ne s’applique que pour les législations en cours d’élaboration. Ce n’est pas une restriction extraordinaire pour parler aux gens. Pour la plupart des choses dont on parle, que l’on soit ministre ou fonctionnaire, le registre n’est pas applicable ». Ce qui est une vue très restrictive. Selon l’arrêté grand-ducal du 14 mars 2022, doivent être inscrites toutes les entrevues qui ont « comme objet la recherche d’une prise d’influence sur les activités législatives ou réglementaires du gouvernement ». Luc Frieden voue au débat « la force de la démocratie » : « We need to talk about things. I do not have to agree with everything. And I read your posts, so I know what you’ve been writing. »

Interrogé sur ses convictions idéologiques, Jérôme Bloch, chef d’entreprise, raconte qu’il a grandi dans une famille socialiste, admet un penchant libéral, mais pas libertarien. Il soutient par ailleurs la lutte contre la pauvreté (que Luc Frieden a plusieurs fois mise en avant dans l’entretien). Il prend aussi acte du réchauffement climatique et de la nécessaire lutte contre, non sans pester contre les interdictions administratives. Jérôme Bloch se dit avant tout un « opportuniste ». Il prend les bonnes idées de tous bords. Lorsque nous l’avons sollicité, l’intéressé a refusé un rendez-vous dans les locaux de son entreprise et préféré un « endroit neutre » : « La plupart des vues Linkedin sont générées à titre personnel, tout comme les opinions que je formule. Elles ne reflètent pas toujours la position ou même l’intérêt commercial de 360Crossmedia », détaille-t-il. Quant à sa vision de la presse, qu’il vilipende à l’occasion, le communicant juge « noble » le métier de journaliste : « Je n’ai aucun problème à ce que ce soit financé par l’État, mais il faut que derrière, il y ait une éthique qui soit irréprochable ».

Pierre Sorlut
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