Ticker du 3 fevrier 2023

d'Lëtzebuerger Land du 03.02.2023

Michoacán - Luxembourg

« Relatives of two missing Mexican environmentalists are pointing the finger at a transnational mining company which they claim is responsible for environmental destruction and violence in the rural community, and may have links to the criminals who abducted their loved ones. » The Guardian alertait le 20 janvier sur la disparition de l’avocat Ricardo Lagunes et du militant Antonio Díaz Valencia, lesquels dénonçaient les nuisances et destructions de la multinationale de l’acier Ternium, leader des marchés américains, mais basé au Luxembourg. Les deux hommes ont été aperçus pour la dernière fois dimanche 15 janvier. Ils quittaient un meeting contre l’exploitation minière de Ternium dans le Michoacán. Leur pickup Honda a été retrouvé le long d’une route, criblé de balles. Accusé par les familles, le groupe dément depuis son antenne locale.

Le 25 janvier, à plusieurs milliers de kilomètres, au Grand-Duché, l’Initiative pour un devoir de vigilance, qui milite pour que les entreprises respectent les droits de l’Homme, a adressé un courrier au siège de la firme, 26 boulevard Royal : « We call on Ternium to contribute to the search of the two missing persons and to seek to avoid any activity that could lead to further conflicts between the communities ». Lundi matin, au cours d’une conférence de presse organisée à la Chambre des salariés (photo : sb), le coordinateur de l’ONG, Jean-Louis Zeien, s’appuie sur ces développements pour rappeler que « le combat pour les droits de l’homme doit être mené aussi dans le champ des affaires ». L’Union européenne travaille sur une législation pour responsabiliser les entreprises et mettre en œuvre ce devoir de vigilance, mais le texte est émasculé au gré des négociations. Arrivée de Bruxelles, une représentante de la European Coalition for Corporate Justice (ECCJ), Marion Lupin, parle de « l’ambiguïté » luxembourgeoise dans les discussions au Conseil. Le gouvernement se range dans le camp (mené par la France) pour l’exclusion des fonds d’investissement du champ de la directive. Or, pour l’ECCJ, les fonds doivent justement être érigés en levier financier, notamment pour la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. De manière pernicieuse, la finance en général n’est pas considérée comme un secteur à risque méritant une vigilance particulière. « Nous aurions aimé que le Luxembourg, pays écouté en la matière, s’engage » dans ce sens, a regretté Marion Lupin. La militante adresse quand même un bon point au Grand-Duché pour son action visant à ce que le devoir de vigilance porte sur toute la chaîne de valeurs d’un produit ou service plutôt que sur la seule chaîne de production (qui ne prendra pas compte de ce qu’il advient après la vente). Autre aspect positif, le Luxembourg demande à ce que l’accès effectif à la justice des victimes soit inscrit dans le texte européen. La plus grande défaillance du projet de directive reste néanmoins la possibilité pour les États-membres de choisir si le devoir de vigilance s’appliquera au niveau du groupe ou au niveau des filiales. Si l’option filiale était choisie, alors le statu quo prévaudrait. « En l’absence de toute législation, on peut juste envoyer une lettre », regrette ainsi Jean-Louis Zeien.

Ce jeudi, Ternium n’a pas répondu à la missive de l’ONG. Le point de contact national luxembourgeois pour la mise en œuvre des principes directeurs des Nations Unies (déjà médiateur dans un litige avec Ternium au Guatemala entre 2017 et 2020) s’est saisi du dossier. Les ministre des Affaires étrangères et celui de l’Économie, Jean Asselborn et Franz Fayot (LSAP), ont signé ce jeudi un courrier dans lequel ils demande à l’entreprise (qui compte parmi ses administrateurs, un ancien directeur de banque luxembourgeoise, Vincent Decalf), de clarifier son implication dans la région le cas échéant. pso

L’éthique dans la pratique

Loïc Bertoli, dernier des Krecké Boys encore dans la fonction publique, rejoint le privé et l’entreprise immobilière All Might pour lancer sa filiale Conseil au Luxembourg. Dans une entretien à Paperjam, le haut fonctionnaire, directeur général adjoint de la promotion du commerce extérieur du ministère de l’Économie, explique partir en « bons termes » et avoir saisi l’opportunité (et accessoirement celle d’un congé sans solde) après avoir été approché par un groupe intéressé par son « profil », ainsi que son « expérience, nationale et internationale ». Loïc Bertoli, responsable du Luxembourg Trade and Investment Office (LTIO) à Abu Dhabi de 2016 à 2022 et commissaire adjoint pour l’Expo 2020 de Dubai, est un visage familier pour les nombreux représentants d’entreprises et politiques qui se sont rendus aux Émirats ces dernières années. Cet ancien fidèle de Jeannot Krecké de 2005 à 2012 avait rallié l’ambassade à Pékin après le départ du ministre socialiste. Jeannot Krecké a fini sa carrière en émargeant aux conseils d’administration du sidérurgiste ArcelorMittal et du conglomérat russe Sistema, traçant la voie pour son successeur Etienne Schneider dix ans plus tard. L’ancien camarade de Loïc Bertoli au ministère du Boulevard Royal, Jean-Claude Knebeler, avait lui rejoint le LTIO de New-York puis la Russie, en tant qu’ambassadeur à Moscou, avant de se mettre à son compte sur place en 2020, notamment au service de Gazprombank.

Interrogé sur son pantouflage et une éventuelle saisine du comité d’éthique, Loïc Bertoli indique que dans son cas (il n’est pas conseiller de gouvernement et donc pas concerné par les règles déontologiques des conseillers du 24 mars 2022), il lui suffisait d’adresser une demande au ministère de la Fonction publique. « Et vu que mes activités ne découlent ni des autorisations, ni de la surveillance du département où je travaillais, je n’avais pas besoin de consulter moi-même le comité d’éthique ».

Cette instance créée en 2014 ne connait pas une activité débordante. Sa dernière saisine remonte à 2020 et concerne le départ d’Étienne Schneider vers ArcelorMittal. L’onglet « Communiqués » est vide. Le comité vient néanmoins tout juste de publier son premier rapport annuel (neuf pages, grande police et larges interlignes) pour 2022, « année charnière » avec, justement, l’entrée en vigueur, le 1er mai dernier, des codes de déontologie pour les membres du gouvernement et leurs conseillers. Marie-Josée Jacobs, Agnès Durdu et Aloyse Weirich n’ont identifié aucun conflit d’intérêt, ni dans les déclarations patrimoniales des membres du gouvernement, ni dans celles de leurs conseillers adjoints. Le comité, qui compte un secrétariat de trois agents de l’État, n’a rien trouvé à redire non plus sur les entrevues publiées par les ministres et leurs très hauts fonctionnaires ni sur les cadeaux qui leurs ont été faits. pso

« Party Pooper »

Yuriko Backes, se lance timidement dans la mêlée électorale. Ce lundi, la néophyte de la politique a pu s’exercer sur un terrain conquis. Le « DP International » avait invité au Café Independent pour écouter la ministre libérale livrer ses « insights » sur « One year on the job ». « I feel very much at home », dit Yuriko Backes en guise d’introduction, rappelant qu’elle avait grandi au Japon dans une communauté expat. (Elle souligna être née de deux parents luxembourgeois, bien que « des gens me voient parfois des yeux bridés ».) La diplomate égrena son CV, notamment le maréchalat à la Cour grand-ducale, dont la modernisation n’aurait pas été « so easy » : « a lot of passion and also grey hair ». Assermentée ministre le 5 janvier 2022, elle aurait été immédiatement « jetée dans l’eau froide », l’invasion russe en Ukraine la faisant basculer en mode « crisis management », expliqua Backes, tirant implicitement un parallèle avec Paulette Lenert, sa concurrente socialiste au profil technocrate similaire.

Mais celle qui rappelle « ne pas être née politicienne » a manifestement du mal à se retrouver dans son nouveau rôle. Ses interventions publiques gardent un ton diplomatique et monotone. Ce lundi, ses réponses au public furent invariablement précédées par un « excellent question », voire un « very excellent question ». Pourtant, au fil de la discussion, la ministre se détendit quelque peu, s’avançant même à faire de l’humour : « As a finance minister you are very often the party pooper », confia-t-elle au sujet des arbitrages budgétaires.

Devant un public d’expats, majoritairement français et espagnols, Yuriko Backes a longuement évoqué la place financière, promettant solennellement d’en défendre la compétitivité. Elle aurait eu « lots, lots and lots of meetings » avec le secteur, et rencontré « really top people » lors de ses missions de Tokyo à New York en passant par Davos. Ce serait d’ailleurs elle qui aurait convaincu Xavier Bettel de se rendre une première fois au Forum économique mondial en 2015 : « When I was working as a diplomatic advisor to Prime Minister Jean-Claude Juncker, he never wanted to go to Davos. That was one of the things I could never persuade him of. When Xavier Bettel became Prime Minister, I told him: ‘Xavier, you have to go to Davos’. Yes! He immediately saw how useful these meetings are. »

Plus tard dans la soirée, un avocat fiscaliste prit la parole pour regretter que l’« easy access » aux autorités fiscales ait « disparu ». « There are many historical reasons for that… I am not entering into the details », ajouta-t-il avec un certain sens de la pudeur. Yuriko Backes se positionna dans la droite lignée de Pierre Gramegna : « I am not sure we want to go back to the situation of ten years ago », dit-elle, sans nommer Luc Frieden, le ministre responsable à « cette époque très différente ». Mais elle serait consciente que l’accès au fisc posait problème, et promit un « rééquilibrage du balancier ». De toute manière, le Luxembourg ne serait plus un paradis fiscal. Si des « médias et politiciens internationaux, et même parfois nationaux » prétendaient le contraire, on pourrait « légitimement se poser la question » : « ‘À qui profite le crime ?’ Essaient-ils d’attirer de l’argent vers d’autres centres financiers ? Peut-être… » Or, grâce à Luxembourg for finance et à son « excellent CEO Nicolas Mackel », l’image du pays se serait nettement améliorée : « We have really nothing to be ashamed of ».

De nombreuses questions ont tourné autour de l’immobilier, des commissions d’agence, des frais de notaire. À plusieurs reprises, Yuriko Backes souligna ne pas être la ministre « responsable du logement » (déviant la balle vers Déi Gréng) ; il s’agirait d’ailleurs d’un « problème très ancien » (déviant la balle vers le CSV et le LSAP). Mais elle a clairement signalé ne pas être prête à combattre la crise immobilière par des cadeaux fiscaux. Plutôt que de subventionner la demande, il faudrait encourager l’offre. Un niet aux revendications du secteur. La ministre libérale tient également le cap de la coalition sur la question de l’index. Dans ses discussions avec les entreprises, elle y serait « tout le temps » confrontée, au point de se dire : « Oh, Gosh ! Another index question. » Mais elle expliquerait alors aux patrons que l’index ferait partie de « l’ADN du Luxembourg » et leur assurerait la paix sociale : « They don’t want to have mass protests on the streets ».

Interrogé sur le télétravail des frontaliers, Backes a regretté que le seuil de tolérance fiscale allemand reste coincé à 19 jours par an. Son homologue allemand Christian Lindner lui aurait promis « to do something about this » : « I am stressing him every time I see him. And sending him text messages in between, saying : ‘Christian, seriously, we need to move on this. » La ministre a enfin fait une sortie plus inattendue, exprimant sa « préoccupation » face à l’explosion des dépenses militaires à travers le monde : « I find these necessary in a war situation but in the long run they are obviously the wrong investment. Even though they might profit some industries; and let’s not be naïve, there are also such suppliers in the Luxembourg economy. » bt

Pierre Sorlut, Bernard Thomas
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