Le premier long-métrage d’animation du réalisateur luxembourgeois Carlo Vogele arrive en salle mercredi.
Un film d’aventure qui remet la mythologie grecque au goût du jour

Icare avant son envol

d'Lëtzebuerger Land vom 01.04.2022

Quand on pense à Icare, on pense inévitablement à un envol et à une chute ! L’envol d’un homme qui a fabriqué des ailes mais qui, à force de s’approcher du soleil, finit par se brûler. Pourtant, cette triste fin n’est que l’épilogue d’un récit plutôt oublié par le grand public. Un oubli idéal pour un cinéaste qui n’a qu’à se faufiler dans les interstices de cette mémoire collective pour mettre en place un nouveau récit.

C’est exactement ce que fait le cinéaste Carlo Vogele pour cet Icare. Un premier long-métrage en tant que réalisateur pour celui qui avait enchanté de nombreuses soirées de courts-métrages avec son Una furtiva lagrima avant de travailler, en tant qu’animateur, pour plusieurs grandes productions Pixar telles que Toy Story 3, Cars 2, Brave ou encore Monsters University. Et si Vogele, revenu dans un cinéma plus européen, pour ne pas dire d’auteur, s’intéresse à Icare, c’est avant tout pour raconter les aventures de Minos, roi de Crète, de sa femme, Pasiphaé, de leur fille, Ariane et du rejeton illégitime de la reine, Astérion, personnage au corps d’homme et à la tête de taureau, connu surtout sous le surnom de Minotaure. Car, on l’a peut-être oublié, mais dans la mythologie grecque, une passion totalement assumée pour le cinéaste, tout cette bande est liée. Et au milieu de tout ce beau monde se trouve Dédale, inventeur de génie, sculpteur d’exception, forgeron de talent, père d’Icare, protégé du roi Minos, protecteur du lourd secret de la reine Pasiphaé, bâtisseur du palais de Cnossos et concepteur du célèbre labyrinthe qui servira à enfermer le Minotaure.

Icare ne nous raconte donc rien de nouveau, tout était là dans les mythes de la Grèce antique, mais avec son film, Carlo Vogele met un coup de projecteur sur cette partie oubliée du récit. Il remet aussi cette histoire au goût du jour. Comment ne pas voir un peu de Tarzan ou de Peter Pan dans le comportement et l’espièglerie du jeune Icare ? Ou du Petit Prince dans ses réflexions humanistes ? Comment ne pas retrouver un peu de Merida la Rebelle dans cette nouvelle version d’Ariane ?

Mais attention, si le réalisateur luxembourgeois a longtemps travaillé à Hollywood, son Icare n’a rien d’un nouveau Hercules. Ici pas de personnages secondaires censés amener de la dérision, pas de slapstick, pas de gags visuels, pas de dialogues omniprésents, pas de parodie facile et surtout pas de messages moralisateurs. Bien au contraire, du récit épique, de la grande aventure, des problématiques on ne peut plus sérieuses voire tragiques et des personnages cruels et passionnés. Le tout à hauteur d’un enfant de huit ans. Pas évident ! Ici point de manichéisme, point de grand revirement final, pas de cliffhanger, mais un lent cheminement vers l’inévitable, vers les inéluctables destins d’Ariane, d’Astérion et d’Icare. Ce qui n’empêche pas un peu de fantaisie et de fantastique.

Les qualités de cet Icare sont nombreuses : les décors sont splendides, les couleurs superbes avec ces tonalités rougeâtres de la terre et du palais de Minos à côtés de celles bleutées de la mer au plus près de la réalité du site de Cnossos, en Crète, sans oublier ce noir dans lequel on parvient malgré tout à apercevoir les combats dans le labyrinthe. La musique, tantôt baroque, tantôt aux tonalités orientales, est agréable et rythme bien le récit et ses différentes évolutions. Le mélange de technologies d’animations 2D – pour les décors – et 3D – pour les personnages – lui donne une identité graphique toute particulière. Les messages sur l’amitié, la famille, le respect, la monstruosité qui est bien souvent plus psychologique que simplement physique sont parlants. Mais ses défauts semblent être tout aussi nombreux. Le film souffre d’un rythme extrêmement lent – même s’il accélère, un peu, au fur et à mesure que le récit avance –, de trop longs silences, d’une trop grande naïveté dans les réactions des personnages lors de plusieurs scènes et de quelques gimmicks, comme les rires de différents personnages, qui deviennent rapidement agaçants. Pour les adultes du moins. Gageons que les enfants, avertis et patients, prêts à accepter un cinéma au rythme plus posé que celui d’un immense zapping, se laisseront emporter par cette coproduction grand-ducale (Iris Productions) qu’ils pourront découvrir au choix en français, en anglais ou en luxembourgeois, par son récit mythologique, ses aspects fantastiques, ses personnages forts et le destin tragique qui les attend.

Icare, de Carlo Vogele. En salle à partir
du mercredi 6 avril

Pablo Chimienti
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