Chronique Internet

Un élu peut-il bloquer qui il veut sur les réseaux sociaux ?

d'Lëtzebuerger Land du 06.04.2018

Les hommes politiques peuvent-ils effacer comme bon leur semble les commentaires critiques sur les pages qu’ils entretiennent sur les réseaux sociaux ? Ont-ils le droit de bloquer des citoyens qui publient des opinions qui leur déplaisent ? Un accord extra-judicaire annoncé cette semaine dans l’État de Maryland montre que ce n’est pas le cas, du moins aux États-Unis. Aux termes de cet accord, ce gouverneur républicain, Larry Hogan, devra à l’avenir se montrer plus tolérant envers les voix critiques sur les réseaux sociaux – l’accord porte sur Facebook, Twitter, Snapchat et YouTube. L’accord précise que le gouverneur ne pourra pas discriminer les commentaires en fonction du point de vue qu’ils expriment, et qu’il devra autoriser sur sa page Facebook tout commentaire portant sur un sujet qu’il a déjà abordé. L’accord prévoit aussi la création d’une seconde page sur laquelle les citoyens pourront aborder des thèmes dont ils souhaitent débattre et la mise en place d’une procédure d’appel lorsqu’ils estiment avoir été censurés de manière indue. En outre, l’État de Maryland devra payer 65 000 dollars aux plaignants.

En août dernier, quatre résidents de cet État, appuyés par le chapitre local de l’American Civil Liberties Union (ACLU), avaient porté plainte contre Larry Hogan au nom du Premier amendement de la Constitution, qui protège la liberté de parole. Ces résidents avaient constaté que des posts critiques qu’ils avaient publiés sur la page Facebook du gouverneur avaient été effacés. Dans certains cas, ils avaient ensuite été bloqués par le gouverneur ou ses services. Bien que seules quatre personnes aient porté plainte, il y avait selon l’ACLU plusieurs centaines de résidents dont les commentaires avaient été supprimés ou qui avaient eux-mêmes été bloqués parce que les opinions qu’ils exprimaient déplaisaient au gouverneur ou à ses collaborateurs. 

L’ACLU précise que cette affaire est l’une de plusieurs contre des élus qui essaient de faire taire leurs administrés sur les réseaux sociaux, et mentionne en particulier une plainte introduite en août 2017 par le Knight First Amendment Institute de l’Université de Columbia et sept personnes concernant l’habitude qu’a le président Trump de bloquer sur Twitter des utilisateurs. Dans cette affaire, le Knight Institute fait valoir que le compte @realDonaldTrump est un espace public au sens du Premier amendement, et que dès lors la Maison Blanche ne peut pas empêcher des citoyens d’y avoir accès sans contrevenir au droit des citoyens d’exprimer leurs griefs à l’égard de leur gouvernement. L’absence de ces voix critiques viole aussi les droits de ceux qui n’ont pas été bloqués, fait valoir la plainte, dès lors qu’elle les fait participer à un forum d’où des voix critiques ont été purgées. Un des plaignants, Philip Cohen, un professeur d’université du Maryland, se dit « inquiet que le président puisse créer un espace sur Twitter, où il y a des millions de personnes, qu’il peut manipuler pour donner l’impression qu’il y a davantage de gens qui sont d’accord avec lui que dans la réalité ». 

Cette affaire n’a pas encore été jugée. La Maison Blanche s’est moquée de cette plainte, faisant valoir que Twitter est un site web privé offrant comme l’une de ses fonctionnalités de base pour chaque utilisateur la possibilité de bloquer les posts d’autres participants. L’accord intervenu dans le Maryland suggère qu’elle n’est pas gagnée d’avance pour l’occupant de la Maison Blanche, auquel il est par ailleurs reproché d’être souvent contrevenu aux conditions d’utilisation du réseau de microblogging, notamment en incitant à la haine raciale. Une juge new-yorkaise a suggéré que dans cette affaire, une solution serait que le président accepte de mettre en « mute » (sourdine) les utilisateurs de Twitter qui lui déplaisent plutôt que de les bloquer, faute de quoi elle serait amenée à trancher cette affaire sous peu, a rapporté le mois dernier Associated Press.

Jean Lasar
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