La législation luxembourgeoise prévoit de multiples critères minimaux de salubrité, d’hygiène, de sécurité et d’habitabilité auxquels les logements doivent se conformer. À partir de l’âge de douze ans, toute personne logeant au Luxembourg doit avoir sa propre chambre à coucher. L’espace minimum dont chacun, y inclus les enfants, doit disposer est définit en mètres carrés. Les familles qui ne parviennent pas à se loger selon ces critères risquent d’être signalées auprès des tribunaux. Les conséquences peuvent mener jusqu’au placement des enfants. En même temps, le Statec constate que la présence d’enfants dans un ménage est très fortement associée à un risque de pauvreté. Avec un taux de 44 pour cent, les familles monoparentales sont de loin les plus touchées au Luxembourg. Le logement contribue fortement à cette pauvreté, car les ménages monoparentaux allouent près de quarante pour cent de leur revenu disponible aux dépenses d’habitation.
L’Ombudsman pour enfants, Charel Schmit, constate la croissance des difficultés de logement des familles monoparentales et des femmes enceintes. Pourtant, beaucoup d’entre elles apportent de bons soins à leurs enfants. Dans ces cas, où seul l’état du logement pose problème, il serait, selon Schmit, dans l’intérêt de l’enfant de rester et de grandir dans sa famille. C’est pourquoi, il veut éviter le placement de ces enfants et souligne la nécessité d’accompagner la famille entière en attendant qu’une solution soit trouvée.
L’avocate Françoise Nsan-Nwet, spécialisée en droit de l'immigration et de l'asile, en droit de la famille et droit du travail, explique que l’intégration au marché privé s’avère presqu’impossible pour ces familles. Déjà à cause des loyers qui explosent. Ensuite, les abus se multiplient au niveau des frais, des contrats et des règles de salubrité. S’ajoute l’absence de jouissance paisible : Certains propriétaires débarqueraient chez les locataires sans prévenir et circuleraient dans les logements. L’avocate déplore que les mères monoparentales sont les plus exposées. Leurs dossiers ne seraient généralement pas acceptés par les agences immobilières. Des propriétaires introduiraient des clauses discriminatoires dans les contrats de bail qui touchent les libertés individuelles des femmes. Elle cite des baux interdisant d’avoir des enfants. À défaut de l’écrire dans les contrats, certains propriétaires le diraient.
En tant qu’assistante sociale au service Alupse-Bébé, Sandra De Campos fait des visites à domicile avec une équipe composée de sage-femmes, d’assistants sociaux, de psychologues et d’infirmiers pédiatriques. Elle constate qu’« environ un tiers des femmes accompagnées par le service sont logées dans des conditions inadaptées ». Même si la plupart d’entre elles travaillent, leurs revenus sont insuffisants pour payer le loyer d’un appartement. Elles vivent alors avec leur(s) enfant(s) dans une seule chambre. Ce ne sont pas des appartements ou des studios, mais des chambres dans des colocations ou au-dessus de cafés. Ces colocations sont situées dans des appartements et maisons transformés pour aménager un maximum de chambres à louer. Les salons y deviennent des chambres à coucher. Les cuisines et les salles de bains sont des espaces communs dépourvus d’objets personnels et de décoration. La cohabitation dans ces circonstances crée souvent des tensions entre les occupants. Le seul endroit privé où les femmes et les enfants peuvent se retirer est leur chambre. Afin d’aménager de l’espace suffisant pendant la journée, certaines mères se trouvent à ranger tous les matins les matelas sur lesquels elles dorment avec leurs enfants. Il n’existe aucune intimité.
Dans les chambres de cafés, les femmes et les enfants subissent le bruit incessant et des odeurs fortes dans un environnement peu adapté voire dangereux : risque d’urine, de seringues, de vomissements et de vol. Pas question de laisser une poussette dans le couloir, avertit De Campos. Elle souligne l’insalubrité dans laquelle ces femmes et leurs enfants sont souvent contraints de vivre. Des moisissures et champignons sur les murs peuvent engendrer des problèmes respiratoires. S’y ajoutent les dangers d’incendie liés à l’électricité qui, dans certains cas, n’est pas conforme. Parfois, des trous dans le plancher laissent voir les étages en-dessous. Selon De Campos, ces mères savent que leur logement n’est pas adapté pour y vivre avec un bébé, mais elles sont dans l’impossibilité de trouver une alternative. Par crainte de perdre leur logement, elles vont parfois jusqu’à essayer de cacher leur grossesse ou même l’arrivée de leur bébé au voisinage. S’ajoute l’aspect sonore ; le moyen de communication principal des bébés sont les pleurs. Vivant entouré de murs très minces et dans l’effort d’atténuer les tensions dans les locaux, les mères tentent de garder leurs bébés le plus silencieux possible. De Campos constate que cette situation de stress génère un risque accru de « syndrome de bébé secoué ». L’intervention à domicile par Alupse-Bébé et les sage-femmes de métier permet de minimiser ce risque par le partage d’informations et le soutien des mères. D’ailleurs, ces professionnels peuvent relier le plus tôt possible les femmes et les enfants vulnérables aux services d’aide.
Le Land a rencontré Salwa (nom modifié), aujourd’hui maman de quatre enfants, qui tente de survivre sur le marché immobilier. D’origine belge, elle est aujourd’hui Luxembourgeoise et habite une maison au sud du pays. En 2009, alors qu’elle est au début de sa vingtaine et enceinte de son deuxième enfant, elle cherche un appartement. À ce moment Salwa, bénéficie du Revis et détient d’une promesse d’embauche à plein temps en CDI, qui lui permettrait de payer le loyer d’un appartement. Les agences immobilières vont cependant refuser son dossier, arguant un manque de sécurité. Femme? Mère? Enceinte? Au Revis? Hors de question. Salwa va s’inscrire sur les listes d’attente pour les logements sociaux et pour les différentes aides sociales auxquelles elle a droit. Elle se rappelle des paperasses interminables. « Tu dois exposer ta vie entière et tu dois prouver et justifier ta détresse », dit-elle. Lors de son inscription pour un logement social, la liste d’attente auprès du Fonds du logement aurait été de huit ans. Fin janvier 2024, 5 996 familles étaient en attente d’un logement social.
Après des mois de recherche, Salwa reste sans solution alors qu’elle doit quitter son lieu de résidence. Elle se retrouve contrainte à un « retour en enfer », chez son ex-conjoint, qui lui avait infligé des violences physiques, psychiques et financières. Elle déménage en France, non-loin de la frontière luxembourgeoise avec son ainé et son nouveau-né. Ils vivent alors à quatre, elle-même, ses deux enfants, et son ex-conjoint violent, dans 23 mètres carrés. Salwa n’abandonne pas ses recherches de logement. Quelques mois plus tard, une collègue la met en contact avec un propriétaire qui dispose d’un logement au sud du Luxembourg. La même collègue lui prête 2 000 euros pour qu’elle puisse payer la caution. Cela permet à Salwa de quitter son ex-conjoint avec ses enfants et de s’installer de nouveau au Luxembourg. Ici, elle dédie presque deux tiers de son revenu mensuel au loyer et continue donc à renouveler sa demande pour un logement social.
Enfin, vers 2014, quatre ans après sa demande initiale pour un logement social, Salwa reçoit une offre. Deux chambres, un salon, une cuisine et une salle de bain pour 600 euros par mois. Elle a deux semaines pour accepter et y déménager. Elle accepte immédiatement. Dans ce nouveau logement, il n’y a pas de meubles, la cuisine et la salle de bain ne sont équipées que d’un robinet et d’une armoire chacune. Salwa contacte un électricien pour installer une cuisine fonctionnelle et en même temps fait tout pour aménager le plus rapidement possible et aux plus petits prix – elle réalise une grande partie des travaux elle-même. Une fois installée, elle y reste pendant trois ans avec ses enfants. Tout au long de ce parcours, Salwa assure seule la garde de ses deux enfants. Sans le soutien de son entourage qui s’est engagé pour elle, Salwa ne sait pas comment elle l’aurait fait. Comme tant de familles monoparentales, la vulnérabilité de Salwa s’est étendue à ses enfants qui, eux-aussi, ont dû s’adapter à la pauvreté.
La version en ligne de cet article a été corrigée par rapport à la version imprimée qui disait que l'avocate Françoise Nsan-Nwet était spécialisée en droit de la faillite et du surendettement.