Nordstad

Contre la montre

d'Lëtzebuerger Land du 02.08.2007

L’autoroute du nord, la Nordstrooss, devrait être accessible au traficvenant des hauteurs du pays jusqu’à Lorentzweiler dès l’automneprochain. Ensuite, il faudra attendre au moins l’année 2011 pour pouvoir arriver d’untrait jusqu’au Kirchberg.

Ce qui peut paraître positif pour les usagers – pour autant qu’ils nese voient immobilisés par les bouchons –, est une véritable pressionpour les partisans du développement de la Nordstad. Car, si le trajet vers la capitale sera possible, en principe, en une petite vingtaine de minutes, l’attractivité de la grande agglomération se fera au détriment d’autres régions. Un exemple concret a été le projet de complexe cinématographique prévu à Diekirch, mis en veille parce que l’afflux des visiteurs venant du nord à l’Utopolis au Kirchberg est attendu.

Le temps presse,une première concrétisation des visions pour l’aménagement de l’axe central entre Ettelbruck et Diekirch vient d’être présentée (d’Land 23/07). Le lauréat de la consultation rémunérée a été le masterplan ZAN du bureau d’architectesChristian Bauer et associés. La finalisation intègrera aussi certaines idées ponctuelles formulées par les quatre autres bureaux d’études qui avaient participé à ce concours.

Or, trente ans ont été perdus. En 1973 déjà, le juriste, économiste etauteur luxembourgeois Adrien Ries avait lancé l’idée de la Nordstad en tant qu’exemple pour l’aménagement du territoire, devant un oratoire de représentants de l’union commerciale de Diekirch. En 1978, cette région fut définie comme troisième pôle de développement dans le premier programme directeur de l’aménagement du territoire. Ensuite, ce fut le silence radio. Jusqu’àl’élaboration de l’IVL (Integriertes Verkehrs- und Landesentwicklungskonzept) en 2004.

Pendant trente ans, le nord n’a manifestement pas fait partie des priorités politiques des gouvernements successifs. Reste à savoir s’il le sera maintenant. Certes, l’État investit 960 000 euros pour faire démarrer la machine, mais le plus gros reste à venir. La réalisation de l’axe entre Ettelbruck et Diekirch est estimé à un milliard d’euros, selon le bourgmestre d’Erpeldange Francis Dahm, le co-président du comité de pilotage politique récemment instauré par la convention entre les six communes et le gouvernement. Le logement est estimé à un demi milliard d’euros. Le projet prévoit la création de 6 000 emplois, 3 000 logements et un accroissement de la populationde 7 000 à 8 000 personnes. 

Le projet est ambitieux et ne fait pas que des heureux. L’écho dans la population est mitigé, globalement positif pour la jeune génération, irréalisable ou utopique pour la « génération active », bien accepté par les personnes de plus de cinquante ans1. Pour Francis Dahm, c’est le signe d’une attente vieille de trente ans qui pourra enfin être réalisée. Jean-Paul Schaaf, le bourgmestre de la ville d’Ettelbruck, est lui d’avis que les craintes exprimées majoritairement par des personnes entre 25 et 49 ans sont dues à un manque d’informations. La visualisation du masterplan aurait donné la fausse impressionque les autorités voudraient cimenter toute la vallée alors quele plan ne voulait montrer que l’espace potentiel disponible. « Il n’y apas encore de sentiment d’appartenance homogène au sein de la population, estime-t-il, nous comptons lancer des réunions d’information avec le public dès l’automne prochain. » 

Fernand Diederich, le maire de Colmar-Berg, pense que les gensont été choqués par l’envergure des bâtiments proposés pour la porte de la Nordstad, craignant de perdre l’aspect rural de la région qui est pourtant l’essence de son identité. Dans l’intervalle, le ministre del’Aménagement du territoire, Jean-Marie Halsdorf (CSV), devra ficeler un projet concret – fiche financière à l’appui – qu’il pourra soumettre à ses collègues du gouvernement afin de pouvoir lancer la réalisation du masterplan. La première étape sera sans doute celle de renforcer les noyaux durs existants : Ettelbruck et Diekirch par un marketing conséquent. La concrétisation de l’axe centrale entre les deux agglomérations constituera la deuxième étape, comme l’aménagement de la porte de la Nordstad avec par exemple laconstruction des immeubles administratifs. 

Ce sera d’ailleurs le test pour mesurer la réelle disposition dugouvernement à décentraliser certaines administrations.En parallèle, l’aménagement de l’axe routier entre Ettelbruck et Diekirch avec la création d’un grand boulevard urbain. Après la disparition de la ligne ferroviaire, ce même tracé sera reprispour le trafic routier. La voie actuelle longeant le monument Patton sera réservée au transport public. Ensuite, la gare d’Ettelbruck, deuxième gare nationale selon le bourgmestre Jean-Paul Schaaf. Celle-ci changera d’aspect après la démolition du « Verband » – le grand bâtiment d’en face – l’aménagement des alentours et l’installation d’une gare pour autobus. Un passage souterrainservira à faire cesser les nuisances du trafic individuel dans ce quartier où la priorité sera donnée au logement et au commerce.

Car le commerce est la vache sacrée des deux pôles Ettelbruck et Diekirch, et représente le plus gros risque d’échec du projet. Selon Francis Dahm, la pression des commerçants est forte et peut être contreproductive pour l’évolution de la dynamique. C’est la raison pour laquelle le renforcement des deux pôles commerciauxest une priorité judicieuse pour éviter d’emblée tout blocage. Car même si d’une part, les six communes sont d’accord sur le principe de développer le commerce sur l’axe centrale pour obtenir une mixité des fonctions, de l’autre, les intérêts locaux priment lorsqu’il s’agit de partager le gâteau. « Il faut cesser la politique de clocher, » explique Jean-Paul Schaaf en ajoutant d’un trait que « le projet ne devra en aucun cas mettre en danger nos commerçants, sinon c’est labagarre. Nous espérons qu’entretemps, nous ne serons pas confrontés à des situations de fait accompli. »

Cependant, un grand magasin de confection prévoit de s’implanterjustement sur un des terrains de l’axe qui est toujours classé zoned’activité. Aussi longtemps que le PAG intracommunal – tabou jusquelà parce que les communes craignaient de devoir céder leur autonomie de gestion – n’aura pas reclassé les terrains, les communes ne pourront en principe pas refuser de tels projets sur leur territoire. Or, cette procédure ne sera sans doute pas bouclée avant deux ans. D’autant plus qu’il faut maintenant persuader les entreprises non tertiaires, implantées sur l’axe, de céder leurs terrains pour migrer vers la zone d’activité Fridhaff, un espace de 28 hectares situés sur les hauteurs. 

Il faut donc négocier d’une part avec les propriétaires de chaqueterrain de l’axe centrale et clarifier parallèlement la situation au niveau des propriétaires des parcelles du Fridhaff. Ce qui rend la donne beaucoup plus compliquée que pour la réalisation du projet Esch-Belval, avec l’Arbed pour unique propriétaire des lieux.L’entreprise Multiplan – qui réalise le projet Belval Plaza – a d’ailleurs annoncé son intérêt pour la Nordstad. Francis Dahm ajoute qu’une banque, dont il préfère taire le nom, s’est aussi portée candidate. 

Cette ouverture aux investisseurs privés sera renduepossible par la création d’un « Fonds de développement urbain »,qui donnera une base légale à cette collaboration entre l’État, les sixcommunes (Colmar-Berg, Schieren, Ettelbruck, Erpeldange, Diekirch et Bettendorf) et le domaine privé. L’autonomie communale est certes le prix à payer, même si cela ne signifie pas que la prise de décision ne peut être influencée par chaque membre présent, comme le souligne Jean-Paul Schaaf. La réalisation de la Nordstad et le renforcement de cette région permettront de créer un contrepoids par rapport aux deux autres pôles nationaux que sont la capitale et la ville d’Esch/Alzette. « Si nous nous limitons à vouloir conserver nos prérogatives, l’évolution s’arrêtera au niveau du Mierscherbierg, » estime Fernand Diederich, qui met pourtant un bémol à l’enthousiasme ambiant : « Il faut voir la réalité en face. Les plans sur papier sont bien beaux, mais la question du financement reste entièrement ouverte. »

1 Lors de l’exposition du projet pilote en juin/juillet à Ettelbruck, la commune de Diekirch et le ministère de l’Intérieur avaient effectué deux sondages auprès du public sur les visions futuresconcernant la Nordstad. 

anne heniqui
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