Le marché de la location au Grand-Duché de Luxembourg

Une cartographie des locataires

d'Lëtzebuerger Land du 28.02.2014

Au Grand-Duché de Luxembourg, les locataires et les ménages logés gratuitement par un membre de leur famille, des amis ou leur employeur représentaient environ 31 pour cent des ménages selon le Recensement de la population réalisé par le Statec en 2011. 69 pour cent des ménages étaient quant à eux « propriétaires » de leur logement au sens large, incluant environ pour moitié des accédants à la propriété ayant encore un ou plusieurs crédits à rembourser pour l’acquisition de leur résidence principale, et pour une autre moitié des ménages ayant terminé intégralement ces remboursements.

La propriété de la résidence principale reste donc le modèle résidentiel dominant au Luxembourg. Il s’agit en tout cas d’un projet résidentiel très largement partagé par les résidents de nationalité luxembourgeoise ainsi que par une large part des résidents étrangers (comme l’indique par exemple la Note n°16 de l’Observatoire de l’habitat de juin 2011). Toutefois, la part des locataires a légèrement augmenté depuis une décennie : en 2001, les locataires et les ménages logés gratuitement ne représentaient encore que 29 pourcent des ménages environ (Statec, Recensement général de la population, 2001).

La part des locataires au Luxembourg est proche de la proportion moyenne relevée dans l’Union européenne à 27 pays en 2010 (29,3 pour cent selon Euro-stat). Cette moyenne européenne est très largement supérieure à celle relevée dans la plupart des pays de l’Est, mais également du Sud de l’Europe (dans lesquels le modèle de la propriété du logement est encore plus dominant qu’au Luxembourg) : les ménages locataires et logés gratuitement ne représentaient ainsi que 17 pour cent des ménages en Espagne en 2010. A l’inverse, la proportion relevée au Luxembourg est très nettement inférieure à la part des locataires observée en Allemagne et en Autriche : les ménages locataires et logés gratuitement représentaient ainsi 46,8 pour cent des ménages en Allemagne en 2010 et 42,6 pour cent en Autriche (Eurostat, 2010).

Parmi les ménages locataires au Grand-Duché de Luxembourg, il existe également des différences assez nettes dans la nature des relations contractuelles avec le bailleur et dans le type de loyer payé. Environ 26 pour cent des ménages résidant au Grand-Duché de Luxembourg sont locataires d’un logement sur le marché locatif privé. Seuls 1,5 pour cent des ménages louent des logements sociaux du Fonds du logement, de la Société nationale des habitations à bon marché ou appartenant à des administrations communales, ce qui correspond à un total d’environ 3 000 logements locatifs sociaux. 1,5 pour cent des ménages sont des ménages locataires payant un loyer inférieur au prix du marché, non pas parce qu’ils vivent dans un logement locatif social, mais parce qu’ils sont logés par des membres de leur famille ou bénéficient d’une aide de leur employeur. Enfin, environ deux pour cent des ménages sont logés à titre gratuit. Ici, il apparaît que l’appel à l’aide intergénérationnelle est une dimension essentielle au Luxembourg, pour ceux qui accèdent à la propriété, mais également pour le paiement d’un loyer. Cette aide permet, dans certains cas, de pallier l’absence de subventions de l’État, ou vient en complément des dispositifs existants.

Les individus de nationalité luxembourgeoise sont bien souvent propriétaires de leur logement, alors que les étrangers sont plus fréquemment locataires, par nécessité ou par choix. Ainsi, les ménages dont le chef de famille est de nationalité luxembourgeoise ne représentent que 28 pour cent des ménages locataires, alors qu’ils représentent 58 pour cent de l’ensemble des ménages résidant au Luxembourg. A l’inverse, les ménages dont le chef de famille est de nationalité portugaise, italienne ou française sont surreprésentés parmi les locataires sur le marché privé.

Les ménages locataires de leur logement sont également plus fréquemment des personnes seules et des familles monoparentales : les personnes seules représentent près de quarante pour cent des locataires sur le marché privé, et les familles monoparentales environ 18 pour cent. Les couples avec un ou plusieurs enfant(s) ne représentent quant à eux que 22 pour cent des ménages locataires.

En 2011, les ménages locataires du parc privé résidaient dans leur grande majorité en appartements (79 pour cent), alors que la situation est inversée pour les propriétaires qui logeaient pour 77 pour cent d’entre eux dans des maisons.

Les statistiques issues du Recensement de la population 2011 du Statec fournissent une information précieuse et détaillée pour localiser les locataires au Luxembourg. Il apparait ainsi que la capitale est de loin le plus gros pôle d’activité du marché locatif dans le pays : Luxembourg-Ville concentre ainsi près de 38 pour cent des ménages locataires du pays (soit environ 23 200 ménages sur les 61 600 ménages locataires environ que comptait le pays en 2011). Les deux autres gros pôles d’activité du marché de la location se situaient dans les communes limitrophes de la capitale (notamment Hesperange, Strassen et Bertrange) et dans le sud-ouest du pays.

Les douze communes de la région d’aménagement Sud concentraient ainsi plus de 24 pour cent des ménages locataires du pays en 2011 (dont huit pour cent pour la seule ville d’Esch-sur-Alzette, quatre pour cent à Differdange et trois pour cent à Dudelange). À l’inverse, dans les communes de l’est et du nord du pays, la proportion de ménages locataires est souvent assez limitée (le modèle dominant étant l’accession à la propriété).

Nous pouvons noter également que le taux de rotation au sein du marché locatif privé semble particulièrement important dans la capitale. En effet, si elle concentre 38 pour cent des ménages locataires du pays, elle regroupe dans le même temps 43 pour cent des offres de location d’appartements et de maisons (selon les statistiques de l’Observatoire de l’habitat sur les annonces immobilières en 2013). Les changements de locataires et la mise en location de nouveaux logements semblent donc plus fréquents dans la capitale que dans les autres zones du pays.

La part du revenu disponible des ménages consacré aux dépenses de logement a tendance à augmenter depuis plusieurs années. C’est particulièrement le cas pour les outsiders du marché du logement, c’est-à-dire les ménages les plus jeunes principalement qui sont contraints de changer de logement, pour des raisons professionnelles ou familiales (en cas de mise en couple, de naissance d’un enfant, de divorce etc.).

Au contraire, les ménages occupant le même logement depuis longtemps n’ont pas été affectés dans la même proportion. C’est évidemment le cas parmi les propriétaires, pour lesquels les hausses récentes des prix du logement ont même constitué une augmentation de leur patrimoine. Mais c’est également le cas pour les locataires, puisque les loyers en cas de changement de location ont augmenté beaucoup plus vite que les loyers des ménages qui n’ont pas changé de logement. Finalement, les mouvements récents des prix de vente et des loyers ont conduit à une forte redistribution des revenus et de la richesse.

Selon l’Observatoire de l’habitat, les loyers proposés à la location ont augmenté de 18 pour cent pour les maisons et de 27,3 pour cent pour les appartements entre le premier trimestre 2005 et le troisième trimestre 2013. Les évolutions relevées pour les appartements sont nettement supérieures au taux d’inflation observé sur la même période :l’Indice des prix à la consommation national a augmenté d’environ 21,6 pour cent entre le premier trimestre 2005 et le troisième trimestre 2013. En revanche, ces chiffres suggèrent que les loyers annoncés des maisons en euros constants (c’est-à-dire déflatés des effets de l’inflation) ont légèrement diminué sur la période.

Toutefois, ces chiffres couvrent des réalités très différentes selon les types de biens proposés à la location. En effet, les loyers annoncés des petits appartements, souvent occupés par de jeunes adultes ou par des ménages modestes, ont augmenté beaucoup plus nettement : les loyers annoncés moyens des studios ont augmenté d’environ 35,7 pour cent entre le premier trimestre 2005 et le troisième trimestre 2013, et ceux des appartements possédant une seule chambre de 34 pour cent environ. Dès lors, ce sont souvent les ménages les plus modestes qui ont subi les hausses les plus importantes dans les loyers annoncés.

Les hausses de loyers au cours des vingt dernières années sont principalement dues à l’énorme augmentation de la demande en logements locatifs, qui elles-mêmes s’expliquent par la croissance continue de la population nationale (+36,6 pour cent en vingt ans, soit une croissance exceptionnelle et unique en Europe) et par des changements sociodémographiques (augmentation des divorces/séparations, progression du taux des ménages monoparentaux et de personnes vivant seules, vieillissement de la population) entraînant une forte augmentation des ménages composés d’une ou de deux personnes.

Une étude du Ceps/Instead, réalisée dans le cadre du projet de loi concernant l’introduction d’une subvention de loyer, s’est intéressée aux évolutions récentes dans les taux d’effort (définis comme la part de leur revenu disponible net que les ménages consacrent au paiement de leur loyer, sans les charges) des ménages locataires du parc privé. Il en ressort que le taux d’effort moyen des 25 pour cent des ménages locataires les plus modestes (ceux qui appartiennent au premier quartile de niveau de vie) a augmenté de quatre points de pourcentage entre 2004 et 2010 (passant de 29 pour cent en 2004 à 33 pour cent en 2010). Dans le même temps, le taux d’effort moyen des autres ménages locataires du parc privé (plus aisés) a très légèrement diminué (passant de vingt pour cent en 2004 à 19 pour cent en 2010).

L’écart dans la charge financière liée au coût du loyer s’est donc creusé ces dernières années entre les ménages les plus modestes et les autres locataires du parc privé. Ce phénomène provient à la fois des évolutions récentes de leur revenu et de celles des loyers dont ils s’acquittent. Le revenu disponible a en effet augmenté beaucoup plus vite pour les ménages plus aisés (+24 pour cent) que pour les ménages plus modestes (+12 pour cent) entre 2004 et 2010. Parallèlement, le coût du loyer a évolué plus rapidement que le pouvoir d’achat des ménages plus modestes, alors que pour les ménages plus aisés, la hausse de leur revenu a plus que compensé celle du coût du logement.

Les locataires du marché privé représentent aujourd’hui environ 26 pour cent de l’ensemble des ménages résidant au Grand-Duché de Luxembourg. Ils constituent une population particulièrement touchée par les hausses du coût du logement et par l’accroissement de la part de leurs revenus qu’ils doivent consacrer aux dépenses de logement. C’est pour cette raison que le gouvernement a introduit en février 2013 un projet de loi portant introduction d’une subvention de loyer. Cette subvention ciblerait plus spécifiquement les ménages dont les revenus se situent en-dessous du seuil de risque de pauvreté. Elle aurait pour objectif de rapprocher le poids des dépenses de logement pour ces ménages aux alentours d’un plafond maximal « raisonnable » de un tiers de de leurs revenus disponibles nets.

C’est également avec l’objectif de mieux encadrer les évolutions des loyers que le nouveau gouvernement a précisé dans son programme gouvernemental que « des statistiques fiables sur les loyers réellement payés seront établies », en prenant exemple sur les dispositifs de type « Mietspiegel » (cadastre des loyers) à l’œuvre dans de nombreuses communes allemandes.

Toutefois, il faut souligner que ces nouveaux dispositifs ne sauront trouver leur pleine efficacité qu’à condition d’augmenter dans le même temps l’offre locative, pour éviter qu’un soutien à la demande ne se traduise par une hausse supplémentaire des loyers, ou qu’un dispositif renforcé de contrôle des loyers ne conduise à une pénurie de logements locatifs.

Julien Licheron est chercheur au Ceps/Instead.
Julien Licheron
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