Chroniques de la Cour

Une armée de fonctionnaires répartis on ne sait où

d'Lëtzebuerger Land vom 28.05.2021

Trois tours majestueuses, dont le point culminant de la capitale, vides depuis un an. Une armée de fonctionnaires répartis on ne sait où. Un syndicat qui accuse le comité du personnel d’infantiliser ses troupes. Une administration qui lance seulement maintenant un sondage pour y voir plus clair. À la Cour, la mise en place du télétravail post-Covid en est à ses balbutiements. Le greffier responsable de l’administration semble travailler à la petite semaine. Dans une missive au personnel, il explique que le régime du travail à domicile généralisé, applicable jusqu’au 21 mai, est prolongé jusqu’au 15 juillet. La seule différence : ceux qui ont des difficultés à travailler depuis chez eux ont maintenant accès aux bâtiments.

Les vacances judiciaires commencent le 15 juillet et dureront jusqu’au 31 août. Pendant cette période, il n’y a pas d’audience et les juges, du moins ceux qui ont résidé à Luxembourg pendant la crise, quitteront le Grand-duché. Le greffier demande que pendant ces vacances, le personnel, « pour reprendre des forces », prennent au moins dix jours consécutifs de vacances. Pendant la même période, et pour se rapprocher des leurs pays d’origine, ils peuvent travailler en dehors de leur lieu d’affectation statutaire qui est, rappelons-le, le Luxembourg et par extension, ses régions frontalières, en gros jusqu’à Arlon, Metz et Trêves. La Cour ne donne aucun chiffre précis, ne confirme ni n’infirme que certains au sein du personnel et parmi les juges, ont anticipé.

À partir de septembre, c’est la grande inconnue. La Cour en est à attendre le résultat d’un sondage maison, concocté par la direction des ressources humaines et le comité du personnel. Il constituera « une première étape vers la mise en place d’un environnement de travail renouvelé ». Jusqu’au 1er juin, le personnel est invité à exprimer « ses attentes pour l’avenir », à répondre à des questions sur la répartition idéale entre les fonctions à domicile et celles effectuées dans les locaux, sur « l’attractivité » des activités sur place (séminaire, forum, vernissage, centre de santé ou déjeuners entre collègues…), et sur son ressenti concernant l’autonomie professionnelle. Le comité du personnel relève dans une de ses lettres que 71 pour cent du personnel à la cour est bien adapté au télétravail, 8,5 pour cent ne l’est pas et 20,5 pour cent « ni l’un ni l’autre ».

Pour l’EPSU-CJ, qui se présente comme le syndicat représentatif et est reconnu comme tel par la Cour, des questions sociales d’une telle envergure ne se résolvent pas avec un simple sondage. « L’intérêt général n’est pas à la somme des intérêts individuels, ni de ceux d’une majorité », lit-on dans son rapport annuel de 2021. Il veut une réflexion globale et une négociation collective « conformément au rôle d’un syndicat ».

Le syndicat a d’ailleurs un vieux contentieux avec le comité du personnel accusé de n’être plus qu’un simple auxiliaire de l’administration laquelle, en mettant à sa disposition ses importants moyens financiers en audiovisuels, lui a permis de créer un « star system », à base de spots télévisés et de romans-photos « d’inspiration psycho-individualiste » ! Il déplore aussi « un brouillard d’opacité » qui plane sur l’institution.

L’EPSU-CJ redoute une expansion démesurée du télétravail avec risque de perte d’emplois et dé-tricotage du service public européen. « C’est bien s’ils veulent perpétuer le télétravail, mais si la présence du travailleur n’est plus souhaitable sur place, à quoi bon alors devoir vivre à proximité sur son lieu d’affectation, ce qui est pourtant une obligation du fonctionnaire prévue par son statut. Au Parlement, ils ont fait du bricolage statutaire. On vous autorise à vivre chez vous dans votre pays mais on va vous faire travailler en trois-quarts de temps » croit savoir Vassilis Sklias, qui ajoute que « les gens ont tendance à ne pas entamer des réflexions plus complexes. Moi, je suis fonctionnaire, je bénéficie de la permanence de l’emploi si je peux arranger ma façon de travailler de façon moins pénible, moins contraignante plus agréable, tant mieux. Mais je ne dois pas servir de cobaye pour forger les modalités de travail à l’avenir ». Le syndicat estime que s’il y a simple bricolage du statut de la part de l’institution, il pourra difficilement défendre la fonction publique européenne laquelle sera considérée comme dépassée.

Il semblerait que le greffier ne pense pas à un télétravail à cent pour cent mais où mettre le curseur ? Quid de l’application des régimes actuels tels que les horaires flexibles, le temps partiel, ou de la prime de 16 pour cent (dite de dépaysement) en cas de télétravail dans son pays d’origine ? Sans parler des cabinets des juges aux dispositions très particulières. Quid aussi des effets du nouveau régime sur la gestion de la politique immobilière de la Cour, jugée de plus en plus extravagante ou sur le remodelage de son empreinte carbone ? Nul doute que la cour réfléchit mais dans ce dossier comme dans tant d’autres, elle semble toujours souffrir de ses approches brouillonnes et de son manque de transparence.

Dominique Seytre
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