Cliniques sociales de solidarité

Quand la santé devient rêve

d'Lëtzebuerger Land vom 03.04.2015

Les effets de l’austérité sur la santé publique Ils ont été dénoncés en 2011 puis en 2013 par Cephas Lumina, expert indépendant des Nations Unies sur la dette extérieure et les droits de l’homme : les conditions exigées par les bailleurs de fonds internationaux pour le plan de sauvetage de la Grèce ne garantissent pas un niveau de vie conforme aux normes des droits de l’homme pour un nombre croissant de Grecs. Ce qui est également confirmé par le Panorama de la santé publié par l’OCDE et Eurostat en 2013, la plupart des pays ont réduit les dépenses de santé depuis l’éclatement de la crise financière en 2008 : « La Grèce et l’Irlande ont ainsi subi les baisses les plus importantes, respectivement de 11,1 et 6,6 pour cent entre 2009 et 2011 ». La baisse en Grèce a ensuite doublé en 2012. Ce qui équivaut à une chute des salaires du personnel, mais surtout des effectifs et des moyens (préventifs et curatifs) donc à une détérioration de l’état de santé du peuple grec : les impacts de la crise sur la santé publique ne concernent donc pas que les groupes marginalisés. Trois millions de grecs (selon les statistiques officielles), soit près d’un tiers de la population, sont aujourd’hui sans couverture sociale parce qu’ils sont au chômage.

Questions pratiques Une IRM coûte 700 euros, un accouchement normal 900 et une dose de chimiothérapie 2 500 euros. Quand un malade ne peut payer ses soins en avance il est refusé par l’hôpital. Pour ceux qui ont été acceptés en urgence et ne peuvent les rembourser, leur dette est transférée sur leur code fiscal. Dès que la somme impayée dépasse les 5 000 euros, le patient – qui n’a commis aucun crime – peut être emprisonné. Donc, un grand nombre de malades renonce aux soins pour des raisons financières.

Alternatives À Thessalonique, puis dans d’autres villes grecques, existe une démarche de résistance étonnante et réussie : les KIA, cliniques sociales de solidarité. Il ne s’agit ni d’ONG, ni de fondations privées ou de l’initiative d’un parti politique. Les dix médecins – de tous âges et bords politiques – qui s’étaient occupés des 50 sans-papiers en grève de la faim à Thessalonique en 2011 ont décidé, suite à cette expérience, qu’ils voulaient s’engager pour que l’accès aux soins médicaux redevienne un droit pour chacun. Ils ont mis quatre mois pour organiser le Kiathess. L’étage d’un bâtiment leur a été donné par un syndicat d’ouvriers qu’ils ont aménagé et équipé à leurs frais et en collaborant avec des réseaux de collègues généreux. Le jour de l’ouverture, en novembre 2011, les solidaires étaient au nombre de 300. Le centre comporte aujourd’hui une pharmacie complète, deux fauteuils de dentiste – il faut noter ici que les soins dentaires en Grèce ne sont par pris en charge par la sécurité sociale –, un cabinet pédiatrique, un autre psychiatrique, ainsi qu’un réseau de spécialistes dans la ville qui examinent les malades sans frais. Si ce centre s’adressait au départ aux sans-papiers, il est aujourd’hui ouvert à tous ceux qui n’ont pas de couverture sociale. Le taux d’étrangers – 65 pour cent en 2011 – est d’ailleurs inversé aujourd’hui : 70 pour cent des 11 000 patients annuels sont des citoyens grecs. Ce qui est plus impressionnant c’est que la plupart des malades sont de jeunes chômeurs avec leurs familles. Christina Kydona, membre fondatrice du KIA et médecin interne qui travaille à l’hôpital, m’explique qu’ils ont voulu réagir à la « mauvaise conscience des non-assurés parce qu’ils sont au chômage en leur rappelant que l’accès à la médecine est leur droit ».

Fonctionnement Aucune question n’est posée lorsqu’un malade s’adresse au KIA, il est accepté quelle que soit son identité, sa religion, sa situation financière, sa nationalité et sa légalité dans le pays : « S’il vient, cela veut dire qu’il est en besoin ». Le KIA, pour sauvegarder son indépendance et ses positions politiques – notamment anti-austérité et antiraciste – refuse tout financement public grec ou européen et tout financement provenant d’entreprises. Toute donation – médicaments, matériel médical ou argent – se fait de manière anonyme via un compte bancaire qui figure sur le site et c’est ainsi que sont couverts les 4 000 euros mensuels de frais de fonctionnement.

Résultat ? J’ai parlé avec des patients du KIA : un Africain sans-papiers, une jeune Grecque au chômage, un ancien entrepreneur désabusé, etc. Ils me disent tous que « ceux qui travaillent ici, tant d’heures et gratuitement, nous sauvent la vie, mais surtout, ce sont des êtres humains ! ».

Sofia Eliza Bouratsis
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