Entretien avec l’avocat Marc Thewes sur les rapports de force entre locataires et propriétaires et le bon usage du droit

Cher Monsieur le propriétaire...

d'Lëtzebuerger Land vom 28.02.2014

d’Lëtzebuerger Land : En théorie, la loi plafonne les loyers à cinq pour cent du capital investi. Dans la pratique pourtant, ce plafonnement semble peu respecté.

Marc Thewes : La loi prévoit une limitation à cinq pour cent du capital investi au moment de la construction auquel s’ajoutent les frais des travaux d’amélioration ultérieurs. Pour les logements récents, cette règle fonctionne bien, mais pour les logements anciens, il y a souvent un décalage entre la valeur de marché, qui augmente, et le capital investi historiquement. Franchement, je me demande s’il y a beaucoup de bailleurs qui, au moment de déterminer le loyer, effectuent l’opération mathématique prévue par la loi. Ils s’orienteront plutôt sur les prix du marché, en se renseignant par exemple sur les loyers payés pour d’autres appartements dans le même immeuble. Les forces du marché jouent donc librement et la règle légale ne s’applique que si un locataire réclame et introduit éventuellement un recours devant la commission des loyers.

Pourtant, les demandes de réduction du loyer se comptent sur les doigts de la main. Est-ce par peur de se faire expulser ?

C’est en effet le grand risque que courent les locataires. Le propriétaire n’apprécie évidemment pas de voir diminuer ses rentrées de loyer et il sait aussi que s’il remet le bien en location, il trouvera quasi certainement quelqu’un qui lui payera ce qu’il demande. La loi protège les locataires contre les résiliations intempestives, mais, en dernière analyse, il y a toujours une partie qui est propriétaire et une autre qui n’est que locataire. Si le bailleur décide de mettre fin au bail, il y arrivera, à court ou à moyen terme.

En s’inventant pour l’occasion un « besoin personnel » ?

Je n’encouragerais évidemment jamais un propriétaire à agir de la sorte, mais je ne peux pas exclure que certains d’entre eux procèdent de cette manière. La jurisprudence sur ce point est constante : un propriétaire qui possède plusieurs logements, garde pleine liberté d’habiter chacun d’entre eux. Le propriétaire d’une magnifique villa dans les beaux quartiers peut donc décider de s’installer dans un appartement moins bien situé et invoquer un besoin personnel. Si par la suite il se rend compte que cela ne lui convient quand même pas, il peut à nouveau décider d’habiter sa villa, ou un autre bien qui lui appartient.

Pourra-t-il décider cela, disons… au bout d’une nuit ?

Non, il faut quand que l’occupation soit effective. En cas d’abus, la loi prévoit des pénalités équivalentes à au moins un an de loyers. Par contre, dans une telle affaire, l’ancien locataire a la charge de prouver que le propriétaire a agi de mauvaise foi, ce qui n’est pas évident.

Quels sont les principaux problèmes des locataires qui vous consultent ?

Souvent, c’est vers la fin du bail que les choses se corsent. Il s’agit alors surtout de disputes au sujet de l’état des lieux de sortie, du décompte final des charges et de la restitution des garanties locatives. Pendant la durée du bail, les difficultés concernent en règle générale ou bien le montant du loyer et des charges ou bien l’entretien et la réparation du logement.

Et du côté des propriétaires ?

Je dirais que les demandes les plus fréquentes concernent des impayés de loyers et de charges ou des locataires qui, d’une manière ou d’une autre, ne respectent pas les stipulations du bail. Et cela peut parfois être extrême. J’ai vu des bailleurs en pleurs parce que leur locataire avait totalement ravagé l’appartement. Dans un cas précis, qui s’est produit il y a moins d’an, nous avions la preuve qu’un locataire faisait du vacarme, jetait les déchets par la fenêtre et avait même tenté d’incendier l’immeuble. Il ne payait pas non plus son loyer, mais c’était presque secondaire. Malgré cela, il a fallu que le bailleur et les autres habitants de l’immeuble patientent pendant des mois avant d’obtenir un jugement d’expulsion. Car, évidemment, le propriétaire ne peut pas entrer comme bon lui semble et mettre le locataire sur le carreau. Cela constituerait une violation de domicile, une infraction pénale. Le locataire n’a pas été spécialement protégé, mais il a profité de la durée incompressible des procédures. L’inverse est vrai aussi : le locataire dont le propriétaire ne respecte pas ses obligations, en refusant par exemple de faire exécuter des travaux de réparation, n’a pas d’autre possibilité que d’attendre lui aussi une décision du tribunal.

Mais dans des cas comme ceux que vous évoquez, le locataire ne ferait-il pas mieux de prendre les choses en main lui-même ?

Dans notre système, à chaque fois qu’on tente de se faire justice à soi-même, on prend un risque énorme. Par exemple, un locataire insatisfait qui fait une retenue sur le loyer ne respecte plus ses obligations contractuelles même si, dans son esprit, c’est justifié parce que le bailleur ne respecte pas les siennes non plus. Il risque de voir son bail résilié. La façon légalement correcte de procéder, c’est de s’adresser au juge de paix pour obtenir l’autorisation d’effectuer une retenue sur le loyer. Une procédure rapide est même prévue pour ce type de demande. Un autre cas fréquent : Il arrive régulièrement que des locataires décident de quitter le logement avant la fin du bail parce qu’il ne donne pas satisfaction, par exemple parce qu’il est mal isolé ou humide. Cela peut être un motif de résiliation valable, mais il faut y mettre les formes et penser à se munir de preuves sur la situation telle qu’elle était au moment de leur départ. Sans cela, l’affaire est mal engagée et le locataire risque la condamnation.

Bernard Thomas
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