Cour de Justice de l‘UE

Protéger les demandeurs d’asile

d'Lëtzebuerger Land du 06.01.2012

Un demandeur d’asile ne peut pas être transféré vers un État membre de l’UE où il risquerait de subir des traitements humains ou dégradants. Ainsi en a jugé la Cour de justice de l’UE dans un arrêt clé le 21 décembre dernier. Ce jugement fera date car il remet en cause la législation actuelle, le règlement de Dublin II du 18 février 2003, qui prévoit que c’est le pays de premier accueil qui est responsable du traitement d’une demande d’asile. L’objectif de cette législation est d’établir un régime d’asile commun aux 27 et d’éviter qu’un réfugié ne choisisse le pays le plus « coulant » en la matière et que chaque État ne se renvoie la balle pour déterminer qui est responsable de traiter la demande d’asile. Autrement dit si un réfugié entre dans l’UE par la Grèce, et essaie de s’installer dans un autre État pour y demander l’asile, ce dernier doit le renvoyer vers Athènes. Or, cette immigration massive ne peut être absorbée par la Grèce submergée par la crise de la dette. Il s’en suit que les étrangers tentant de passer par cette porte subissent des traitements contraires aux droits de l’homme, comme l’a souligné en janvier 2011 la Cour européenne des droits de l’Homme dans une condamnation de la Grèce.

C’est justement à propos de ce type de transfert vers cet État que les juges européens ont été saisis par deux juridictions britannique et irlandaise qui devaient déterminer le sort de six réfugiés venant d’Afghanistan, d’Iran et d’Algérie entrés dans l’UE par la Grèce et ayant été déboutés d’une demande d’asile au Royaume-Uni et en Irlande. Ces personnes se sont opposées au transfert vers Athènes, invoquant les conditions déplorables qui les y attendaient. Les juges européens devaient dirte si les autorités ayant pris ces décisions de transfert doivent, au préalable, contrôler le respect par l’État responsable des droits fondamentaux.

La Cour de justice a mis un terme à une application systématique du règlement de Dublin II, qui ne tiendrait pas compte du sort réservé aux personnes transférées. Elle a rappelé que ce texte a été élaboré en vue de mettre en place le système européen commun d’asile dans « un contexte permettant de supposer que l’ensemble des États y participant respecte les droits fondamentaux et que les États membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard ». Mais, il ne s’agit pas d’une « présomption irréfragable » (qui n’admet pas de preuve contraire), selon laquelle l’État désigné responsable respecte bien ces droits fondamentaux. Aussi, les autres États doivent s’abstenir de transférer un demandeur d’asile vers l’État responsable (d’origine) « lorsqu’ils ne peuvent ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet État constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants ».

L’État en question doit donc examiner selon d’autres critères du règlement quel pourrait être celui responsable de l’examen de la demande d’asile en veillant à ne pas aggraver une situation de violation des droits fondamentaux du réfugié concerné, notamment en ne le soumettant pas à une procédure « qui serait d’une durée déraisonnable ». Au besoin, il lui incombe d’examiner lui-même la demande. La Cour rappelle que la Charte des droits fondamentaux, partie intégrante du Traité de Lisbonne, prime sur le droit positif et que les États ne doivent pas perdre de vue ces principes en se défaussant de leur responsabilité à l’égard des personnes en situation difficile.

Autant de dispositions qui sont en débat depuis la proposition de la Commission européenne de 2008 visant à amender Dublin II et qui sont bloquées au sein du Conseil de l’UE par la puissante minorité de blocage que constituent l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Certes des mesures ont été prises pour améliorer les conditions des réfugiés en Grèce : des fonds européens ont été alloués, des missions d’observations veillent à l’efficacité des mesures prises par l’État grec mais sont très critiques jusqu’à présent. En outre des dispositions dissuasives ont été déployées telle la mise en place à Évros, à la frontière gréco-turque d’une équipe d’intervention rapide qui « refoule » toute tentative de nouvelle entrée. Avec là aussi certaines réserves quant à cette approche plus musclée.

D’une manière générale le paquet asile est au milieu du gué : ont été adoptés en mai 2010 le règlement établissant un bureau européen d’appui en matière d’asile, en avril 2011 la directive modifiant celle de 2003 sur les résidents de longue durée afin d’étendre son champ d’application aux bénéficiaires d’une protection internationale et en novembre 2011, la directive révisant le texte relatif aux conditions à remplir pour que les ressortissants des pays tiers bénéficient d’une protection internationale. Restent en débat, outre la révision de Dublin II, celle du règlement concernant la base de données d’empreintes digitales Eurodac et celle de la directive relative aux normes minimales sur la procédure d’octroi et de retrait de la protection internationale.

L’arrêt de la Cour devrait changer la donne en imposant une solidarité de fait entre les États qui auront à gérer les refugiés sur leur territoire. Et la commissaire en charge des Affaires intérieures, Cécilia Malmström, a d’ailleurs réagit à ce jugement en appelant « les États membres et le Parlement européen à trouver un compromis pour pouvoir prendre des mesures sur la réalisation d’un système d’asile européen commun d’ici 2012, un délai sur lequel se sont engagés qui tous les pays de l’UE ».

Sophie Mosca
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