Bibliothèque nationale

Au nom du livre

d'Lëtzebuerger Land vom 28.01.2010

Le créneau pour la construction de nouvelles infrastructures culturelles, cette fenêtre ouverte de la politique durant laquelle tout semblait possible, se situait quelque part dans la décennie 1996-2006. Les projets pour de nouvelles Archives nationales à Belval et une nouvelle Biblio-thèque nationale au Kirchberg avaient bien été lancés, des concours d’architecte organisés et des lauréats retenus (Paul Bretz pour les ANL, Bolles [&] Wilson pour la BNL). Mais les deux entreprises ont été freinées dans leur élan par des circonstances extérieures – demande de faire des économies de volume et de budget à Esch, bâtiment Schuman toujours occupé par les services du Parlement européen au Kirchberg – et depuis lors, elles s’enlisent et risquent de faire les frais de la nouvelle politique d’austérité que le gouvernement est en train de fignoler pour les exercices budgétaires à venir.

Alors, après qu’en décembre dernier, un kilomètre linéaire de livres, dont certains anciens, ait été endommagé par des infiltrations d’eau dans les caves du boulevard Roosevelt, c’en est fini de la patience de la directrice de la BNL Monique Kieffer aussi, qui hausse le ton dans une interview au Luxem-burger Wort cette semaine (du 26 janvier), considérant que la situation est désormais « indigne » et soulignant les frais exorbitants causés par cet incident (200 000 euros de frais de restauration) et par l’éparpillement des fonds sur plusieurs lieux de stockage. Actuellement, le gouvernement négocie certes avec le Fonds d’urbanisation et d’aménagement du Kirchberg (Fuak) pour acquérir un terrain alternatif à celui de la Place de l’Europe, plus haut sur le boulevard Kennedy (n° 7). Mais ces négociations sont difficiles, comme le relève Ben Fayot (LSAP) dans une question parlementaire qu’il vient d’adresser au ministre du Développement durable Claude Wiseler, le Fuak insistant sur la valeur de marché du terrain en question. Une solution ne pourra donc être trouvée qu’à moyen terme.

Avec l’énergie du désespoir, la ministre de la Culture Octavie Modert (CSV) tente néanmoins d’afficher son engagement pour une politique du livre plus volontariste – le livre ayant longtemps été le parent pauvre de la politique, que ce soit au niveau des auteurs, des éditeurs, des diffuseurs ou des bibliothèques – ce que même la très critique association de bibliothécaires Albad salue dans ses avis et courriers : acquisition de la bibliothèque du comte d’Ansembourg et de celle des Jordan (pour le Musée de la forteresse), multiplication de conférences de presse aux messages positifs, ne serait-ce que le lancement d’un nouveau site Internet de la BNL, projet de loi pour un soutien financier étatique, structuré et systématique, pour les bibliothèques publiques locales...

C’est ce projet de loi, déposé à la fin de la dernière législature, en avril 2009, qui est actuellement en discussion dans la commission parlementaire de la Culture, qui, après des avis assez dévastateurs du Conseil d’État, du syndicat des communes Syvicol et de l’Albad, vient d’envoyer, lundi, une série d’amendements au texte pour avis au Conseil d’État. L’idée est de soutenir les bibliothèques publiques locales, qu’elles soient municipales (cinq actuellement), communales (une) ou associatives (neuf), majoritairement exploitées par des bénévoles. Ce soutien étatique peut aider à couvrir jusqu’à cinquante pour cent des frais de personnel (pour un maximum de 45 000 euros par an), d’acquisition de livre et de mobilier (pour un maximum de 20 000 euros par an), voire même encourager les regroupements régionaux avec une subvention unique de 75 000 euros. Pour accéder à ces aides, ces bibliothèques seraient soumises à une procédure d’agrément auprès du ministère de la Culture, qui prévoit des minima de professionnalisme de l’accueil et de gestion des collections. Et elles seraient supervisées par une nouvelle section appelée « réseau national des bibliothèques » au sein de la Bibliothèque nationale, qui serait une sorte de « centre de compétence en bibliothéconomie » pour ces structures décentralisées, et participeraient au nouveau Conseil supérieur des bibliothèques institué par cette loi.

Les amendements proposés par les députés tiennent compte des critiques quant aux standards trop contraignants, par exemple de la formation du personnel requis, prévus dans le texte initial, ou des horaires d’ouverture minimaux par semaine. Dans les amendements, les députés prévoient désormais de nombreux renvois à des règlements grand-ducaux pour régler les détails pratiques. Par ailleurs, les députés souhaitent également inclure les bibliothèques thématiques comme celle du Cid-femmes, celle du Mouvement écologique, ou celle de l’Asti et étendre les aides étatiques possibles aux frais de fonctionnement. Les retombées financières locales directes pourraient être une de motivations des députés à vouloir évacuer le projet de loi assez vite. Mais il n’est pas sûr que le ministère des Finances donne encore son aval pour une nouvelle dépense récurrente de l’ordre d’un million d’euros annuels que coûteraient à l’État les mesures prévues dans le texte

La nouvelle association Fir Ëffentlech Bibliotéiken, présentée lundi et présidée par Jean-Claude Reding, veut militer pour les bibliothèques publiques, « surtout celles qui ne correspondent pas aux critères fixés par cette loi » et lance des appels aux dons en argent pour pouvoir soutenir l’installation de nouvelles bibliothèques. Car, n’en déplaise aux apôtres du tout numérique, il s’ouvre encore régulièrement des bibliothèques au Luxembourg – la dernière il y a un an à Ettelbruck.

josée hansen
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