edito

Bicycle Swing State

d'Lëtzebuerger Land du 04.06.2021

Lydie Polfer ne comprend pas le mouvement cycliste de 2021 ; pas plus qu’elle n’avait compris l’intérêt du tram en 1999. La maire DP préfère hystériser la question sécuritaire, cherchant ouvertement le conflit avec trois ministres (socialiste et verts), stigmatisant au passage la Gare et Bonnevoie comme zones infréquentables. Or, il se trouve que ces deux quartiers voisins ne sont toujours pas reliés entre eux par une piste cyclable sécurisée : juste un peu de peinture sur le sol de la congestionnée Rocade de Bonnevoie. Une mise en danger des habitants bien plus réelle que les dealers et leurs clients.

Lydie Polfer (DP) et Laurent Mosar (CSV) ont opté pour un virage vers un libéralisme de droite. Ils se positionnent offensivement contre la coalition au niveau national et le libéralisme de gauche que celle-ci incarne. Si le conseil échevinal avait été l’antichambre de Gambia I entre 2005 et 2013, il est devenu le laboratoire d’une consolidation à droite, voire un plan B en cas d’éclatement du gouvernement. L’agressivité de cette stratégie peut étonner. D’autant plus que les deux boomers apparaissaient comme des futurs has-beens. Alors que la ministre Corinne Cahen est pressentie pour reprendre la succession de Polfer, le (relativement) jeune Serge Wilmes devait mener le CSV au conseil échevinal. Mais celui qui aurait pu devenir maire en 2017 par une triangulation noire-verte-rouge a quasiment disparu de la scène, semblant se contenter du rôle de décorateur en chef dans sa fonction d’échevin des Parcs et Espaces verts.

Le refus de manifester qu’a opposé dans un premier temps le conseil échevinal à ProVelo (sous prétexte que le cortège cycliste gênerait les voitures et bloquerait des places de parking), suivi d’une autorisation d’un itinéraire a minima (ceux qui ne le suivront pas engageront leur « responsabilité personnelle », menace la mairie), est symptomatique d’un déphasage tant sociologique que générationnel. Car les éléments les plus dynamiques du Standort, à savoir les expats, hipsters et eurocrates, demandent à vivre une autre urbanité. Ils ont du mal à s’acclimater au tout-automobile. Cette communauté s’organise en-dehors des circuits institutionnels, dans la bulle Twitter et dans des manifestations de rue. Au compte-gouttes, le conseil échevinal leur accorde des concessions. Mais, fondamentalement, il préfère ne pas trancher entre mobilité « individuelle » et « douce ». (S’il y a une chose que les politiciens luxembourgeois tiennent en horreur, ce sont les arbitrages.) Le rapport de force se négocie donc au quotidien dans les rues. Or, un SUV pèse cent fois plus qu’un vélo.

Par son expérience et son souci du micro-management, Lydie Polfer domine totalement le conseil échevinal. Elle a annulé la révolution de la mobilité par quelques slogans simplistes : Il serait « illusoire » de comparer Luxembourg à Paris : « On est une ancienne ville-forteresse ». Quant aux chefs de services communaux, ils ne sont pas réputés pour leur esprit pro-vélo. Lydie Polfer sait que, jusqu’ici, les élections se gagnaient grâce à une petite minorité d’autochtones. Son fonds de commerce reste donc le clientélisme envers les établis de sa génération : les propriétaires, automobilistes et commerçants qui considèrent une place de parking comme un droit inaliénable. Or, cette base sociale devient de plus en plus étroite.

Si Joe Biden a réussi à remporter les élections présidentielles, c’est grâce aux inscriptions sur les listes électorales des populations jusque-là politiquement marginalisées. Une telle mobilisation aurait également le potentiel de chambouler le paysage politique, jusque-là figé, de la Ville de Luxembourg. Aux dernières élections communales, le taux d’inscription des non-Luxembourgeois n’avait été que de 18 pour cent dans la capitale. Un réservoir électoral de quelque 30 000 électeurs reste donc inexploité. Dans une ville largement gentrifiée, le thème très passionnel des pistes cyclables pourrait avoir le potentiel de provoquer un déclic, et inciter les expats à se faire électeurs. L’éternel bastion Polfer pourrait devenir un swing state.

Bernard Thomas
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