Dès 2009, le président de la Chambre des députés Laurent Mosar (CSV) a promis de transformer le Parlement en une institution ouverte et transparente. Tentative de bilan à mi-mandat

Quand on n’a rien à cacher, on le montre, on le montre

d'Lëtzebuerger Land du 06.01.2012

Des progrès, certes, mais il reste du chemin à parcourir, estime, en résumé, Sven Clement, président de la Piratepartei, interrogé sur les avancées en matière de transparence de la Chambre des députés depuis deux ans et demi. Le sujet est un des chevaux de bataille du jeune parti qui vise déjà les législatives de 2014, il le discuta lors de son dernier congrès en octobre, a élaboré un papier de position dessus, publie des communiqués de presse dès que l’occasion se présente... et a surtout lancé, l’été dernier, Depuwatch.lu, un site Internet indépendant des institutions qui permet de suivre les intérêts financiers des députés, leurs présences en commissions ou en séances plénières et surtout leur comportement de vote sur les projets de loi, motions ou résolutions. 

« Tout cela, on le trouve aussi sur notre site, ces données sont toutes et immédiatement disponibles, rétorque le président du Parlement, Laurent Mosar (CSV). Nous n’avons pas attendu le parti pirate pour le faire ! » Pour Sven Clement pourtant, il s’agit non seulement de rendre l’information disponible, « on peut aussi noyer la transparence dans un torrent d’information brute. L’essentiel est de la publier dans des formats qui permettent de les exploiter, de les traiter et d’établir des corrélations entre différentes données », alors qu’actuellement, des fichiers essentiels comme les déclarations d’intérêts des députés, sont mis en-ligne sous format image – inutilisables. « Pourtant, les citoyens veulent savoir comment leurs élus se comportent », explique Sven Clement. Ainsi, il imagine par exemple que la comparaison des profils Smartvote, élaborés par les politologues de l’Université du Luxembourg avant les législatives de 2009 par lesquels les candidats se définissaient selon leur attitude libérale ou conservative par exemple, aux comportements de vote des mêmes personnes après les élections pourrait être riche en enseignements – on pourrait y lire si l’idéologie personnelle ou la discipline de parti prévaut.

C’est que l’ouverture de la vénérable maison du Marché-aux-herbes se fait à petits pas – mais va en s’accélérant : après des décennies de la seule publication du compte-rendu écrit distribué en toutes boîtes (Chamberbliedchen), avec un décalage de plusieurs semaines, on est passé à la retransmission en direct des séances plénières par la chaîne parlementaire Chamber TV, au site Internet récemment renouvelé, qui publie désormais aussi les compte-rendus (adoptés) des séances des commissions parlementaires, les déclarations d’intérêts des députés, les résultats des votes des lois très rapidement après, l’équipe de communication toujours élargie produit sa propre émission de télévision très pédagogique sur l’actualité politique du moment et des communiqués de presse, annonces et brèves nouvelles sur un fil d’actualité en-ligne... « Et je peux déjà vous annoncer que nous allons bientôt rejoindre les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, le bureau vient de le décider, ajoute le président Laurent Mosar. Puis nous lancerons une application pour tablettes et mobiles en avril. Je crois qu’on pourra alors dire que nous sommes à la hauteur de l’évolution technologique du moment ! » 

Si la transparence est un thème récurrent ces dernières années en politique, non seulement au Luxembourg (voir le cas Christian Wulff en Allemagne, le Président étant accusé d’avoir caché un prêt immobilier avantageux accordé par un homme d’affaires, ami privé de la famille), c’est que les soupçons de conflits d’intérêts vis-à-vis des pouvoirs publics, que ce soient des députés, des ministres ou des fonctionnaires, augmentent. « Il doit être indéniable que les élus agissent dans l’intérêt public et non dans leur intérêt privé », estime ainsi François Bausch, président du groupe parlementaire des Verts. Son parti a quasiment forcé la main à ses confrères, il y a un an, en publiant les rapports de réunion des commissions parlementaires sur un site Internet parallèle – les députés n’ont pu faire autrement que de suivre. 

Ce soupçon généralisé du grand public envers les mandataires politiques et les hauts fonctionnaires, qui existait toujours de manière impalpable, a considérablement augmenté dans le contexte de l’affaire des projets immobiliers de Wickrange et de Livange. Les images des ministres qui se retrouvaient quasiment sur le banc des accusés lors du débat d’actualité au parlement le 13 octobre dernier, forcés à jurer avoir résisté toute possible tentative de corruption de la part du promoteur Flavio Becca (ou autre) resteront désormais comme un memento mori dans la tête de ceux qui seraient attirés par les sirènes de l’argent. Aucun conflit d’intérêts, aucun avantage matériel ou en nature de quelque sorte que ce soit n’a été prouvé, mais le soupçon que, dans la gestion desdits dossiers, l’intérêt privé passait devant l’intérêt public était général. Et le reste même après. 

« Pour moi, le contre-exemple de comment une démocratie devrait fonctionner sont les États-Unis, raconte François Bausch. Les députés y sont extrêmement mal payés et ce sont les lobbyistes qui dominent. Nous jugeons que les élus doivent être correctement rémunérés et, en contrepartie, avoir des barrières morales qui leur interdisent certaines pratiques. » Pour accélérer une prise de décision sur cette question de l’engagement moral des députés, dossier dans lequel beaucoup d’entre eux traînent des pieds, les Verts et le DP avaient déposé, le 13 octobre, une résolution qui, sous une forme légèrement modifiée, a finalement été unanimement adoptée et par laquelle « la Chambre des députés (...) décide d’instaurer un code de déontologie susceptible de fixer des normes et des règles pour les agents publics, les mandataires politiques locaux et nationaux ainsi que les membres du Gouvernement afin de préserver les valeurs de la fonction publique luxembourgeoise afin d’éviter à l’avenir tout conflit d’intérêt ». 

La commission parlementaire des Institutions et de la Révision constitutionnelle s’est penchée dessus une première fois le 9 novembre et fera établir une compilation des codes existants à l’étranger qui pourraient servir d’exemples, avant d’y revenir lors d’une prochaine session. Pour François Bausch, le nouveau Code de conduite du Parlement européen (approuvé par la conférence des présidents le 7 juillet 2011) pourrait servir de base. Les députés y sont tenus à déclarer toutes leurs activités professionnelles et associatives, leurs ressources financières et à se désister d’un dossier et s’abstenir d’un vote sur un thème dans lequel ils pourraient être soupçonnés de conflit d’intérêts. L’acceptation d’un cadeau d’une valeur supérieure à 150 euros est interdite, ceux reçus dans une fonction officielle qui dépassent cette valeur sont à remettre au président du parlement. Un comité interne surveillera désormais l’application de ces règles de conduite et proposera des sanctions à prendre au président du parlement, qui vont de la réprimande à la proposition de suspension de ses fonctions. 

« Il est essentiel que nous clarifions les choses, concède aussi Laurent Mosar. Un tel code de déontologie établissant des règles sur ce qui est permis et ce qui est interdit en tant que député permettra à chacun de mieux orienter sa conduite. » Néanmoins, le président relativise l’envergure de l’enjeu : « Je tiens à souligner qu’en ce qui concerne les conflits d’intérêt, la Chambre des députés n’est pas au premier rang ! Un député n’est jamais qu’un membre d’une assemblée qui en compte soixante. Et en plus, nous votons les lois. Les élus locaux, qui accordent ou refusent les autorisations de construire, ou les ministres, sont beaucoup plus exposés dans ce domaine... » D’ailleurs, en 18 ans d’appartenance au parlement, Laurent Mosar dit ne se souvenir que de « un ou deux cas où on aurait pu soupçonner un conflit d’intérêts ». 

En outre, il lui importe que des élus avec des compétences dans un domaine, acquises durant leur activité professionnelle antérieure ou parallèle, puissent s’impliquer dans le débat public. Des exemples-types sont ceux du lobbyiste de la place financière (le défunt Lucien Thiel, CSV), du syndicaliste (Robert Weber, CSV), du docteur (Martine Mergen, CSV), du juriste ou du maire qui prennent la parole pour discuter les finances publiques, le droit du travail, la santé, la justice ou l’aménagement du territoire... « Nous ne pouvons pas nous priver de ce savoir, dit encore Laurent Mosar. Mais chaque député doit pouvoir voter en âme et conscience. »

La transparence n’est pas une fin en soi, mais vise surtout une politique pour le bien public et à restaurer la confiance des électeurs en leurs élus – et, partant, une meilleur participation démocratique. Un autre moyen d’écouter et d’impliquer les citoyens sont les pétitions : la commission parlementaire afférente vient de proposer un système de pétitions électroniques, plus simple à gérer qu’une pétition papier. Une fois implémentées, ce à quoi le bureau vient de donner son feu vert, ces sujets – et la suite politique du sujet abordé – pourraient être, en parallèle aux travaux parlementaires, discutés en temps réel sur la plateforme chd.lu. « Je constate que les gens qui viennent visiter la Chambre des députés sont très intéressés et aiment discuter sur les questions d’actualité », raconte Laurent Mosar. Qui se définit comme un président proche du peuple, ce qu’il symbolise avec des sorties publiques à la rencontre des démunis ou en visitant des projets sociaux ou éducatifs. La prochaine le mènera à la Stëmm vun der Strooss à Bonnevoie – là où il a commencé il y a deux ans et demi. 

josée hansen
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