Résultats des européennes

Concours de beauté

d'Lëtzebuerger Land vom 17.06.1999

Jup Weber a dû hanter le sommeil de plus d'un candidat des Verts la nuit de dimanche à lundi. À quatre heures du matin, l'avance du parti écologiste sur le PCS pour le dernier siège luxembourgeois au Parlement européen n'était que de 730 voix. Les résultats définitifs de Diekirch et d'Esch-sur-Alzette manquaient cependant toujours à l'appel. Déi Gréng ont même dû attendre lundi après-midi 16.00 heures pour avoir confirmation de l'élection de Camille Gira à l'assemblée de Strasbourg. Aussi bien l'opération Gréng a liberal Allianz (GaL) du député européen sortant Jup Weber que la tentative des chrétien-sociaux de récupérer le troisième siège perdu en 1994 ont échoué. Autant les changements ont été importants au niveau législatif, autant le système électoral luxembourgeois a préservé le statu quo de 1994 aux européennes. Le ticket Juncker/Santer a ainsi permis au PCS (deux sièges) de consolider sa première place (31,7 pour cent, plus 0,2). Le Posl (deux sièges) a sauvé sa position de deuxième parti (23,6 pour cent, moins 1,2) tandis que les libéraux (un siège) ont dû se contenter d'un gain de 1,7 pour cent (à 20,5 pour cent) sans pouvoir déloger les socialistes. Parmi les prétendants au dernier siège à distribuer, les Verts ont pu s'imposer avec 10,7 pour cent (moins 0,2) devant l'ADR (neuf pour cent, plus deux unités). Ces résultats sont d'autant plus étonnants que, s'ils suivent bien les tendances générales du scrutin national, ils le font de manière atténuée. Ainsi, si les élections européennes avaient été la copie conforme des législatives, les socialistes (22 pour cent) de même que les Verts (9,1 pour cent) auraient perdu chacun un siège. Des deux fauteuils strasbourgeois ainsi libérés, le premier serait revenu à l'ADR (11,3 pour cent) et le second au Parti démocratique (22 pour cent). Surtout l'ADR n'a pu confirmer au scrutin européen son résultat obtenu dans les quatre circonscriptions du pays, avec une différence de 2,3 points de pour cent ou une perte d'un cinquième de ses votes. Constat similaire chez les libéraux, qui perdent 1,9 points de pour cent ce qui équivaut à un douzième des suffrages. La situation est à l'opposé chez les chrétien-sociaux (plus 1,6 points de pour cent), les socialistes (plus 1,3) et Déi Gréng (plus 1,6). Le maître incontesté de ce jeu est toutefois la GaL, avec 0,8 points de pour cent en plus au scrutin européen, une hausse de 71 pour cent par rapport aux législatives. Le résultat n'en est pas moins décevant pour Jup Weber : son score personnel aux européennes est avec 5 791 suffrages réduit de moitié comparé à 1994, son Alliance doit de même se contenter de 1,8 pour cent des votes. Adieu, Strasbourg. L'explication de ces divergences entre élections législatives et scrutin européen réside bien sûr dans les résultats obtenus par les candidats les plus populaires au plan national grâce au vote nominatif. Une belle illustration est l'absence de André Hoffmann de la liste européenne de La Gauche (2,8 pour cent), qui coûte à Déi Lénk plus d'un sixième de son résultat aux législatives soit un demi point de pour cent. Sauf à supposer que les 10 649 citoyens de l'Union européenne inscrits sur les listes électorales, 4,6 pour cent des votants, soient à l'origine des différences. Un autre élément est sans doute la notoriété nationale, grâce notamment aux médias, des membres du gouvernement sortant. Les résultats personnels des différents protagonistes restent ainsi largement l'élément le plus croustillant du scrutin à circonscription unique. Certes, par instinct démocratique on préférerait sans doute que les doubles candidatures sur les listes nationales et européennes soient abolies. Le concours de beauté 1999 a toutefois prouvé à nouveau qu'on raterait de bien belles surprises. Charel Goerens s'est ainsi sans doute offert la plus belle revanche. Destitué de la présidence du Parti démocratique après le scrutin de 1994 et exilé à Strasbourg depuis, le député européen de Schieren est revenu le couteau entre les dents. Avec 19 372 suffrages nominatifs, il n'a ainsi pas seulement gagné plus de huit milles voix par rapport à il y a cinq ans, il s'est surtout offert le luxe de sortir en tête de la liste libérale, devançant sa chef de file, Lydie Polfer, de 917 unités. À la différence des élections législatives, les suffrages de liste ne sont pas additionnés aux votes nominatifs dans le décompte du scrutin européen. Pour la bourgmestre de la Ville de Luxembourg, le résultat est moins enthousiasmant. Alors que les libéraux augmentent leur score de près d'un douzième, Lydie Polfer connaît une stagnation relative avec 18 455 votes, un plus de seulement 362 suffrages. La présidente du Parti démocratique reste surtout en retrait de près de 1 900 voix de son résultat de 1989. L'autre ministrable libéral, Henri Grethen, s'en sort mieux avec une progression de 5 788 à 7 184 voix nominatives, doit cependant se contenter de la quatrième place, derrière Colette Flesch, d'ailleurs seule ancienne ministre de la liste. Charel Goerens n'en devient que plus incontournable dans la course aux différents postes de responsabilité qui s'annonce. Une autre revanche est celle de Jacques Santer. Qu'il ait été devancé par Jean-Claude Juncker, la sensation du scrutin de 1994, était cette fois-ci attendu. Qu'il puisse largement dépasser son résultat (décevant) d'il y a cinq ans et, avec 26 596 voix, s'approcher à quelque 1 500 suffrages près de son score de 1989 de même que rester le deuxième candidat le plus populaire du pays l'était moins. Son successeur à l'Hôtel de Bourgogne, si les résultats de dimanche ont été loin de tous lui convenir, peut au moins se réjouir de son excellent résultat personnel. Avec 29 700 il se maintient sans problème comme premier de classe toutes catégories, dépassant le score de Pierre Werner en 1979 (27 305 voix), mais restant derrière les 32 314 suffrages obtenus la même année par Gaston Thorn. L'hiérarchie est davantage bousculée du côté des socialistes. La tête de liste Robert Goebbels (12 247 voix) doit ainsi accepter d'être dépassé sur sa gauche par le sudiste Alex Bodry (14 181 voix). Les deux ministres étaient en 1994 à hauteur égale avec 9 603 suffrages pour le premier et 9 391 pour le second. Les points d'interrogation n'en sont que plus grands autour du rôle futur du ministre de l'Économie sortant au sein du Posl. Jacques Poos (10 782 voix) quant à lui rate quelque peu sa sortie, laissant près d'un quart de ses suffrages nominatifs sur la route entre l'Hôtel Saint-Maximin et l'hémicycle de Strasbourg. L'autre grande absente est Mady Delvaux-Stehres, qui après son résultat sensationnel de 1994 (deuxième de la liste avec 10 507 voix) retombe à la neuvième place avec 6 909 suffrages. Les Verts, pourtant le moins personnalisé des partis, sortent du scrutin avec une nouvelle coqueluche des électeurs. Camille Gira, bourgmestre de Beckerich, devance ainsi avec ses 10 023 voix - 1 598 de moins que Jup Weber en 1994 - de près de quatre mille suffrages le deuxième de liste, François Bausch. Un résultat personnel qui assure au parti un siège à Strasbourg. Les dirigeants du ADR sortent plus groupés des élections européennes. Gast Giberyen (6 212 voix) devance ainsi Roby Mehlen (5 096 voix) de 1 116 unités seulement, Jean-Pierre Koepp se trouvant cinq cents suffrages plus loin avec 4 510. L'ADR est en même temps, avec La Gauche, le parti avec la plus grande proportion de suffrages de liste. Le premier a ainsi obtenu 71 pour cent de ses voix grâce à une petite croix en tête du bulletin, un chiffre qui s'élève à 73 pour cent pour Déi Lénk. Les Verts affichent un ratio de 65 pour cent. Les trois grands partis bénéficient moins de suffrages de liste : 58 pour cent pour le Posl, 56 pour les libéraux et seulement 52 pour le PCS. Le poids des têtes de liste dans le résultat des partis varie lui aussi. Surtout les libéraux et les chrétiens-sociaux doivent ainsi beaucoup à leurs principaux candidats : le résultat de Jean-Claude Juncker représente 9,2 pour cent du total de la liste, celui de Jacques Santer 8,3 pour cent, Charel Goerens pèse quant à lui 9,3 pour cent de sa liste et Lydie Polfer 8,9 pour cent. Des résultats personnels qui font la différence. Une preuve toutefois aussi que la popularité de ces personnalités ne reflète pas toujours sur leurs partis dans leur ensemble. Le Premier ministre sortant l'avait d'ailleurs compris d'avance. Ses appels à ne voter pas seulement pour lui mais surtout pour son parti semblent toutefois être restés lettre morte. Se pose maintenant la question s'il faut en effet prendre possession d'un fauteuil dans l'hémicycle flambant neuf de Strasbourg le 20 juillet prochain. Le risque de tomber complètement dans l'oubli au Grand-Duché semble en tous les cas limité. Viviane Reding et Astrid Lulling ont ainsi décroché la troisième et quatrième place sur la liste du PCS. Elles ont certes dû se ranger derrière le trio Juncker, Santer et Frieden, mais devancent néanmoins trois ministres du gouvernement sortant. Du côté socialiste, Ben Fayot doit lui aussi tenir la porte à un trio ministériel - Bodry, Goebbels et Poos - et se hisse en quatrième place, trois de mieux qu'en 1994. Pour Marcel Schlechter, c'est cependant la dégringolade avec la neuvième place contre la sixième il y a cinq ans. Qui occupera effectivement les sièges strasbourgeois reste encore ouvert. Camille Gira restera au Luxembourg et laisserait sa place à Claude Turmes, placé seulement septième sur la liste. Au Posl, Alex Bodry siègera à la Chambre. La voie est donc ouverte au candidat déclaré Jacques Poos, alors que Ben Fayot attend la décision de Robert Goebbels avant d'être fixé sur son sort. Le député européen était le Luxembourgeois qui occupait le rang le plus élevé dans l'hiérarchie de l'assemblée strasbourgeoise, position qui pourrait le cas échéant encore être renforcée par les débâcles des socialistes britanniques et allemands dimanche dernier. Du côté des libéraux, toutes les portes semblent ouvertes à Charel Goerens, qui ne sera guère tenté de retourner en Alsace, pas plus que Lydie Polfer. Colette Flesch par contre pourrait se décider à prendre sa retraite de directeur général à la Commission européenne pour s'établir au Parlement. Le député luxembourgeois le plus connu - et controversé - sortira des rangs du PCS. Jacques Santer n'a pas laissé de doute qu'il changera dès le 20 juillet son tablier de président démissionnaire de la Commission pour celui d'euro-parlementaire. Qui l'accompagnera, Viviane Reding ou Astrid Lulling, dépendra sans doute du cours que prendront les différentes négociations des prochaines semaines et de la façon dont les ambitions des uns et des autres trouveront satisfaction. Indifférence L'âme démocratique de l'Europe, que veut être le Parlement européen, ne sort guère renforcée du scrutin du 13 juin 1999. Le principal chiffre à retenir de ces cinquième élections directes de l'assemblée de Strasbourg est le taux d'abstention : entre 50 et 55 pour cent contre déjà 44 il y a cinq ans. Ni le renforcement institutionnel du Parlement - grâce au traité d'Amsterdam - ni la démonstration de son pouvoir politique - à travers les affaires de la vache folle et des dysfonctionnements au sein de la Commission - n'ont mobilisé les 298 millions électeurs appelés aux urnes. Le taux de participation de 23 pour cent seulement a ainsi permis aux eurosceptiques britanniques une victoire claire et nette. Si au Luxembourg, la campagne européenne est étouffée d'office par celle des législatives, les sujets communautaires n'étaient pas davantage à l'ordre du jour dans les autres États membres. La structure et les pouvoirs du Parlement européen restent trop différents des coutumes nationales pour que l'électeur puisse vraiment apprécier son rôle institutionnel. Influence des plus limitées sur la composition de la Commission, absence d'un droit d'initiative propre mais aussi absence du concept de majorité et d'opposition font de l'assemblée de Strasbourg avec ses 626 députés un dinosaure difficilement classable. Faute de programmes électoraux communs des grandes familles politiques, les campagnes électorales, se limitant souvent à des discussions autours de lieux communs sur fond de débats nationaux, n'ont pas suffi pour renverser la tendance. Pour l'électeur, il s'agissait en fin de compte d'un scrutin aux conséquences imperceptibles et donc utilisé en premier lieu pour envoyer un signal aux gouvernements en place. Pour l'assemblée elle-même le scrutin se résume dans un renforcement très clair (225 sièges, un plus de 24) des chrétien-démocrates du Parti populaire européen (PPE), qui raflent ainsi pour la première fois la place de premier groupe politique du Parlement aux socialistes du PSE (180 sièges, moins 34). Ces chiffres restent provisoires en attendant que les 54 non-inscrits se décident ou non pour une des huit fractions du Parlement. La question la plus intéressante sera sans doute si les Conservateurs britanniques vont rester fidèles aux europhiles du PPE ou préféreront, fort de leurs 36 députés, créer à nouveau leur propre groupe politique. Le renforcement de la droite dans l'assemblée aura des conséquences limitées dans les décisions du Parlement européen. Plutôt que dans une logique bipolaire, le PE trouve ses majorités traditionnellement par des compromis entre les deux grands groupes, PPE et PSE. Parmi les raisons se trouve l'absence d'une véritable discipline de vote au sein des fractions mais aussi les majorités élevées qu'imposent les traités européens au Parlement s'il veut s'opposer au Conseil des ministres. Il n'en reste pas moins que les dispositions les plus controversées des projets de directives et de règlements discutés par l'assemblé auront plus de chance de passer le cap de Strasbourg s'ils trouvent la grâce du centre-droit.

Jean-Lou Siweck
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