Bilan de la COP28

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d'Lëtzebuerger Land vom 15.12.2023

« Je suis revenu à la #COP28, car nous sommes sur le fil d’un désastre climatique et cette conférence doit marquer un point d’inflexion. Je suis ici pour renouveler mon appel aux dirigeants : Réengagez-vous sur la limite de 1,5 degré de réchauffement. Mettez fin à l’ère des énergies fossiles. Assurez la justice climatique ». Il restait deux jours de négociations lorsque le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a annoncé son retour précipité à Dubaï pour tenter de sauver une « Conference of Parties » mal en point. Son tweet est un bon résumé de l’état des pourparlers internationaux censés préserver l’humanité des pires impacts de son addiction aux hydrocarbures. À l’arrivée, les « bonnes nouvelles » mises en exergue depuis le début de cette COP par ceux qui s’obstinent à voir le verre à moitié plein font pâle figure au regard de l’échec des délégués à adopter un langage un tant soit peu en ligne avec la réalité scientifique. Après qu’un premier projet de texte proposé par la présidence émiratie, aussi flaccide qu’un flexible de pompe à essence, eut été écarté par une majorité d’États lundi, les tractations de la vingt-cinquième heure ont accouché mercredi, au forceps, d’un texte qui, pour la première fois, mentionne une sortie progressive (« transitioning away ») des énergies fossiles.

Hélas, le dispositif détaillé du « Global Stocktake », document prenant acte des efforts entrepris par les parties depuis l’Accord de Paris conclu il y a huit ans, aligne les formulations non contraignantes et les échappatoires. La communauté internationale « appelle » les signataires de la Convention des Nations Unies sur le climat à « contribuer aux efforts globaux suivants, d’une manière déterminée au plan national, prenant en compte l’Accord de Paris et leur différentes circonstances, trajectoires et approches nationales » à travers huit recommandations. La sortie des énergies fossiles figure en quatrième position et ne concerne que les systèmes énergétiques, accompagnée des qualificatifs « juste, ordonnée et équitable », les signataires étant censés « accélérer leurs actions en cette décennie critique ». Le point consacré au charbon, la plus sale des énergies fossiles, prévoit, très modestement, une accélération des efforts d’une réduction de la génération d’énergie à partir de charbon dite « unabated » (non munie de dispositif de captage de CO2). Au point 5 sont mises en avant les technologies zéro ou bas carbone, « y compris, entre autres, les renouvelables, le nucléaire, les technologies de réduction et de suppression telle que la capture, l’utilisation et le stockage de carbone », ainsi que, en particulier pour les secteurs difficiles à décarboner, « la production bas-carbone d’hydrogène ».

Dans le vocabulaire onusien, le choix d’en « appeler » aux États est l’absolu minimum syndical. La réaffirmation appuyée du cadre national est en contradiction avec le caractère global de la crise. Que trente ans de COP engendrent ce texte alambiqué et inopérant témoigne des graves lacunes de la gouvernance internationale. Alors que les effets de la crise climatique se font sentir de manière de plus en plus pressante, jour après jour, pratiquement partout dans le monde, il est alarmant qu’une coalition de producteurs de pétrole, de gaz et de charbon ait réussi à capturer, une fois de plus, un processus de décision international, faisant jouer leurs muscles et misant sans vergogne, en les amplifiant, sur les divergences entre pays.

Sur CNN, ironisant sur le recours incantatoire de la COP28 aux technologies de capture et de stockage de carbone, dont la faisabilité et l’efficacité restent à démontrer, Al Gore a estimé que l’industrie des énergies fossiles s’était avérée « plus apte à capturer les politiciens qu’à capturer les émissions ». Peut-être, a-t-il néanmoins suggéré, cette conférence pourrait-elle être in fine « un mal pour un bien » si elle ouvre les yeux de tous sur l’absurdité de cette situation. Bill McKibben, le fondateur de 350.org, bien que parfaitement lucide sur l’inanité du texte final de cette COP, a voulu y voir une lueur d’espoir : celle que partout dans le monde, les activistes s’emparent du bout de phrase « transitioning away from fossil fuels in energy systems, in a just, orderly and equitable manner » qui y figure pour l’emplir de sens à travers des actions concrètes en faveur de la décarbonation.

Jean Lasar
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