La révolution de la gestion des ressources disponibles est en marche

Améliorer le rendement

d'Lëtzebuerger Land du 10.04.2015

Lorsque le temps est clair, les passagers du vol Air France qui quitte Lyon à 11h05 en direction de Paris sont toujours surpris de voir l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle apparaître au bout de 45 minutes… à quelque 10 000 mètres au-dessous d’eux. L’avion, après avoir survolé les pistes, décrit une large boucle vers l’ouest pour venir se poser à 12h15, à l’heure exacte prévue sur le billet, preuve qu’il ne s’agit pas d’une anomalie. Pourquoi un tel détour de 25 minutes, coûteux en temps et en énergie, sans parler des risques supplémentaires ? Mystère des plans de vol et des routes aériennes…

Cet exemple de gaspillage aurait pu figurer parmi ceux donnés par Stefan Heck et Matt Rogers, deux consultants du cabinet McKinsey dans leur article paru en mars 2014, intitulé « Are you ready for the resource revolution ? » dans lequel ils pointent également des cas étonnants d’inefficacité, de déperdition et de sous-utilisation des ressources.

Cette situation n’est plus tenable, car la demande en énergie et en ressources naturelles est appelée à augmenter à un rythme élevé, en raison notamment de la croissance des pays émergents et de la constitution d’une classe moyenne avide de consommation, qui, d’ici 2030, comptera deux milliards et demi de « nouveaux entrants ». Face à cela, les ressources disponibles ne seront pas suffisantes, d’autant que certaines s’épuisent, et il n’y aura pas d’autre solution que de les exploiter mieux. Il s’agit donc bien d’améliorer leur productivité, tout comme on l’a fait et comme on continue de le faire, avec le facteur travail et avec le capital. Cet effort a déjà été réalisé, naturellement, mais celui qui devra être accompli dans les années à venir sera sans commune mesure (lire encadré). Pour y parvenir, les auteurs, proposent d’explorer cinq pistes, dont trois leur paraissent déterminantes : la substitution, l’optimisation et la virtualisation.

La substitution désigne le remplacement de matières premières ou matériaux rares et coûteux par d’autres plus faciles à se procurer et moins chers. Les auteurs donnent l’exemple de la fibre de carbone dans l’automobile et l’aéronautique ou des plantes dans l’agro-alimentaire : un « œuf » à base de pois, de sorgho et de haricots a déjà été mis au point ! Cerise sur le gâteau, ces matériaux nouveaux sont parfois plus solides ou moins dangereux que les anciens.

La deuxième approche, l’optimisation, concerne la réduction des gaspillages de temps, de matières et d’énergie. Le champ d’action est vaste : on sait peu, par exemple, que la filière de production d’électricité est d’un médiocre rendement. Seulement 35 pour cent de l’énergie produite par une centrale thermique est utilisée, une proportion qui tombe à 27 pour cent pour une centrale nucléaire.

La virtualisation et la digitalisation enfin, signifient « sortir les activités du monde physique, ou tout simplement ne plus avoir à les accomplir car elles ont été automatisées ». Les ménages utilisent aujourd’hui leurs smartphones pour les tâches les plus variées, mais de nombreuses entreprises ou secteurs tardent à s’engager dans cette voie qui remet trop en cause leur modèle d’affaires. La virtualisation a pourtant un impact très favorable sur l’utilisation des ressources. L’augmentation des achats en ligne, tout comme le développement du télé-travail, des télé-conférences et de l’enseignement à distance ont déjà provoqué, dans certains pays, une réduction notable des déplacements individuels. Ainsi aux États-Unis, le nombre de kilomètres parcourus ne cesse de baisser depuis 2004, au grand dam des constructeurs automobiles.

Dans les trois cas, mais surtout en matière de substitution et de virtualisation, les nouvelles technologies ont un rôle déterminant à jouer. Heck et Rogers mettent notamment leur confiance dans la généralisation des capteurs, sur les appareils ménagers, les véhicules (lire encadré) ou les installations industrielles. Ils permettent de produire de grandes quantités d’informations (le big data) dont l’exploitation judicieuse permet à la fois d’économiser ou de mieux affecter les ressources disponibles et de rendre un meilleur service.

Mais pour améliorer le rendement des ressources, les technologies, par ailleurs coûteuses en recherches et en investissements pour les mettre en œuvre, ne suffisent pas. Les consultants de McKinsey croient aussi beaucoup à l’intelligence et à l’ingéniosité des hommes. Dans l’exemple cité plus haut, une révision des plans de vol et une meilleure gestion du trafic permettraient aux compagnies aériennes d’économiser plusieurs millions de litres de kérosène, tout en faisant gagner du temps à leurs clients. La société de livraison express UPS est parvenue à réduire sa consommation de carburant tout en rendant les tournées de ses camions plus sûres et plus rapides en faisant en sorte que les véhicules n’aient plus à virer à gauche et donc à couper la circulation venant d’en face.

Pour les auteurs de l’article, la principale condition du succès est de parvenir à intégrer les nouvelles technologies, les nouveaux modes d’organisation et plus généralement les nouvelles idées à des systèmes anciens, qui restent dominants et sont marqués par une grande force d’inertie. Ils donnent l’exemple de l’électricité. Sa production, sa distribution et même sa consommation ont peu évolué au cours des années récentes. Pourtant il faudra désormais intégrer dans cet « écosystème » les énergies renouvelables, la production par les particuliers (panneaux solaires), de nouvelles utilisations (véhicules électriques) et de nouveaux outils (capteurs de pannes, compteurs intelligents). Les experts notent que si la nécessité d’associer des « briques logicielles » aux équipements industriels traditionnels est unanimement reconnue, « peu d’entreprises y excellent », surtout, malheureusement, les secteurs les plus gourmands en ressources.

Augmenter de manière aussi forte la productivité des ressources exige aussi de « mobiliser les expertises » par l’actualisation des connaissances et l’acquisition de nouvelles compétences. Tous les échelons des organisations sont concernés, y compris leur sommet, car les styles de management et les liens hiérarchiques peuvent également être impactés. Mais le champ des compétences s’en trouve également modifié : de nombreux « cols bleus » (ouvriers au sens traditionnel) devront désormais interpréter des statistiques ou mettre à jour des algorithmes, comme par exemple dans la détection et la réparation des pannes sur les réseaux électriques et gaziers, des tâches et des savoirs encore récemment réservés aux « cols blancs ».

Heck et Rogers voient dans cette évolution une chance pour les salariés, car elle associe une plus grande variété des tâches à l’élévation du niveau des compétences et des responsabilités. Mais par ailleurs elle les oblige à être plus flexibles et à s’adapter à une nouvelle organisation du travail et des carrières. Des exigences qui peuvent se heurter à des contraintes réglementaires (Code du travail) ou à des statuts particuliers (fonctionnaires).

Georges Canto
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