Un festival de textes

d'Lëtzebuerger Land du 15.12.2023

Célébrant vingt ans d’écritures contemporaines, Textes sans frontières offre une édition dédiée à l’Afrique avec des lectures qui font la part belle au chant et à la musique. Démarrée le week-end dernier à l’Ariston, cette édition anniversaire se poursuit jusqu’au 21 décembre. Tout a commencé en 2003 quand Serge Basso de March, nouvellement directeur de la Kulturfabrik, et Marja-Leena Junker, directrice du Théâtre du Centaure, lancent une aventure transfrontalière autour de la mise en voix de nouvelles dramaturgies. Très vite, elle s’enrichira de nouveaux points d’accueil, Lille et Bruxelles tout d’abord...

Les choses prennent une autre tournure en 2007, année où Luxembourg et Sibiu sont Capitales européennes de la culture et où le festival met en lumière la Roumanie. Il ancre alors ses lectures dans la Grande Région puis s’associera avec la Maison Antoine Vitez qui choisit chaque année le corpus de textes. Itinérant, le festival fait se rencontrer auteurs, traducteurs, artistes et publics d’horizons divers dans des lieux partenaires qui se renouvellent (neuf cette année).

L’aventure continue aujourd’hui avec ceux qui ont repris le flambeau après son départ, de quoi réjouir Serge Basso qui, ne pouvant être présent dimanche à l’Ariston, avait tenu à livrer un message. Marja-Leena Junker « heureuse de voir le festival se poursuivre bellement » et Stéphane Gilbart, spectateur de la première heure, ont, rappelé l’essence de ce festival qui « efface des frontières », donne vie à un espace ouvert, célèbre les passeurs d’un « théâtre absolument nécessaire ». À leurs côtés, la nouvelle équipe, Lee Fou Messica (directrice artistique de l’Espace Koltès, Metz), Alexandra Tobelaim (directrice du NEST, Thionville) et le comédien Serge Wolfsperger (collectif Bombyx, Luxembourg).

Textes sans frontières, c’est donc un tour du monde des nouvelles écritures, de la Finlande à la Turquie, des Balkans à l’Espagne, de l’Amérique latine à la Grande Région. L’Afrique est à l’honneur cette année avec quatre pays (Bénin, Cameroun, Nigeria, Ouganda) et quatre textes aux thématiques actuelles très fortes portés par quatre metteur(e)s en scène et seize comédien(ne)s après une semaine de résidence à la Kulturfabrik.

La matinée du 10 décembre a démarré avec Les Filles de Chibok : notre histoire du dramaturge et metteur en scène nigérian Wole Oguntokun. Ce texte qui revient sur l’enlèvement en 2014 par Boko Haram de 276 lycéennes de Chibok (beaucoup sont toujours captives) s’inscrit dans la veine du théâtre documentaire. Basés sur des témoignages de survivantes et de la communauté, récits et monologues alternent pour dire la violence des djihadistes, l’enrôlement des enfants soldats, les mariages forcés des fillettes, l’inaction des autorités. Traduit de l’anglais en 2021, il a été efficacement mis en voix par Marja-Leena Junker avec un beau quintette de comédien(ne)s.

Dans un autre genre, J’ai rendez-vous avec diEU de l’auteure, metteure en scène et performeuse ougandaise Asiimwe Deborah Kawe a le ton de la fable politique et du pamphlet. Le texte a été traduit de l’anglais par Gisèle Joly (présente à Esch-sur-Alzette) et mis en voix par Fábio Godinho. Il en va des aspirations à rallier les États-Unis d’hommes et de femmes confrontés aux rocambolesques tracas d’une administration américaine, machine à broyer tous les espoirs. Histoires privées et histoire publique s’entrechoquent.

À l’affiche l’après-midi, Les Inamovibles (Prix RFI Théâtre 2018) de l’auteur dramatique et metteur en scène béninois Sèdjro Giovanni Houansou, mis en voix par Christine Koetzel. Il y est question de migration et d’exil, de la colère de la jeunesse, de l’échec du départ et de l’impossible retour au pays « dans ce siècle où les hommes ont perdu l’humain en eux ». En plusieurs mouvements, le récit fait se côtoyer réel et fantastique, drame intime et critique sociale et politique.

La belle et intense journée de lectures s’est terminée avec Et cætera de l’auteur dramatique, nouvelliste et poète camerounais Constantin Kouam Tawa. En courts chapitres, dans une suite de monologues, le texte met en relief des récits de destins tragiques et autant de cris de colère contre une société patriarcale qui accepte injustices, violences faites aux filles et aux femmes. Ce texte poétique, mis en voix et en espace par Christof Veillon, est magnifiquement porté par le comédien et musicien Denis Mpunga et la chanteuse et comédienne Alvie Bitemo.

Karine Sitarz
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