Résultats au Luxembourg des européennes

Eurobonus

d'Lëtzebuerger Land du 17.06.2004

Sous le choc, c’est presque passé inaperçu. Alors que Jean Asselborn, tête de liste socialiste, s’efforçait dimanche soir de présenter le score du LSAP aux législatives comme une victoire, les résultats des élections européennes indiquaient de manière toujours plus claire que son parti allait perdre pour la première fois depuis 1979 son deuxième siège au Parlement européen. Le grand vainqueur s’appelle CSV, aussi aux européennes. Les chrétiens-sociaux ré-cupèrent le troisième siège à Strasbourg perdu en 1994.1 Il y a cinq ans, le CSV n’avait raté que de justesse un troisième fauteuil. Déi Gréng avaient dû trembler jusque tôt le matin avant d’avoir confirmation qu’ils récupéraient le mandat de Jup Weber. Cette année, pas besoin de s’inquiéter. Dépassant le DP, les Verts se hissent à la troisième place dans l’hiérarchie des partis luxembourgeois – au moins au scrutin européen. Les deux partis sortent avec un seul siège des élections. Le CSV recueille 37,15 pour cent des suffrages (plus 5,48 p.c.), les socialistes 22,05 pour cent (moins 1,53 p.c.), Déi Gréng 15,04 pour cent (plus 4,34 p.c.), le DP 14,89 pour cent (moins 5,57 p.c.) et l’ADR 8,03 pour cent (moins 0,96 p.c.). 11 565 électeurs communautaires s’étaient joints aux Luxembourgeois pour les élections européennes, seulement mille de plus qu’il y a cinq ans. Déi Gréng, avec à leur tête l’eurodéputé sortant Claude Turmes, bénéficient d’un « eurobonus » sans précédent. Aux européennes, le parti écologiste a obtenu 30 pour cent de suffrages de plus qu’aux législatives (15,04 contre 11,58 pour cent). Le CSV bénéficie de la même tendance, mais à une échelle bien moindre (37,15 pour cent aux européennes contre 36,11 au scrutin national). Tous les autres partis sont en perte de vitesse dans la course pour Strasbourg en comparaison au scrutin national : du LSAP (22,05 contre 23,37 p.c.), en passant par le DP (14,89 contre 16,05 p.c.), jusqu’au ADR (8,03 contre 9,95 p.c.). Malgré d’importants efforts d’augmenter son profil européen (d’Land du 11 juin), l’ADR échoue une fois de plus dans sa quête pour un siège à Strasbourg. Les Verts profitent de la sorte sans doute du fait que nombre de sujets européens qui réussissent à être repris dans les médias sont liés à leurs centres de préoccupation : sécurité alimentaire et protection des consommateurs, par exemple. Déi Gréng prouvent aussi que l’électeur honore la transparence en ce qui concerne les futurs eurodéputés. Claude Turmes prend ainsi une belle revanche. Élu à la septième place de la liste européenne des Verts en 1999, il devait affronter beaucoup de ricanements lorsqu’il acceptait il y a cinq ans le siège à Strasbourg. Les autres députés européens sortants concluent aussi avec les honneurs. Robert Goebbels (LSAP) arrive en deuxième place derrière sa tête de liste. Astrid Lulling est cinquième, derrière trois ministres et la commissaire européenne Viviane Reding. Mais les deux eurocrates du CSV sont en recul en comparaison avec 1999, et ce malgré les gains de leur parti. Comme tous les cinq ans, l’Europe n’était qu’un facteur dans le résultat du scrutin. Les européennes sont toujours aussi un concours de beauté. Quant au vainqueur de ce concours, il n’y a aucun doute. Avec 41 314 suffrages individuels, Jean-Claude Juncker explose tous les records de popularité individuels enregistrés depuis 1979 au scrutin européen. À lui seul, il comptabilise 3,3 pour cent de tous les votes exprimés et 10,3 pour cent de ceux obtenus par son parti, le CSV. Il augmente son résultat de 1999 de 11 614 voix ou 39 pour cent. Presque un électeur sur cinq a fait une croix derrière le nom Juncker dimanche. À la différence des élections législatives, les suffrages de liste ne sont pas additionnés aux votes nominatifs dans le décompte du scrutin européen.   Sur la même liste, Luc Frieden aussi progresse fortement (25 093 voix contre 15 147 en 1999) et occupe la deuxième place, devançant François Biltgen (16 807 voix). En plus des résultats de ce boysband avec soliste du CSV, les chrétiens-sociaux réussissent à augmenter la part des suffrages de liste dans leur résultat de 52 à 57,1 pour cent. Au LSAP, Jean Asselborn (14 362 voix individuelles) s’impose sur la liste européenne à défaut de l’avoir fait sur celle du Sud. Mais on est loin de l’excellent résultat de Lydie Polfer, tête de liste du DP. Avec 22 119 voix, elle progresse de plus de 3 500 suffrages comparé à 1999 et engrange à elle seule 13,7 pour cent de tous les votes pour le DP. Elle réussit en même temps de s’imposer sur « sa » liste. Il y a cinq ans, Charles Goerens, alors eurodéputé sortant, lui avait ravi la vedette en passant devant elle. Dimanche, il a par contre perdu un quart de ses voix à 14 554 suffrages. Le succès individuel de Lydie Polfer vient toutefois à un prix. Là ou l’attrait individuel de bon nombre de candidats DP reste intact, il n’en est pas de même pour le parti. Le DP perd pas moins de 38 pour cent de ses suffrages de liste en comparaison avec 1999. Une débâcle. Les votes par liste ne représentent plus que 46,8 pour cent du total du Parti démocratique, le taux le plus bas de tous les partis. Si le verdict sur la répartition des sièges est claire en 2004, c’est moins vrai pour l’identité de leurs occupants. Ceci d’autant plus que la future coalition reste à confirmer. Chez les socialistes, Jean Asselborn est élu mais décline. Lundi matin, Robert Goebbels doutait encore s’il allait rempiler. Mais, élu seulement en troisième position aux législatives au centre, il annonçait dès lundi soir son retour à Strasbourg où il a su s’établir. Chez les libéraux, Lydie Polfer est élue et se dit prête à retourner en Alsace, où elle siégeait déjà avant 1994. Ses rêves de rester ministre laissent toutefois planer un doute. Le CSV ne cache par ailleurs pas trop qu’il réfléchit à offrir la Commission européenne à l’ancienne bourgmestre de Luxembourg-ville. Viviane Reding, qui veut rempiler à Bruxelles, serait sacrifiée sans trop de peine au cœur afin que Laurent Mosar puisse s’imposer en 2005 au Knuedler. Au CSV, il faut plonger plus loin dans les résultats pour retirer quelques enseignements sur les occupants des trois sièges au Parlement européen. Le triptyque Juncker, Frieden et Biltgen est certes élu, mais n’acceptera pas les mandats. Viviane Reding risque de devoir se consoler avec un siège à Strasbourg. Astrid Lulling occuperait alors le deuxième siège. Le troisième reviendrait à Jean Spautz, 73 ans, qui, élu en septième position, n’est pas prêt à prendre sa retraite. Qu’il exercera son mandat jusqu’en 2009 est cependant peu probable. On dit Norbert Haupert, dernier de la liste, intéressé. D’ici là, on peut aussi s’imaginer qu’un ministre se retire à Strasbourg. À voir le score personnel de Claude Turmes (13 710 suffrages individuels), on doit cependant se demander au CSV si on n’a pas raté une occasion pour offrir un tremplin à un chrétien-social qui n’a pas encore de droits de pension.

1 Les résultats cités se réfèrent à 784 de 787 bureaux de votes (99,93 p.c. des suffrages). Comme en 1999, il y a eu un problème dans le dépouillage à Esch/Alzette. Le Bureau centralisateur des résultats officieux préfère attendre les résultats officiels avant de communiquer les chiffres complets. Ils ne devraient cependant plus avoir d’impact autre que sur les résultats individuels.

Jean-Lou Siweck
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