Blanquita, est un film sombre et réaliste sur un scandale de pédophilie
et de prostitution de mineurs qui a ébranlé le Chili au milieu des années 2000

Témoin numéro 1

d'Lëtzebuerger Land vom 17.02.2023

Blanquita a 18 ans. Elle vit dans la capitale chilienne dans le foyer pour mineurs géré par le père Manuel. Elle a passé une partie de son enfance et de son adolescence entre ces murs protecteurs dans lesquels la violence est, malgré tout, quotidienne. Après quelques années d’errance, elle aide le religieux, ne serait-ce que pour calmer les jeunes psychologiquement instables présents dans l’institut. Un travail qui lui offre également un toit puisqu’elle dispose d’une chambre dans laquelle elle peut non seulement dormir, mais également élever sa toute petite fille. Un bébé qu’elle a eu avec un sans-abri alors qu’elle était elle aussi à la rue et qu’elle passait ses nuits dans l’un ou l’autre squat.

Au-delà de ce passé peu enviable, le récit s’intéresse à Blanquita parce qu’elle est le témoin principal d’un important scandale de pédophilie et de prostitution de mineurs. Un procès impliquant un richissime industriel et un politicien de premier ordre. Autrement dit des intouchables, mais avec l’aide du prêtre, Blanquita va réussir à se faire entendre. Par quelques proches du religieux d’abord, dont une politicienne influente, ensuite par des psychologues pour qui les paroles de la jeune femme sont tout à fait recevables, enfin par une procureure incorruptible qui va oser inculper les suspects.

La machine judiciaire est en marche et, même dans un pays qui ne semble pas encore tout à fait remis des longues années de la dictature de Pinochet. Pour une fois, le pot de terre semble prendre le dessus sur le pot de fer. La revanche des laissés pour compte semble enfin possible et de nombreuses manifestations vont accompagner ce procès. Malgré les incitations discrètes à la prudence, les menaces plus directes ou encore quelques intimidations musclées, Blanquita ne flanche pas. Elle le doit au père Manuel, elle le doit à tous les autres enfants des classes défavorisées kidnappés, violentés, violés par quelques riches et puissants messieurs de la haute ; et elle le doit surtout à sa petite fille, pour qui elle espère une vie meilleure.

La jeune femme a une force de caractère rare, elle s’exprime bien, elle fascine. Elle va attirer alors l’attention médiatique et devenir ainsi, pour certains, une héroïne de la cause féministe, pour d’autres, une héroïne des classes sociales les plus basses. Mais à force de se faire des ennemis, surtout parmi les puissants, on finit par déranger. Et ses petits secrets et les petits mensonges dit pour la bonne cause refont peu à peu surface. Au fur et à mesure que l’enquête avance, la justice commence à douter. Est-ce le système d’auto-défense des riches et des puissants qui commence à reprendre le dessus ? Est-ce que Blanquita et le père Manuel se sont laissé emporter par leurs bonnes intentions quitte à manipuler, ci-et-là, la vérité ? Ou est-on en pleine machination judiciaire ? En pleine vengeance personnelle ?

Bien qu’il se soit inspiré d’une véritable affaire judiciaire chilienne qui a bouleversé le pays au milieu des années 2000, le scénariste et réalisateur chilien, Fernando Guzzoni, qui signe là son troisième long-métrage après Carne de perro, (2012, primé au Festival de San Sebastián) et Jesús : petit criminel (2016), ne va donner des indices qu’au compte-gouttes à ses spectateurs, faisant preuve d’une grande maîtrise du rythme du récit. Pendant les 90 minutes du film, le spectateur est embarqué, emporté par cette affaire. Blanquita n’est cependant pas un film de prétoire, il n’est pas non plus un film policier et encore moins un film social. Il est un peu tout cela à la fois, un drame, sans aucun doute, un film sans chichis surtout, qui, sans tendre vers le documentaire – que Fernando Guzzoni a déjà pratiqué pour son tout premier film, La Colorina en 2008 ­– demeure d’un réalisme saisissant. Réaliste, le film l’est dans sa mise en scène, dans ses dialogues, dans la manière avec laquelle il présente la société. Réaliste dans la manière avec laquelle sont filmées les manifestations. Réaliste dans la manière avec laquelle le film présente les petites bassesses de chacun ou encore la puissance des sentiments qui peuvent relier certaines personnes entre elles.

Porté merveilleusement par la comédienne Laura Lopez Campbell dans le rôle-titre, le film offre un magnifique portrait de femme. Une femme forte, intelligente, résiliente et prête, telle un Christ moderne, à tout pour améliorer les choses, quitte en payer le prix fort. Un récit fort et un film maîtrisé qui a remporté le Prix du meilleur scénario de la compétition Orizzonti de la Mostra de Venise.

Coproduction entre le Chili, le Mexique, le Luxembourg (Tarantula), la France et la Pologne, Blanquita est un long métrage classique, mais réussi. Il doit au Grand-Duché, et tout particulièrement à Espera Productions, tout son travail de post-production image, autrement dit les effets spéciaux – discrets ­­– et l’étalonnage – c’est donc ici qu’ont été travaillé cette ambiance sombre et ces couleurs mates présentes tout au long du film.

Pablo Chimienti
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