La capitale et sa ceinture dorée détaillent leurs stratégies pour la création de logements abordables. Les réponses sont révélatrices

Vite, un plan d’action !

Lydie Polfer  dans son bureau au Knuedler,  en 2019
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 24.02.2023

45 communes ont jusqu’ici officialisé leur Programme d’action local logement (PAL). Il s’agit d’un questionnaire de plusieurs dizaines de pages concocté par le ministère du Logement. Les communes sont priées de détailler leurs « stratégies » pour le développement de logements abordables, de la gestion du foncier à la qualité résidentielle. Les réponses révèlent surtout les insuffisances administratives et l’improvisation politique au niveau communal. Alors que les promoteurs privés se tapissent dans les tranchées, les édiles locaux ne semblent pas prêts à lancer une offensive pour étoffer leur parc immobilier. Les PAL jusqu’ici publiés par les communes de la ceinture dorée (Strassen, Niederanven, Sandweiler, Kehlen, Garnich) reproduisent les mêmes éléments de langage. Sandweiler assure qu’« une certaine stratégie du foncier communal existe ». La commune « exprime la volonté de gérer à l’avenir plus activement et stratégiquement le foncier communal », mais concède avoir « du mal à agir comme un promoteur privé et à approcher activement les propriétaires ». Le conseil échevinal de Garnich avoue, quant à lui, ne pas disposer d’une « stratégie particulière ». Le PAL de la Ville de Luxembourg a pris du retard. Il n’existe à l’heure actuelle que sous version provisoire. Celle-ci a été présentée ce mercredi à la commission consultative du développement urbain. On y lit qu’« une vision/stratégie sera développée » pour la planification et la construction de logements abordables. Plus loin, on trébuche sur la phrase : « La Ville n’a pas pris d’initiative pour mobiliser des logements inoccupés. Elle n’a pas d’aperçu à ce sujet. »

Ni la capitale ni les localités qui l’entourent ne figurent parmi les huit communes qui ont introduit une taxe sur les logements vacants (et deux seulement l’ont effectivement levée). L’État veut avancer là où les communes avaient échoué. Le gouvernement a déposé en octobre un projet de loi pour introduire des impôts nationaux sur la rétention foncière et les immeubles vacants, Le seul hic : Il faudra attendre le milieu des années 2030 pour que ceux-ci atteignent un taux qui se fera ressentir. Pour lever l’impôt sur les logements inoccupés, il faudra en plus établir un Registre national des bâtiments et logements. Une tâche herculéenne, sachant que la plupart des communes n’ont qu’une idée très approximative du nombre de logements qui se cachent derrière chaque adresse. Parmi les six communes du « Speckgürtel » qui ont jusqu’ici officialisé leur PAL, seule Niederanven a tenté de recenser les logements non-occupés sur son territoire. Elle en a identifié 80 et envoyé un questionnaire aux propriétaires en 2016. La moitié y a répondu, dont deux seulement ont fini par confier leur logement à un acteur de la gestion locative sociale (GLS). Dans son PAL, la Ville de Luxembourg note sèchement : « La Ville n’approche pas les propriétaires pour aborder la GLS ». On y apprend également qu’aucune campagne de sensibilisation n’a été lancée sur le sujet. Cette incurie explique peut-être la part ultra-faible d’habitations louées via ce mécanisme en Ville : 107 unités, soit 0,15 pour cent de la totalité des logements. En général, la commune juge pourtant ses efforts dans le domaine des « logements innovants » comme « considérables ». Or, seuls deux petits terrains ont été libérés pour des coopératives d’habitation, le dernier appel à candidatures remontant à 2017. Une nouvelle édition est annoncée pour le courant de l’année, lit-on dans le PAL. La Ville serait en train de « faire des recherches à ce sujet » et d’« approfondir ses réflexions ».

Dans le cadre du projet Luxembourg in transition, Claude Turmes rêvait tout haut de la densification du parc immobilier existant. La maire libérale de la capitale, Lydie Polfer, oppose une fin de non-recevoir aux idées du ministre vert de l’Aménagement : « La Ville ne désire pas densifier davantage son tissu urbain », lit-on dans le PAL. La commune préfère se concentrer sur les grands projets qu’elle veut denses : « Telle a été la stratégie par exemple dans le cadre des terrains Porte de Hollerich, Villeroy et Boch ou encore sur l’ancien site du Luxemburger Wort ». Dans les communes suburbaines, le rêve luxembourgeois du bungalow surdimensionné dans une cité-dortoir reste vivace. Dans le PAL de Sandweiler, on apprend que « dans les nouvelles zones d’habitation, les maisons unifamiliales isolées représentent environ 32 pour cent ». Or, un revirement s’amorce. La commune de Niederanven regrette ainsi la densité « très faible » (quinze à vingt logements par hectare) qu’elle a elle-même fixée pour certains nouveaux projets résidentiels. Les conseillers communaux commencent également à réfléchir sur le devenir des cités « à faible densité » construites dans les années 70, 80 et 90. Le PAG de 2016 a cimenté cet urbanisme « sans toutefois permettre une certaine densification de l’existant », lit-on dans leur PAL. Sept ans plus tard, les échevins semblent arriver à la conclusion qu’une « commune limitrophe de la Ville de Luxembourg mérite souvent des densités de construction plus élevées ». D’autant plus que le tram s’arrêtera un jour au Senningerberg.

L’autre extension du tram devra relier la Ville à Mamer via Strassen. Le long de la très longue route d’Arlon, le dernier PAG de Strassen permet de construire des résidences de 3,8 étages de haut. Pas exactement, un paysage métropolitain. Dans leur PAL, les édiles de la commune évoquent une densification du tissu bâti, tout en plaidant pour une approche « raisonnée et raisonnable ». En novembre dernier, deux fiscalistes d’Atoz plaidaient dans leur blog pour « un retour sur les investissements [étatiques] » : « Une loi pourrait ainsi prévoir que la hauteur de construction soit multipliée par dix par rapport aux PAG et PAP existants dans une zone de 200 mètres le long du tracé du tramway ». La proposition, qui enrichirait les propriétaires privés plutôt que l’investisseur public, fait entièrement abstraction des réalités politiques sur le terrain, sans parler de la sacro-sainte autonomie communale. Plus loin de la capitale, la commune de Kehlen constate dans son PAL que « des résidences viennent s’implanter, souvent par le biais de la rénovation ou démolition d’anciennes fermes, et des maisons en bande sont érigées à la place d’anciens bungalows dont les grands terrains sont morcelés ». Le lifestyle dans ce monde périurbain reste fortement carboné. À Sandweiler et à Garnich, il faut prévoir deux emplacements de stationnement par maison unifamiliale. Les édiles de Niederanven se targuent, eux, de n’imposer qu’« un seul emplacement » par maison. Une disposition qui, estiment-ils, pourrait « être qualifiée de durable ». La Ville présente une clef de stationnement sobre, du moins par rapport aux communes qui l’entourent, à savoir au moins un emplacement par maison unifamiliale, et entre 0,8 et 1,2 par appartement.

Avec quelque 1 700 unités, dont 850 directement gérées par la commune, la Ville de Luxembourg affiche un taux de logements sociaux de 3,2 pour cent. Elle explique concentrer « presque 42 pour cent de tous les logements sociaux du pays. » Alors que les communes environnantes ne font (presque) rien, faire peu semble déjà beaucoup. Le PAL de Garnich renseigne ainsi cinq logements abordables gérés par la commune. Puis de citer 18 nouvelles entités en planification, soit « un triplement » des capacités actuelles. Comptant 10 000 habitants, Strassen gère une petite soixantaine de logements abordables locatifs, un nombre que la commune juge « très élevé ». Son PAL parle pudiquement d’« une certaine volonté » à étoffer ce parc public. Mais les appréhensions de la commune nantie percent tout au long du document. Elle « souhaite » que la construction de logements abordables « se fasse au fur et à mesure et que les réflexions soient menées afin de déterminer un ordre de grandeur ». Strassen pose aussi ses « conditions », notamment le « droit de décider qui pourra avoir accès à ses logements ». Pas question de lancer de grands travaux sur les terrains communaux. L’intérêt des promoteurs privés serait « si grand » que la commune ne voit « pas d’intérêt à en construire elle-même ». De toute manière, elle ne dispose que « d’une minorité de terrains avec plus ou moins trois pour cent [des 108 hectares urbanisables]. »

La commune de Sandweiler fait, elle, un mea-culpa : Le nombre de logements locatifs abordables « n’est pas significatif », confesse-t-elle dans son PAL. Et de poursuivre : « La commune est d’avis qu’elle pourra augmenter ses efforts à cet égard ». Seulement voilà : La mobilisation du foncier serait « difficile », car les terrains « appartiennent en majeure partie à quelques propriétaires qui agissent dans leur propre rythme ». La commune ne se réjouit pas pour autant de l’article « 29 bis » du Pacte Logement 2.0 qui fait automatiquement entrer dix à vingt pour cent des nouvelles surfaces construites dans son giron. (En contrepartie, les promoteurs privés pourront construire dix pour cent de plus.) Les élus locaux de Sandweiler y voient surtout des inconvénients : La mise en œuvre serait « compliquée » et présenterait le « risque en plus de conduire à un nombre croissant de réclamations dans le cadre de la procédure du PAP ». Ils estiment par contre que la croissance démographique aura un impact relativement limité sur les infrastructures scolaires : « Suite à la composition internationale de la population, beaucoup d’enfants habitant dans la commune vont dans des écoles privées en dehors de la commune », lit-on dans le PAL. Une hétérogénéité qui est toute relative : « De nombreuses nationalités sont représentées dans la commune, les différentes couches sociales sont moins présentes ».

La commune de Niederanven se décrit comme « un acteur très actif », bien qu’elle ne soit propriétaire que de 25 logements « donnés en location à des personnes défavorisées ». Elle se pose un « objectif » très ambitieux (« à moyen et long terme ») : vingt à trente pour cent de logements abordables. Prévu sur une surface de 25 hectares (dont douze appartenant à la commune), le PAP « Kazenheck » pourrait générer 200 logements abordables. Il est en planification depuis plus de vingt ans, et avait provoqué la polémique parmi les riverains. Vu le nombre de PAP dans les pipelines, il serait « peu opportun » de prendre des mesures de mobilisation du foncier, note la commune dans son PAL. La perspective de passer de 6 400 à plus de 10 000 habitants, le scénario maximal, provoque un léger malaise. À Elmen, dans la commune de Kehlen, une nouvelle ville SNHBM est en train de naître ; sur les 750 logements, un tiers sera donné en location et deux tiers vendus sous emphytéose, « avec priorisation des habitants locaux », comme le souligne le PAL de la commune de Kehlen. 

La Ville de Luxembourg achète régulièrement des terrains : une quarantaine d’hectares pour 133 millions d’euros entre 2019 et 2021. Pour le reste, elle affiche une posture passive face aux promoteurs privés : « La Ville n’a pas joué de rôle catalyseur pour mobiliser des terrains purement en main privée. La Ville n’a pas organisé de réunions pour encourager les privés à mobiliser leurs terrains et ne les a pas démarchés individuellement », lit-on dans son PAL provisoire. Le cas de la capitale est particulier : Sur un total de 492 hectares constructibles, 87,5 sont la propriété de la commune, un potentiel que le PAL juge « énorme ». Une chance pour réinventer, ouvrir et démocratiser la Ville ? Il y a un an, la maire Lydie Polfer (DP) avait choisi un registre très prosaïque et précautionneux, rappelant que la plupart de ces friches, terrains et entrepôts non viabilisés étaient entre les mains de la Ville « depuis toujours, au moins depuis le plan Vago de 1967 ». Leur mobilisation serait un processus de longue haleine, rappelait-elle au Land : « Une chose après l’autre ». Elle estimait que les capacités de planification et de construction « ne sont pas disponibles dans la société » : « Les terrains y sont, les sous y sont, et pourtant nous ne pouvons faire plus que ce que nous faisons actuellement. »

Dans son PAL, la Ville de Luxembourg liste une ribambelle de projets dont elle est « copropriétaire » et qui présentent un potentiel cumulé de 27 000 logements. Or, les mégaprojets « Porte de Hollerich » ou « Wunnquartier Stade » confrontent les services communaux à des envergures nouvelles. Fidèle à elle-même et à son souci du micro-management, Lydie Polfer s’oppose à l’idée de créer une société d’urbanisation communale qui jouirait d’une plus grande flexibilité et indépendance vis-à-vis de la politique et de ses processus. La maire préférerait tout garder « in house » pour garantir que « la responsabilité politique demeure auprès des politiciens, et que ceux-ci doivent publiquement assumer leurs choix », a-t-elle déclaré au Land il y a un an.

Or, en l’état, ses services sont incapables d’affronter une telle surcharge de travail. Le service logement est composé de 29 collaborateurs, le service bâtiments de 62, le service urbanisme de 38. La mort inopinée, en décembre dernier, du chef du service urbanisme, Laurent Langer, a laissé un grand vide ; ce fut lui qui avait élaboré le PAG et qui négociait (dur) avec les promoteurs. Comparées à la Ville, les administrations des communes périurbaines apparaissent comme des lilliputiennes. Strassen songe à créer un poste d’urbaniste pour décharger son service technique. Niederanven, dont le service urbanisme se compose d’un architecte, de deux ingénieurs et d’un rédacteur, estime qu’un renforcement « s’impose à moyen terme ». Le service technique de Kehlen est composé d’une douzaine de personnes, un effectif qui « suffit juste à gérer le ‘daily business’ ».

Bernard Thomas
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