H. Craig Hanna au Musée national d'histoire et d'art

Un maître ancien, aujourd’hui

d'Lëtzebuerger Land vom 13.05.2016

En vérité, grande tentation de passer sous silence l’exposition de l’artiste H. Craig Hanna au Musée national d’histoire et d’art. Tellement elle peut s’avérer superfétatoire, voire mal à sa place, tellement cet art, s’il lui est permis de trouver le goût d’un particulier, tant mieux pour tout le monde, l’un gagne de l’argent, l’autre se réjouit d’une image où il reconnaît sans peine ce qu’il a sous les yeux, parle tant soit peu à sa sensibilité, quand on passe à une institution publique, change radicalement de statut. On verra plus loin. L’art de H. Craig Hanna est tout simplement une variante, contemporaine par la date de sa réalisation, de maîtres anciens ; de la redite picturale, et comme souvent ou toujours dans pareil cas, inutile et sans originalité.

Bien sûr qu’il serait peu intelligent d’interdire de se référer à ce qui a existé, a fait ses preuves. Malraux, je crois, a dit qu’on ne devient pas artiste, peintre, en regardant les couchers de soleil. Et ce n’est certainement pas un péché que les murs de l’atelier parisien de Hanna, comme on nous le dit dans le catalogue, soient recouverts d’un patchwork d’images tirées des œuvres des maîtres qui l’ont inspiré. L’histoire de l’art défile, pourquoi pas. Seulement, à un moment ou un autre, il faut savoir sauter le pas, couper le cordon ombilical, trouver sa propre manière, un style.

Parmi les images, on nous signale le Christ mort, de Mantegna, de la fin du quinzième siècle. Sans doute par rapport au Vladimir reclining. Rien toutefois de cette audace du peintre de la Renaissance, cadrage resserré, perspective centrale qui va des pieds vers la tête. Vladimir est plutôt copié sur un autre Christ, de Holbein, au Kunstmuseum Basel. Avec trop d’attention au drapé de la couche surélevée et d’un rideau. Et l’effet n’est plus le même, comme la peinture de 1521 nous touche autrement. Comme le font aussi telles œuvres, vraiment contemporaines celles-là, de Marlene Dumas, missionnaire ou non, en tout cas, une peinture dont la facture est ensemble d’aujourd’hui et de toute éternité, si j’ose dire, de Nan Goldin, une photographie où l’artiste elle-même en chemise de nuit blanche est étendue dans une composition rivalisant avec Mantegna.

On s’en sera rendu compte, il manque chez Hanna cette patte qui ferait la distance aux maîtres anciens. Ils lui collent trop à la peau, de Boucher ou Renoir à Lucian Freud, pour rester dans l’image. Cela reste coincé dans l’académisme, savoir dessiner n’équivaut définitivement pas à posséder le trait de Schiele. Et, contrairement à ce que pensent d’aucuns, tant d’artistes contemporains savent, eux aussi, dessiner, sont passés par là, ils ont après choisi et trouvé leur voie propre. Pour Hanna, on fait grand cas alors de sa peinture sous perspex, nouvelle variante, cette fois-ci de la bonne vieille Hinterglasmalerei.

Un dernier exemple pour faire comprendre pourquoi cet art laisse indifférent. The White Bed montre une femme dans un lit, sa tête sortant des draps ; ah, ces draps qui perdent notre artiste. Comme le font ailleurs les regards, où qu’ils se portent. Pour la femme, quelle émotion profonde, bouleversante, que de revenir, au retour du Marché-aux-poissons, au cycle de Ferdinand Hodler, avec sa maîtresse Valentine Godé, mon amante se meurt, mon amante est morte, et l’on est là renvoyé pour de bon à Holbein.

Et continuellement, nus, portraits, paysages, on l’est aussi à la question du pourquoi de cette exposition, et au-delà de l’acquisition par le MNHA de cet Arrangement of Dancers où tout est pose, posture. On a pu lire que c’est à la suite d’un coup de cœur, peu importe de qui. Dès lors, d’autant plus que les moyens de l’institution ne sont pas inépuisables, loin de là, on fait maintenant appel aux dons, on est en droit de s’interroger sur le sens de pareil coup de cœur. Un particulier, c’est clair, achète ce dont il a envie, n’engage que son argent ; une institution publique n’a pas à marcher à coups de coup de cœur, à moins que son directeur n’ait l’envergure d’un Werner Schmalenbach par exemple, qui a initié la Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen dans les années cinquante, soixante.

Il existe une collection au MNHA. Mais quelle place y trouverait le tableau de Hanna, on ne voit pas. Et une toile solitaire, personne n’est contre, à condition qu’elle s’impose, ce qui est loin d’être le cas. En passant, outre le prix de l’acquisition, sur les frais de l’exposition, catalogue, transports, assurances. H. Craig Hanna a la chance (rare sinon unique) d’avoir une galerie parisienne entièrement à son service, peut-être que la présence de l’artiste au MNHA, il faut la mettre tout banalement au compte, pertes et profits, d’une généreuse communication.

L’exposition Peintures et dessins de H. Craig Hanna au Musée national d’histoire et d’art dure encore jusqu’au 26 juin ; www.mnha.lu/fr/En-ce-moment/H-Craig-Hanna
Lucien Kayser
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