Art contemporain

Toutes sortes d’imaginaires

d'Lëtzebuerger Land du 29.11.2019

La chose est assez rare, il faut donc commencer par là : une quinzaine d’œuvres, pas plus, de sept artistes, une galerie privée qui ne fait pas le plein, donne aux œuvres la place pour respirer, aux visiteurs pour un véritable face-à-face, avant le cas échéant de chercher à les faire dialoguer. Parce que l’exposition à la galerie Zidoun-Bossuyt est collective, assurée par un commissaire, et elle porte comme titre une expression extraite du roman de Boris Vian, l’Écume des jours, qui, s’il n’a pas valu à son auteur le prix de la Pléiade convoité au lendemain de la guerre, au milieu de 1946, et a tardé, mais est devenu après, pour toute une génération, un livre culte, avec l’amour fou de Colin et de Chloé, la pauvre qui mourra d’un nénuphar dans les poumons.

Queneau et Sartre avaient aimé le roman, le dernier peut-être aussi pour s’y être retrouvé un peu de guingois, en Jean-Sol Partre, et poussé à son édition. Sa fantaisie, en effet, s’est toujours révélée contagieuse (maladie moindre que celle de l’héroïne), et le roman a inspiré cinéastes, compositeurs, jusqu’à en faire un opéra, dessinateurs. Le commissaire, Thomas Zitzwitz, a voulu situer l’exposition en « zone dangereuse », souterrain que le couple du roman parcourt en hâte, avec les bruits des oiseaux autour, le courant d’air provoqué par leurs plumes. Un petit nuage les a accompagnés jusque-là, il les attend à la sortie.

Retenons simplement l’imaginaire foisonnant de Boris Vian. Il suffit à justifier ceux déployés ensemble dans l’exposition, sans qu’il faille aller plus loin, chercher à tout prix des parallèles. Dira-t-on que l’art en tout cas est toujours gagnant à nous emmener en « zone dangereuse », ira-t-on jusqu’à évoquer des paradis artificiels, quitte à rebrousser chemin et revenir les pieds sur terre.

On peut de la sorte se perdre dans le fouillis combien colorié, l’éclat(ement) des formes, de la toile (unique) de Katharina Grosse, l’œuvre la plus dimensionnée de l’exposition, et l’on sait que cette artiste est allée jusqu’à donner plus d’autonomie et de force à la toile et à la couleur en les enlevant au mur, les étendant dans l’espace. Les gestes de Gregor Hildebrandt ont de même de quoi emporter, en noir en blanc, dans des versions inversées. Côté peinture toujours, voilà les pliures ouatées de Thomas Zitzwitz lui-même, face à l’entrain et la rigueur d’Anselm Reyle. Enfin, deux toiles de Leiko Ikemura, à dix ans de distance, l’une ouverture sur un ciel bleu comme parcouru de nuages, l’autre sur un paysage couleur de sable mêlé de reflets multiples, assurent la forte part de poésie que l’exposition, encore une fois sans aller plus loin dans une quelconque identification, partage avec le roman.

Boris Vian donnait son histoire pour entièrement vraie, la vérité de l’art en général, « puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre » ; et son imagination, pas besoin d’insister, elle aime ce que lui-même appelle l’atmosphère biaise, voire la distorsion. Rien de négatif là-dedans, ni d’ailleurs, retour à l’exposition, dans les fruits, le donut transformés par Claudia Comte en sculptures, de marbre, de céramique. L’interrogation, voire l’interpellation, est autre face à la balle, jaune et resplendissante comme le soleil, coincée entre les éléments d’un radiateur. Et puis, ces fourrures, du même Fort, accrochées plus loin, vraies, artificielles ; il faudrait les toucher, et encore, admettons comme pour le conte de Boris Vian, que tous, êtres, objets, sont animés des meilleures intentions.

L’exposition Zone dangereuse, avec des œuvres de Claudia Comte, Fort, Katharina Grosse, Gregor Hildebrandt, Leiko Ikemura, Anselm Reyle et Thomas Zitzwitz (qui en assure également le commissariat) dure jusqu’au 4 janvier 2020 à la galerie Zidoun-Bossuyt ; www.zidoun-bossuyt.com.

Lucien Kayser
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