Cela s’appelle Endodrome, mais Dominique Gonzalez-Foerster explore non moins l’infinie métamorphose du dehors

Investigation des espaces

d'Lëtzebuerger Land vom 24.02.2023

D’aucuns se rappellent peut-être l’apparition holographique du sosie de Delphine Seyrig, hors des allées de Marienbad, parmi les lambris, les ors d’une loge de l’Opéra de Metz, voire d’une loge d’honneur du Palais Garnier, ouverte aujourd’hui par la lubie des temps, du moins un 16 juillet prochain, au tout venant d’Airbnb. D’autres se souviennent comment Dominique Gonzalez-Foerster, dans son exposition au Centre Pompidou, en 2015, aménageait chambres et autres intérieurs, dont ceux du Splendide Hotel. Ces souvenirs, pour dire combien Endodrome, œuvre montrée pour la première fois à la biennale de Venise en 2019, reprise jusqu’au 16 avril au Casino Luxembourg, se situe dans la lignée des recherches de l’artiste, réunissant réalité virtuelle et investigation de toutes sortes d’espaces.

Cela commence par une partie d’une salle du premier étage fermée par une cloison, vous entrez, un vestibule d’abord avec des crochets pour votre manteau, un chapeau, puis vous passez dans une sorte de salon, vous vous mettez à une table avec cinq chaises autour, on a de la sorte des images de séances de spiritisme dans un autre siècle. Là, de nos jours, il faut porter un casque, bien ajusté, et vous aurez droit à un kaléidoscope moderne, une succession rapide et changeante de visions, de sons, et conséquemment d’impressions, de sensations.

Musique plus ou moins de continuo, de Corine Sombrun, et où que vous portiez la tête, votre mouvement et votre souffle intervenant, pléthore d’images, en premier en noir et blanc, tels des écoulements. Le nom de l’œuvre reprend l’idée d’une piste de course, comme si souvent utilisé par Dominique Fernandez-Foerster (Cosmodrome, Expodrome, Textodrome…) et est, associé ici à la racine grecque pour le dedans, endo. Avec telles expériences personnelles, ce titre peut évoquer d’abord ce que l’on peut voir lors d’un examen médical, sur l’écran où l’on suit la caméra à l’intérieur d’un organe ; seulement, on y plonge, on est entouré, et très vite, les courbures, les contours s’élargissent, comme si avec Pascal on passait de l’infiniment petit à l’infiniment grand, aux espaces qui effraient.

Mais la personne qui se soumet ainsi au traitement de réalité virtuelle, d’un coup, la voici récompensée, la voici subjuguée par la couleur, par les couleurs de plus en plus envahissantes. Qui se déversent, et l’expression est employée à dessein. Car non seulement les tonalités, du rouge, du jaune, du vert, on n’aura pas tort de les rapprocher des tableaux de l’Américaine Helen Frankenthaler, représentante trop longtemps méconnue de l’expressionnisme abstrait, résonnent avec le même éclat ; dans ce qui s’apparente à un hommage, tout se passe un peu comme si devant nos yeux la technique opérait de même, avec les mêmes vibrations. Helen Frankenthaler avait développé sa propre manière, mélangeant la peinture à l’huile à de la térébenthine, pour quelque chose de plus translucide : le soak-stain, en faisant pénétrer la toile, qui est imbibée, imprégnée, absorbe le liquide coloré.

Sarabande de taches donc, qui s’avère tantôt grave, tantôt au rythme plus vif, qui saisit ou entraîne et emporte, sortilège auquel au bout de huit minutes il est mis fin, qu’on le veuille ou non. Et nous voilà arrachés à la réalité virtuelle, la vie a repris ses droits, nous avons appris à nous arranger avec une durée déterminée, à compter avec le temps. D’un autre côté, et cela ne fait pas moins partie de l’œuvre de Dominique Gonzalez-Foerster, de l’extérieur de la cabane, appelons une fois de la sorte la salle où les cinq personnes se trouvent enfermées, d’autres ont pu suivre l’expérience à travers une fenêtre transparente. Des participants, d’une certaine façon, de deux sortes, des deux côtés de la cloison, séparés certes, mais pris à des degrés divers dans une même aventure d’émerveillement.

P.S. : Dominique Gonzalez-Foerster participe en ce moment avec une nouvelle installation à l’exposition Avant l’orage, à la Bourse de commerce de Paris. Dans l’escalier, on entend résonner le bruit d’une pluie tropicale, du son simplement, pas d’image cette fois-ci. La transition est faite avec l’autre exposition du Casino Luxembourg, de Judith Deschamps, an.other voice réinvention d’un air du 18e siècle, chanté à ce qu’on dit par Farinelli, un castrat italien, toutes les nuits au roi d’Espagne. Nous l’écouterons à notre tour.

Lucien Kayser
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