Out of the crowd

Pèlerinage indie

d'Lëtzebuerger Land du 27.04.2018

Des hommes chevelus et mal rasés s’abreuvent sur le parking du supermarché voisin. D’autres préfèrent la petite cour de la Kulturfabrik pour se rincer le gosier. Les plats végans ont moyennement la cote à côté des grillwurst et autres hamburgers disponibles quelques centaines de mètres plus loin. Les fans de Motorpsycho sont là et attendent leur groupe favori avant d’envahir la salle, tandis que quelques jeunes pousses indie excitantes déflorent les hostilités. Quinzième édition déjà pour le festival Out of the crowd (OOTC) et une belle affiche pour régaler tout ce que le Grand-Duché compte de fans de musique indépendante, alternative, oblique.

C’est qu’avant la triple déflagration finale (Motorpsycho donc, This Town Needs Guns et Metz – le groupe canadien, pas la ville lorraine), il y avait de quoi se réjouir pour les grappes d’indie-nerds se fichant pas mal du soleil omniprésent et désirant découvrir quelques sensations du moment. Focus sur quelques-unes d’entre elles, en commençant par le régional de l’étape, Antoine Honorez aka Napoleon Gold, qu’on a l’impression d’avoir vu mille fois, mais qui arrive toujours à surprendre. Cette fois, c’est via l’adjonction de Pit Dahm à la batterie que son set prit des tournures tantôt jazzy, tantôt denses et explosives comme sur le final Midnight call, une tuerie en montagnes russes écrite avec Aamar. On attend avec impatience l’album en mai.

Dans la petite salle affublée du patronyme des Rotondes, partenaire de l’événement depuis quelques années, s’affaire Grooms, trio de Brooklyn aux guitares affutées et aux sons stridents. On se retrouve catapulté en plein dans les années 90, on pense à Sonic Youth, Pavement, Clinic. Des moments shoegaze nous font baisser la tête et taper du pied en regardant le sol, on se surprend à jouer de l’air guitar avec la main droite sur des riffs effrénés, bref c’est le bonheur absolu pour le quarantenaire pas encore rassasié par Deerhunter ou The Pains of Being Pure at Heart. Au niveau du set, les deux derniers albums (Comb the feelings through your hair et le récent Exit index sorti sur Western Vinyl, label entre autres de Dirty Projectors) sont à l’honneur, dans une version live beaucoup plus nerveuse que sur disque.

Dans la foulée, un grand gaillard au t-shirt douteux s’agite sur la scène de la Kufa, entouré de quatre acolytes. Son nom est Aaron Maine et son projet Porches est une splendide synthèse de pop à la fois contemplative et bondissante. À voir la façon désinvolte et déconnante dont le gaillard dégingandé s’exprime entre les morceaux, on a presque du mal à croire la justesse de la musique fabriquée devant nos yeux. Les mélodies sont imparables, c’est brillamment construit et exécuté quasi à la perfection. On comprend sans problème pourquoi les Américains ont signé chez Domino (mastodonte de l’indie avec des gens comme Arctic Monkeys ou The Kills dans le catalogue). Un concert parmi les meilleurs de la journée.

Le OOTC 2018, c’était aussi les belges de BRNS, attendus après leur passage sur la même scène en 2013. Ils n’ont pas déçu, pas plus que Metz, peut-être le groupe le plus puissant du moment, une véritable orgie sonore aux déflagrations telluriques. Mais le OOTC, outre ces groupes que vous ne connaissez sans doute pas, c’est surtout une communauté de passionnés, devant, derrière et sur la scène. Une clique de gens qu’on finit par connaître et reconnaître. Des organisateurs engagés qui ne font pas de compromis et ne jouent pas la facilité. Pour ceux qui ont préféré en ce samedi ensoleillé suivre leur flamme à Esch/Alzette plutôt que subir du hip hop frelaté et des selfies vulgaires à Esch/Sûre, c’est déjà ça de pris.

Sébastien Cuvelier
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