Produits made in Luxembourg

Cheap Ain't Cool

d'Lëtzebuerger Land du 02.03.2000

Le pire, ce sont sans doute les pommes de terre. Emballées dans un sachet papier idéal pour familles nombreuses, enrobées de terre et de toutes les tailles possibles. Certes, il y a des arguments qualitatifs qui s'opposent à ce qu'on les lave. Mais est-ce vraiment un argument de poids à une époque où les produits de nettoyage ne promettent ni du « sauber » ni du « rein » mais la guerre thermonucléaire contre toute espèce de bactérie ? 

Un petit test de consommation patriotique : votre moutarde, luxem-bourgeoise ? Votre vinaigre, de la maison Pundel ? Le beurre, du Luxlait ? Les pâtes, de chez Maxim ? Le sel, de Seldor ? Le produit de vaisselle, du Pic de chez Roboto ? Et pour les gros oeuvres, des Piwelspéin ? Cette petite liste ne comprend que quelques exemples de produits « bien de chez nous » vendus en supermarchés. Ceux qui manquent quand on fait ses courses à l'étranger. Ce n'est cependant pas leur seul point de commun. Ce sont aussi tous des produits qu'on dirait plutôt de première nécessité et ils partagent tous un positionnement commercial certes pas de discount, mais néanmoins de produits bon marché.

Les produits haut de gamme luxembourgeois sont en effet plutôt rare. Attention, ce n'est pas nécessairement une question de la seule qualité. La tâche souvent plus ardue encore est de renverser une perception subjective, qui fait que le Luxembourgeois consomme bien lui même des produits du Grand-Duché, mais pour les invités « il faut du français ». Une sorte de complexe d'infériorité national que la plupart des produits « made in Luxembourg » n'ont vraiment pas mérité.

Les producteurs luxembourgeois devront avaler la pilule, même si elle est amère. Eux, qui connaissent la qualité véritable de leurs produits devront accepter que le lien entre qualité objective et perception subjective n'ont (presque) rien à voir. Et que souvent, c'est le second élément qui l'emporte. Le plus courant des débats culinaires n'est-il pas sur qui est meilleur, Quick ou MacDo ? Et si la pudeur interdit aujourd'hui de juger la qualité par la quantité servie, ce n'est que pour remplacer ce critère par celui du prix payé.

Vendre est en premier lieu une question d'image. Un domaine dans lequel les traditionnelles PME luxembourgeoise n'excellent pas nécessairement. Même s'il existe aussi des exemples de belles réussites. C'est le cas de Vinsmoselle avec la sélection Coteaux de Schengen, par exemple, ou encore la source Rosport grâce au Rosport bleu. Des succès toutefois, qui doivent aussi beaucoup à d'importants budgets versés aux agences de publicité.

D'autres toutefois suivent toujours une stratégie sortie droit des d'années de crise et misent tout sur le prix. Une guerre appelée à être perdue. Rien qu'au niveau national prenons l'exemple des bières Simon. Régulièrement, la brasseur de Wiltz réussit à vendre grâce à des promotions la bière la moins chère du pays. C'est de la folie. Si c'est vraiment par le prix qu'on gagne des parts de marché, Mousel, Diekirch et Bofferding écrasent Simon quand ils veulent. Et tout cela pendant que les caddies se remplissent de bière spéciales étrangères à soixante francs la bouteille. Le choix du consommateur pour un produit tel Simon est un choix de la différence, de David plutôt que Goliath. Tout ce que le consommateur demande est qu'on renforce cette image ; par un emballage un peu plus noble, une bouteille un peu plus rare, à l'image de Battin. 

D'autres champions des prix bas sont Luxlait et le groupe Cepal. Avec ses marques Luxviande et Vida, tout comme d'ailleurs le concurrent Coboulux, ce dernier ne promet guère de rêve au consommateur. Le positionnement des plats préparés Maria Marquet n'est pas meilleur. Luxlait joue de même surtout la carte des produits de base. Rares sont les produits plus élaborés qui ont pu prendre pied sur le marché, qu'il s'agisse de yaourt à boire ou de crèmes à tartiner. 

Le seul salut réside-t-il donc dans un recours massif à des agences de publicité ? Si seulement c'était aussi simple. Outre le coût propre de leurs services, celui d'un nouvel emballage, du lancement d'un nouveau produit est souvent tel qu'un échec peut mettre en péril des PME fragiles. Et puis, même l'emballage le plus surannée peut constituer un réel capital. Peut-on vraiment changer les étiquettes du vinaigre Pundel ou, pire encore, se débarrasser des verres à pois de la Moutarde de Luxembourg, sans doute l'emballage luxembourgeois avec le plus important potentiel d'atteindre un statut d'objet-culte, en rivalité avec les seuls cartons bleus des tampons Piwel. On pourrait encore rajouter les paquets de cigarettes de Heintz van Landewyck.

La course aux prix bas n'est pas pour autant une solution et vouée à l'échec. Piwel, font-ils le poids contre Scotch ; Roboto contre Henkel ; Luxlait contre Danone ; la mayonnaise - excellente d'ailleurs - de la Moutarderie luxembourgeoise contre Calvé/Unilever ; Maxim contre Barilla et autres Panzani ?

Des petits pas sont néamoins possibles : Maxim imprime, enfin, le temps de cuisson de ses nouilles sur les paquets.  Le vinaigre luxembourgeois est, dans le bon supermarché, disponible en trois qualités et même en bouteille de verre. La farine du Moulin de Bissen, groupe Cepal, a l'emballage le plus agréable du rayon et une palette s'élargissant peu à peu. Le Naturpark de l'Our comme celui de la Sûre ont lancé des initiatives intéressantes, les premiers avec les huiles Beola - à quand l'étiquette bilingue ? - les autres avec, entre autres, du thé : 131 francs les vingt sachets contre 39 les 25 chez la multinationale. Ça c'est du positionnement haut de gamme ! D'autres exemples sont le Berdorfer Joghurt - en verres consignés - et les liens entre le Naturpark et Simon.

Des projets qui démontrent aussi la dépendance de leur réussite de la bonne volonté des grandes chaînes de supermarchés. Prenons par exemple la Moutarderie luxembourgeoise. Faute de pouvoir se payer une campagne de publicité, le lancement de la nouvelle Moutarde à l'ancienne - étiquette moderne, si les couvercles blancs laissent leur place à des noirs c'est parfait - dépend directement de la collaboration avec les supermarchés : combien de place dans le rayon pour le  produit ? Quel emplacement ? Un petit panneau « nouveau » ?

Pour les supermarchés, l'ouverture plus ou moins grande vers des producteurs luxembourgeois n'est pas pour autant à confondre avec du bénévolat. Ces produits leurs permettent surtout de se donner une touche plus ou moins « luxembourgeoise » et aussi, dans certains cas, de se différencier de leurs concurrents. Tout dépend bien sûr en fin de compte de la demande des clients. Les supermarchés mettent en même temps à mal la stratégie commerciale conventionnelle de bien de producteurs luxembourgeois. Car souvent ce sont les marques « maison » qui les rivalisent sur ce même créneau de produit de base à un prix abordable. 

La vie facile n'est donc sûrement pas au rendez-vous des producteurs luxembourgeois. Alors que dans l'agriculture, le débat autour d'un recentrage sur une clientèle régionale avec une production davantage tournée vers le haut de gamme fait rage, une réflexion générale du secteur semble en bonne voie. 

Il ne peut bien sûr pas être question de jeter par dessus bord les produits phares de jusqu'à présent. Il s'agit plutôt d'élargir sa gamme de produits, de trouver des niches dans des territoires un peu plus nobles et, surtout, avec des marges un peu plus élevées. La Table du Pain, n'ont-ils pas réussi - en tant que chaîne ! - a se tailler un réputation de première 

qualité ? 

Il y a en tous les cas de l'espoir. Depuis peu, on peut ainsi acheter des pommes de terre luxembourgeoises en sachets de 2,5 kilos et... lavées.

Jean-Lou Siweck
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