L’exposition annuelle de la Photothèque propose de regarder les arbres et les fleurs sous des aspects inédits

À la nature

Des bouquets et Les Mouches de Batty Fischer
Foto: Keven Erickson
d'Lëtzebuerger Land vom 12.09.2025

La Ville de Luxembourg étant partenaire de la Luga (Luxembourg Urban Garden), il allait pour ainsi dire de soi que le rendez-vous estival de la Photothèque s’intéresse à la nature : urbaine, espaces verts, arbres, fleurs. Nature captured and framed, n’est cependant pas un éloge à « la vision d’une ville du futur où l’équilibre entre nature et l’urbain est possible », selon les termes de la présentation de la Luga, contredite par les réaménagements entièrement minéraux des places Guillaume et de Paris, quand d’autres villes se transforment, changement climatique oblige, en forêts urbaines.

On a aussi fait un usage massif depuis une dizaine d’années pour les trottoirs à Luxembourg, d’arbres qui poussent en forme conique. Ils ne requièrent pas d’entretien des branches basses, ils ne donnent pas d’ombre. Les arbres de la cour d’école boulevard Royal sauvegardés à l’époque de l’installation de la gare d’autobus et du passage souterrain, auraient-ils été un avertissement dont on n’a pas tenu compte (La Place Emile Hamilius en 1975, Eugène Schloeder) ? L’’entretien des arbres urbains était, il est vrai, un vrai travail répétitif. En témoigne une série de photographies d’abattage et de remplacement d’arbres par Batty Fischer, Place Guillaume et Place d’Armes à vingt ans d’intervalle : 1939 et 1959.

Les photographies conservées à la Photothèque sont des témoignages historiques. La sélection pour l’exposition Nature captured and framed relève d’un « travail en équipe, non pas à la recherche d’une documentation mais de la qualité photographique. On peut donc dire un choix subjectif », explique Gaby Sonnabend, directrice. La mise en espace rompt avec la linéarité anciennemment de mise au Ratskeller, où nombre de visiteurs, photo après photo observent tel ou tel détail qui évoquerait leur passé et la nostalgie.

Dans Nature captured and framed, on trouve des photographies encadrées, juxtaposées deux par deux, regroupées et collées directement au mur, des photos accrochées avec des pinces comme dans un labo. Surtout, les photos ont été choisies dans le but d’illustrer des thèmes, comme autant de chapitres que nous intitulerons : « Arbres », « Loisirs » « Inaugurations », « Le bouquet de la mariée ».

Ces photographies, de la fin des années 1950 aux années 1970, de Pol Aschman, Pit Schneider, Théo Mey et Edouard Kutter Junior, en disent long, non pas sur le langage des fleurs, mais sur cet accessoire qui se devait de faire partie du décor. On sourit devant ces évocations où se rencontrent le monde ancien et le nouveau. C’était la réalité : le marbre de la Kreditbank, les sièges en peluche du magasin de chaussures Biever jurent avec les corbeilles enrubannées, déplacées au gré des prises de vue de l’inauguration, et les inévitables Gummibeem.

On est touché par le reportage des séquences successives et vivantes d’un mariage photographié par Pol Aschman en 1959 : de la montée de la mariée dans la voiture à la mise en place des invités, alignés en rangées devant le restaurant Carrefour, boulevard Royal. Et, au premier rang voici à nouveau l’invariant figé des cérémonies : les corbeilles d’hortensias.

Il n’y a pas de chapitre « Remise du bouquet officiel ». Le choix de la Photothèque s’est porté sur des clichés du photographe du Luxemburger Wort Jean Weyrich durant les années 1990. Il faut se pencher pour les regarder dans des vitrines. Clin d’œil discret, voulu par la directrice du projet Gaby Sonnabend et, Christian Aschman ? Peut-être. Ce qui est très sérieux, c’est le choix du protocole qui va jusqu’à assortir les fleurs rouges au tailleur rouge de la Princesse Marie-Astrid et jaunes, à celui jaune de la Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte.

Pour Christian Aschman, « le bouquet » de l’exposition, c’est celui d’une séquence de la vie populaire. Des snap shots pris par Pit Schneider sur le Tour de France de 1949. Ces prises de vue rapides – les personnages de face, de profil, de dos, bougent – sont celles d’un photoreportage. Au centre de l’attention de tous, voilà le bouquet du vainqueur. Le titre des prises de vues parle pour lui-même : L’histoire d’un bouquet de fleurs.

Le commissaire de l’exposition avoue aussi une prédilection pour un arbre, majestueux mais disparu (Rue de Hollerich, Luxembourg-Gare, Antoine Davito, 1967), pour le soin apporté par l’ouvrier qui ratisse une allée de gravier (Le balayeur, vallée de la Pétrusse, Luxembourg-ville, Marcel Schroeder, 1963), pour le jardinier qui arrose les plates-bandes (Arrosage de fleurs près du pont Adolphe, Luxembourg-ville, Tony Krier, 1958).

Au marché, la vendeuse de pommes se penche sur ses cartons de fruits. Elle est sans apprêt avec son pull tricoté et son tablier bleu à pois blancs. C’est une prise de vue sur le vif d’un certain Charles Boucon, un photographe amateur qui travaillait à la Brasserie Mousel. Christian Aschman, s’est visiblement amusé. Il accole deux photos pour la similarité de la forme du chapeau en papier improvisé de la dame et les emballages des bouquets que le vendeur emporte sans ménagement sur l’épaule à la fin du marché. Le photographe s’appelle Georg Worecki. Directeur de plateau et photographe allemand né en 1961, la Photothèque a acheté cette prise de vue en 2014.

On a le regard aimanté par la jeune vendeuse aux boucles brunes, aux yeux rieurs, aussi sombres que les corolles des fleurs liserées de blanc qu’elle propose à la vente. Elle jouxte des roses dans un seau émaillé. Ce n’est pas un bouquet de roses, c’est une brassée de roses, du bouton à la fleur qui va bientôt faner. La photo est d’une telle qualité que bien qu’incolore, on dirait que les fleurs sont de teinte poudrée. On est en 1951, les prises de vue sont de Théo Mey.

Aucune image présentée dans Nature captured and framed n’est un original. Ainsi des photographies de Batty Fischer, dont la Photothèque possède 300 exemplaires fragiles, à conserver, à retoucher : l’émulsion des autochromes contenaient de la fécule de pomme de terre qui avec le temps provoque une oxydation. Les photos sont montrées avec ces petites imperfections dans l’exposition. On leur trouve un air de famille avec des photographies de Stieglitz et de Steichen, par le pictorialisme de Batty Fischer. Le japonisme aussi était une référence.

On ne sait comment décrire le ressenti devant les neuf autochromes de Batty Fischer. Que ce soient à cause de la couleur rosée des fleurs, des teintes du vert à l’ocre des feuilles des arbres, l’eau, miroir plan qui fait voir des bâtiments à l’envers, les personnages qui donnent l’échelle d’un paysage.

Un mur entier est consacré à l’arbre. On l’écrit au singulier, parce que les plus beaux sont les arbres isolés. Les tirages contemporains, inkjet sur papier blue back, accentuent leur texture fragile comme si la lumière était brumeuse.

Entre ces prises de vue, dont les originaux sont des négatifs sur verre de Batty Fischer du début du siècle dernier, un paysage magnifique de Marcel Schroeder Le chêne de Hersberg et l’Heeschtbrecher Bildchen, du milieu du siècle, d’Auguste Jungblut, un photographe amateur, d’un auteur inconnu, on peut passer beaucoup de temps dans l’exposition.

Nature captured and framed. est à voir jusqu’au 14 septembre au Ratskeller du Cercle Cité

Marianne Brausch
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