Censure sur Internet

Mobilisation réussie contre la censure

d'Lëtzebuerger Land du 20.01.2012

La mobilisation contre les lois proposant d’instituer une censure du web au nom de la lutte contre le piratage en ligne a été un large succès aux États-Unis. La journée de protestation du mercredi 18 janvier, dont la manifestation la plus spectaculaire a été la fermeture pour 24 heures de la version anglophone de Wikipédia, a été l’occasion d’un vaste débat. La page d’accueil du moteur de recherche Google, connue pour sa grande sobriété, s’est ornée d’un lien « Tell Congress : Please don’t censor the web ! ». Le magazine Wired a proposé une homepage entièrement caviardée pour illustrer les méfaits de la censure, avec toutefois la possibilté de débrancher le dispositif et un mécanisme de « mouse-over » donnant accès aux titres et aux liens vers les articles. Le bilan est encourageant ; après le ralliement ces dernières semaines à la cause anti-censure d’entreprises qui jusque là défendaient les projets de loi dits SOPA (Stop Online Privacy Act) et PIPA (Protect IP Act), dont l’adoption est réclamée par les majors, le danger que ces projets représentent pour la liberté d’expression et pour l’innovation sur le Net est nettement mieux perçu. Il est peut-être trop tôt pour affirmer que le danger de leur adoption est écarté, mais leur vote en l’état semble compromis.

Un des ralliements les plus spectaculaires à la cause anti-SOPA ces dernières semaines a été celui du fournisseur d’accès et de services Internet GoDaddy. Alors que les sociétés actives sur et autour d’Internet étaient en général d’emblée opposées à ce projet, GoDaddy s’était laissé enrôler dans sa défense. Une forte mobilisation des internautes, et en particulier d’utilisateurs des services de l’entreprise, dont certains ont déplacé leurs sites vers d’autres hébergeurs, ont convaincu la direction de rejoindre le camp anti-SOPA. Dans ce débat, les affirmations des majors sur les supposés dommages subis du fait du téléchargement illégal ont été décortiquées et il a été relativement facile de démontrer que les chiffres avancés étaient gonflés. D’autre part, le caractère contraire à l’esprit ouvert et innovant du Net et l’inefficacité de la censure proposée ont été largement discutés.

Sur le premier point, le raccourci de l’argumentaire des majors et de certains ayant-droits, qui partaient d’estimation du téléchargement pour en déduire de manière mécanique leur manque-à-gagner, a été démasqué comme fallacieux : ce n’est évidemment qu’une fraction, probablement infime, des produits téléchargés illégalement, qu’il s’agisse de musique, de films, de jeux ou de logiciels, qui auraient été achetés si des lois draconiennes empêchaient le piratage. Les commentateurs ont eu beau jeu de rappeler que la copie de fichiers sur Internet s’apparente au moins partiellement à la pratique de l’emprunt de livres entre amis ou à la vente à bas prix de livres d’occasion. Le piratage est-il intrinsèquement mauvais pour l’économie ? L’internaute qui évite une dépense pour un DVD disposera de cette somme pour d’autres achats. Plus qu’une destruction de valeur, le piratage débouche sur un transfert de dépense vers d’autres secteurs de l’économie, ont fait valoir les détracteurs de SOPA.

Sur le second, la blogosphère a fourni ce mercredi des exemples de comment des internautes ont cherché et trouvé des moyens techniques pour contourner la censure volontairement mise en place par Wikipédia au nom de la mobilisation anti-SOPA. Le parallèle avec les dispositifs de censure prévus par SOPA saute aux yeux : les plus futés parmi les utilisateurs d’Internet parviendraient malgré toutes les dispositions de censure de SOPA à continuer de télécharger, tandis que la grande masse des internautes seraient pénalisés par les mesures radicales de déni d’accès.

À l’exemple de ce qui s’est passé cette semaine pour le projet de pipeline Keystone XL entre le Canada et le Texas, repoussé par la Maison Blanche après une vaste mobilisation de la société civile, le président Obama, qui a manifesté sa désapprobation de ces projets, se sentira sans doute plus à l’aise pour y opposer son véto s’ils sont adoptés au Congrès sous une version par trop liberticide.

Jean Lasar
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