Chronique Internet

Big Glass

d'Lëtzebuerger Land vom 08.03.2013

Google a communiqué une nouvelle fois ces derniers jours sur Google Glass, appareil ultra-branché que l’on chausse comme des lunettes et dont le lancement pourrait intervenir au cours des prochains mois, en permettant à des journalistes de le tester. Depuis, un débat enfle dans la blogosphère sur les dangers que ce nouveau gadget pourrait représenter pour la sphère privée de ses utilisateurs. Il semble en tout cas impossible d’écarter d’un revers de la main les craintes qu’inspirent à certains ce nouvel appareil. L’objet permet à la fois de surfer sur le Net et d’enregistrer l’image et le son perçus par le porteur.

Il permet donc, entre autres, grâce à sa commande vocale, de fournir en temps réel des informations à l’utilisateur sans que celui-ci n’ait à détourner son regard pour examiner l’affichage d’un smartphone ou pousser sur des boutons. Stricto sensu, on pourrait dire qu’un tel appareil a les mêmes fonctions qu’un téléphone portable et ne fait que les pousser plus loin pour faciliter la vie de l’utilisateur. Mais il est clair qu’en raison de son caractère éminemment « embarqué », et omniprésent, « Glass » sera un compagnon beaucoup plus envahissant. Avec des applications qui seront hébergées chez Google, il proposera naturellement le confort de ses différentes fonctionnalités en échange d’une confiance absolue dans la fiabilité et la robustesse des règles de protection de la sphère privée proposées par le géant de la recherche en ligne.

Or, il faut bien reconnaître que la confiance ne règne pas. Certes, Google se présente volontiers comme une entreprise citoyenne et respectueuse des droits des utilisateurs de ses services. Elle se veut transparente. Et même si elle a acquis une bien meilleure réputation sur ces points que Facebook, par exemple, l’entreprise est loin d’être sans reproche.

D’autre part, il n’y a pas besoin de se forcer pour imaginer les situations problématiques qui pourraient résulter d’une généralisation du Google Glass. Lors d’un déplacement en public, chaque porteur de cet appareil pourra, en théorie du moins, « voler » des images de tout un chacun sans que les intéressés ne s’en rendent compte. Dans un café, dans la rue, dans le métro, comment savoir si telle personne qui vous observe vous filme à votre insu ?

Pire qu’un réseau de vidéosurveillance, un vaste parc de Google Glass portés en permanence pourrait en un tournemain être détourné en réseau de collecte d’images facilement localisables – il va sans dire que Google Glass sait à tout moment où se trouve celui qui le porte – et, à la faveur d’un léger dérapage, motivé par exemple par une politique anti-terroriste, devenir un Big Brother d’autant plus efficace qu’il serait alimenté par les personnes qu’il surveillerait.

À ces objections, certains répondent que jamais ce gadget au style parfaitement geek ne rencontrera le succès. Google semble avoir trouvé la parade puisque le Glass sera stylé par des designers en vogue : juste ce qu’il faut pour emporter l’adhésion des jeunes à la recherche d’un look trendy et de nouvelles sensations. Une autre objection est que dans les démocraties occidentales, la sphère privée des citoyens a – pour l’instant du moins – raisonnablement résistée aux tentatives de la mettre à mal. Ce ne serait donc pas de la technologie qu’il faudrait se méfier, mais des menées inavouables des grands groupes et des gouvernements. Mais l’on sait bien que l’occasion fait le larron. On peut ainsi aisément imaginer que lors d’un procès, des scènes captées par des porteurs de Glass soient collectées par une des parties en parcourant le Cloud et introduites comme preuve.

Autre perspective quelque peu glaçante : Google Glass, associé à un logiciel de reconnaissance faciale branché sur le Net, permet à un bandit d’identifier un passant à la volée, de s’adresser à lui et de s’introduire dans sa vie à des fins criminelles. Un militant des droits civiques dirait qu’l ne suffira pas de lire à la loupe les conditions d’utilisation de Google Glass, mais qu’il faudra pouvoir les négocier pied-à-pied. Reconnaissons que cette possibilité, quand bien même elle serait désirable, semble improbable.

Jean Lasar
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