La directrice du centre culturel Spektrum à Rumelange, Teena Lange (photo : sb), a été relevée de ses fonctions fin septembre. Son licenciement est le point final de longs mois de passes d’arme entre elle et Carole Marx, la présidente du conseil d’administration et conseillère communale (LSAP). Il est aussi le symptôme des difficultés de gouvernance des communes dans les infrastructures culturelles qu’elles mettent en place.
Le projet Spektrum représentait la contribution de Rumelange à Esch2022. Hébergé dans la maison du sculpteur Albert Hames, le bâtiment est d’abord une réussite architecturale signée par l’architecte Philippe Nathan. Le concept initial, définissait un lieu « axé sur les pratiques culturelles et artistiques expérimentales et immersives ainsi que sur le tourisme créatif ». Spektrum devait donc être un lieu de rencontre où les gens pourraient faire des expériences artistiques. Un projet inclusif auquel tout le monde pourrait participer.
Arrivée de Berlin en mai 2022, Teena Lange, adhère à ce credo tout en mesurant « l’immense challenge que cette implantation et son ambitieux axe de programmation suppose », explique-t-elle au Land en revenant sur son parcours. L’équipe réduite met en place un programme d’ouverture, largement suivi et salué. Elle obtient d’emblée une convention avec le ministère de la Culture (50 000 euros). La commune de Rumelange contribue quant à elle à hauteur de 140 000 euros.
Après cette première phase, les tensions ont commencé à se faire sentir. Les ambitions annoncées ne correspondent pas aux moyens donnés, estime la manager culturelle allemande. L’écart entre ses attentes et celles de la commune se creuse. « Après l’été 2023, la situation devient toxique en particulier avec Carole Marx qui était trésorière de l’asbl. Elle critique mon travail en permanence, répète à tout le monde que je ne suis pas la bonne personne pour ce poste », rembobine Teena Lange. Le pourrissement s’accentue quand Gérard Jeitz, le premier président du conseil d’administration, « qui m’a toujours fait confiance et soutenue » démissionne fin 2023. Carole Marx lui succède.
Teena Lang reprend espoir quand, de nouveaux membres font leur entrée au CA, issus de la scène culturelle. « Ils allaient pouvoir expliquer quels sont les besoins d’un centre culturel, comment soutenir notre travail plutôt que nous mettre des bâtons dans les roues. » La directrice obtient un important soutien de l’Œuvre Grande-Duchesse Charlotte dans le cadre du programme des « Tiers-lieux culturels » : 130 000 euros par an pendant trois ans. « On avançait bien. On a réalisé de beaux projets avec des écoles, des maisons relais, le photo-club, la maison des jeunes... »
Rien n’y fait. Carole Marx est de plus en plus remontée. « Madame Lange n’a rien entrepris, on n’a jamais eu de programme à long terme. On navigue à vue », a-elle justifié auprès du Land. Elle ajoute avoir reçu une plainte pour harcèlement à l’encontre de Teena Lange. Ce qui a été également mis en avant par Jimmy Skenderovic, échevin (LSAP) chargé de la culture à Rumelange cité dans le Wort. Au début du mois de septembre, le CA décide de licencier Teena Lange. Une décision qui est loin de faire l’unanimité puisque quatre membres démissionnent en bloc, ceux qui justement était issus du secteur culturel : la curatrice et manager culturelle Françoise Poos, l’artiste Karolina Markiewicz, le responsable culturel Pascal Useldinger et le musicien Sacha Hanlet. Plus récemment, le chargé de communication du syndicat Prod Sud Yann Logelin a aussi quitté le CA. Ils reprochent le manque de transparence et regrettent que le projet artistique bien conçu qui a pourtant été la raison de la convention avec le ministère et du soutien de l’Œuvre, soit arbitrairement mené dans une toute nouvelle direction.
« On travaille au recrutement d’une nouvelle équipe », fait savoir Carole Marx. Une offre d’emploi comme « Managing director » a déjà été publiée cet été. Une job description assez floue et large pour que cette personne endosse diverses responsabilités. Une vingtaine de candidatures ont été reçues, « six ou sept candidats » ont été interviewés. La décision finale n’est pas encore rendue publique.
Avec le départ des « cultureux » du CA, ne reste que ceux qui, selon les statuts, ont été nommés par la commune de Rumelange. La suite n’est pas claire. L’opposition CSV au conseil communal promet une interpellation sur ce dossier dans les semaines à venir.
Le ministère de la Culture ne s’est pas encore prononcé quant au renouvellement de la convention si l’ambition du projet était revue à la baisse. Et l’Œuvre confirme qu’un rapport intermédiaire sera analysé avant de verser la deuxième tranche.
Cette situation renforce le besoin de clarifier les rapports entre les communes et le ministère de la Culture ainsi que la nécessité d’apporter de l’expertise culturelle dans les CA de ces asbl. Trop souvent les élus locaux ne fréquentent pas réellement leurs lieux, ne comprennent pas ce qui s’y passe. Ils ont ensuite du mal à défendre le programme auprès de la population et cherchent à recentrer les activités sur des sujets plus mainstream. FC