Roumanie

Une victoire de la justice

d'Lëtzebuerger Land vom 18.06.2021

C’est une bataille pour la justice qui a duré une trentaine d’années, et elle en dit long sur le parcours effectué par les pays de l’Europe de l’Est pour entrer dans l’Union européenne (UE). À l’époque du rideau de fer, la justice et l’État de droit ne comptaient guère pour les partis communistes qui recevaient leurs ordres de Moscou. Mais en 1989, après la chute du mur de Berlin, les Européens de l’Est ont tourné le dos au pouvoir de l’Est et tourné leur regard vers l’Ouest capitaliste. Il aura fallu attendre quinze ans avant que dix pays de l’Europe centrale intègrent l’UE en 2004, suivis par deux autres en 2007, la Roumanie et la Bulgarie.

La justice et le respect de l’État de droit étaient les talons d’Achille de la Roumanie et de la Bulgarie auxquelles la Commission européenne a proposé en 2007 un mécanisme de coopération et de contrôle (MCV). Ce mécanisme consistait à encourager ces deux pays à réformer leur système judiciaire et à soutenir la lutte contre la corruption. Une mission difficile qui a connu des hauts et des bas en fonction des alternances politiques partisanes. Le dernier rapport de la Commission de Bruxelles, rendu public le 8 juin, insiste sur le nouvel élan de la Roumanie pour une justice respectueuse de l’État de droit et des standards européens. « Depuis le dernier rapport MCV publié en 2019, la situation selon les paramètres des objectifs de référence du MCV affiche une tendance positive, peut-on lire dans ce rapport. La Commission salue le fait qu’une nouvelle impulsion a été donnée aux réformes en 2021 en vue de mettre un terme à la régression qui a marqué la période 2017-2019. »

Derrière ce langage institutionnel le rapport de la Commission fait état du chemin parcouru par la Roumanie pour assurer l’indépendance de son système judiciaire. Ce chemin a été long et sinueux, mais il est parvenu à ses fins. Lorsque les dix pays de l’Europe centrale ont adhéré à l’UE en 2004, la Roumanie s’était engagée auprès de Bruxelles à réformer le son système judiciaire et à combattre une corruption endémique. Il aura fallu trois ans de réformes radicales pour convaincre les instances européennes. Les magistrats ont obtenu plus d’indépendance dans l’exercice de leurs fonctions, et le nouveau Parquet national anticorruption (DNA) a été confié à une équipe de jeunes procureurs formés en Europe de l’Ouest.

Les performances du DNA ont été saluées à Bruxelles. Pays réputé pour son degré élevé de corruption, la Roumanie a changé la perception de la Commission européenne qui évalue tous les ans l’état de la justice dans le cadre du mécanisme de coopération et de vérification. Le Parquet national anticorruption a déclenché une opération mains propres et a réussi à faire condamner nombre d’individus naviguant dans les hautes sphères du pouvoir : secrétaires d’État, députés, sénateurs, maires, préfets, généraux, un ancien Premier ministre et autres personnalités politiques réputées intouchables. « Ma génération veut changer les choses, a déclaré l’ancienne cheffe du DNA Laura Codruta Kövesi à l’occasion de son départ en 2018. La bataille la plus dure ce n’est pas le changement des lois et des procédures, mais le changement des mentalités. »

En signe de reconnaissance de ses capacités à combattre la corruption, Laura Codruta Kövesi a été choisie par les autorités européennes pour diriger le nouveau Parquet européen entré en fonction le
1er juin. Le parcours de cette Cerbère de la justice roumaine n’a pas été un long fleuve tranquille. Détestée par la plupart des hommes politiques, la jeune procureure est devenue le symbole de la lutte contre la corruption. Sa confrontation avec la classe politique a connu des sommets de 2016 à 2019 lorsque Liviu Dragnea, le chef du Parti social-démocrate (PSD) qui contrôlait le gouvernement, a utilisé son pouvoir politique pour échapper à la justice. Mais l’opinion publique s’était mobilisée et le gouvernement avait dû faire marche arrière face à une manifestation marathon contre la corruption. Le 27 mai 2019 M. Dragnea avait été condamné à trois ans et demi de prison pour abus de pouvoir.

Depuis 2020 une coalition de centre-droit s’est imposée sur l’échiquier politique et tente de remettre le pays sur les rails. Les réformes de la justice ont repris leur rythme et cette évolution positive a été notée dans le rapport de la Commission européenne. Bruxelles avait un problème avec une institution créée par Liviu Dragnea qui donnait aux hommes politiques un pouvoir important sur les magistrats. La Commission avait demandé à la Roumanie de renoncer à ce moyen de pression sur les juges et les procureurs, et Stelian Ion, le nouveau ministre de la Justice, s’est engagé en ce sens. « Nous devons absolument supprimer cette institution très critiquée dans le cadre du mécanisme de coopération et de vérification de la Commission, avait-il déclaré à Bruxelles le 8 juin. Sur ce sujet nous sommes sur un chemin de non-retour. » La victoire de la justice en Roumanie devrait inspirer d’autres pays de l’ancien bloc communiste qui ont parfois du mal à s’adapter aux de normes européennes.

Mirel Bran
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