Chroniques de l'urgence

Klima vor acht

d'Lëtzebuerger Land vom 18.06.2021

La crise climatique s’immisce dans les journaux télévisés lors d’événements majeurs clairement attribuables au réchauffement, de conférences internationales qui lui sont consacrées ou lorsque des jeunes descendent dans la rue pour exhorter leurs aînés à agir. Mais en temps « normal », elle n’y figure pas : elle constitue la catastrophe à bas bruit par excellence, l’« elephant in the room » que l’on convient d’ignorer parce que 1) c’est trop compliqué, 2) on en a déjà parlé, 3) c’est déprimant, 4) il n’y a rien de nouveau, 5) on ne peut de toute façon rien faire, 6) ça déplaît aux annonceurs – merci de cocher la case correspondante, plusieurs choix possibles.

Mécontente de cette situation, une association ad hoc d’activistes allemands a décidé de mettre l’ARD au défi de faire précéder son sacro-saint journal de 20 heures d’une pastille pédagogique consacrée à cette problématique existentielle. Plus généralement, il s’agit pour eux d’obtenir que les télévisions grand public produisent des reportages innovants à ce sujet et les diffusent régulièrement à des heures de grande écoute. « L’objectif est d’atteindre des groupes de population qui n’ont pas ou que très peu été jusqu’ici en contact avec la thématique », explique le site de « Klima vor acht ».

Jusqu’ici, le service public a fait la sourde oreille. Depuis cette semaine, il diffuse un quart d’heure avant le journal « Sprüche vor acht », où il explique une expression allemande. Pour le reste, il s’en tient à l’indéboulonnable déroulement de sa grand-messe du soir : à 19h55, depuis Francfort, avec « Börse vor acht », les « Tagesthemen » sont précédés d’un point sur les performances et contreperformances des champions de la cote. Alors qu’elle n’a pas été sollicitée directement, la chaîne commerciale RTL a, elle, saisi la balle au bond et entrepris de répondre à la revendication des activistes.

Il est évidemment hautement symbolique pour les militants de réclamer pour leurs spots (ils entendent, dans un premier temps, les produire eux-mêmes avec des experts et des scientifiques) précisément le créneau réservé aux informations boursières. Il s’agit pour eux de remettre d’aplomb la hiérarchie des nouvelles. Si le compte-rendu boursier précède toutes les autres informations, c’est bien parce que le sort des entreprises du DAX est considéré comme plus important que tout le reste. Et il est pertinent de soutenir que cette soumission aveugle aux considérations financières contribue à bloquer la situation en occultant l’acuité de la crise.

La démarche de « Klima vor acht » est louable : elle ouvre un champ de bataille critique pour que des pans entiers de la population allemande, des lecteurs assidus de Bild aux téléspectateurs occasionnels, prennent enfin conscience des enjeux climatiques. Au-delà de cette bagarre, c’est évidemment toute la grille de lecture de l’actualité qu’il s’agit de réformer de fond en comble : ce qu’il nous faut, c’est « Klima um acht ».

Jean Lasar
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