France

L’état de grâce est déjà fini

d'Lëtzebuerger Land vom 28.07.2017

Il s’est à nouveau passé un événement peu banal en France, après une longue année électorale ponctuée de surprises et de rebondissements. Le président de la République et le chef d’état-major des armées ont étalé leur désaccord au grand jour, avec comme dénouement la démission du second. Ce n’était pas arrivé dans le pays depuis 1962. Tout part de l’annonce le 11 juillet par le ministre des Comptes publics,
Gérald Darmanin, d’économies de 4,5 milliards d’euros dans les ministères en 2017, pour respecter dès cette année la limite européenne de trois pour cent du PIB pour le déficit public. Une promesse maintes fois répétée mais jamais tenue, en cinq ans, par le président sortant François Hollande.

La plus grosse part de ces 4,5 milliards concerne le ministère de la Défense : 850 millions d’annulations de crédits. Or il était connu que les armées avaient du mal depuis plusieurs années à remplacer et renouveler leurs matériels, dans un contexte de nombreuses opérations extérieures (Sahel, Proche-Orient) et intérieure (Sentinelle) dues aux menaces terroristes, et avec la dissuasion nucléaire à maintenir. À tel point que le chef d’état-major des armées nommé en 2014, Pierre de Villiers, avait publiquement milité, pendant la campagne présidentielle, pour porter le budget de la Défense de 1,77 à deux pour cent du PIB, soit 42,5 milliards d’euros, en cinq ans. Et la plupart des grands candidats avaient repris cet objectif de deux pour cent pour 2022. La plupart… sauf Emmanuel Macron. Le vainqueur du scrutin s’en était tenu à 2025, soit le même calendrier que celui fixé depuis 2014 par l’Otan pour tous les États membres de l’organisation.  

Quand le général de Villiers apprend les annulations de crédits, il proteste dès le 12 juillet devant les députés de la commission de la Défense. La réunion a beau avoir lieu à huis clos, les propos du plus haut gradé du pays fuitent très vite. « Le grand écart entre les objectifs assignés à nos forces et les moyens alloués n’est plus tenable », dit-il. « Je ne vais pas me faire baiser par Bercy comme ça ».

Dès le 13 juillet au soir, et qui plus est devant des militaires se préparant à défiler le lendemain pour la fête nationale, Emmanuel Macron recadre publiquement le chef d’état-major. « Il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique », assène-t-il, avant de rappeler aux gradés présents l’ordre constitutionnel : « Je suis votre chef ». Le lendemain, les deux hommes ont beau descendre ensemble les Champs-Elysées dans un command-car, le différend est quasiment scellé. Le temps d’organiser son départ et Pierre de Villiers annonce sa démission le 19 juillet au matin. Il est aussitôt remplacé par le général François Lecointre, qui a eu une carrière de terrain en Irak, au Rwanda (pendant l’opération Turquoise) et s’est notamment illustré à Sarajevo.

Mais les critiques fusent contre Emmanuel Macron, d’autant que le démissionnaire était très respecté. Plus que d’autorité, le jeune président n’a-t-il pas fait preuve d’autoritarisme ? Surtout, ne risque-t-il pas de mettre en danger la vie de soldats par les économies demandées, lui qui n’a pas hésité à se servir des armées pour affirmer son pouvoir dans les toutes premières semaines du quinquennat, en visitant la force française au Mali ou en embarquant dans le sous-marin nucléaire « le Terrible » au large de Brest ? Dès le lendemain de la démission, le président est donc déjà en opération de « reconquête » des militaires : sur la base aérienne d’Istres, près de Marseille, il promet qu’en 2018 « aucun budget » ne sera augmenté, hormis celui de la Défense. Et il repart pour Paris dans un Boeing C-135 de l’Armée de l’Air, en tenue militaire.  

Au-delà de cette hypercommunication dont il est devenu coutumier, Emmanuel Macron « a en réalité procédé à un recadrage général, il a sifflé la fin de la partie pour tout le monde, administration de Bercy, parlementaires et militaires, tous ceux qui sont entrés dans un jeu de pression ces dernières années en n’en faisant qu’à leur tête en dépit des arbitrages présidentiels », a commenté face au Monde l’historien de la défense Philippe Vial. Le président veut tenir ses engagements de candidat. De même qu’il a refusé de repousser les baisses de l’impôt sur la fortune (ISF) et de la taxe d’habitation, il entend aller vers les deux pour cent mais à son rythme.

Pour cela, il espère la coopération de l’Allemagne. Le conseil franco-allemand du 13 juillet, tenu à Paris avec Angela Merkel, a surtout porté sur la défense. Les deux pays y ont annoncé vouloir un « avion de combat commun ». L’initiative a été peu commentée, car l’horizon de 2035 est lointain, mais certains jugent qu’il pourrait s’agir d’un « marché de dupes » pour Paris, si Berlin cherche à « phagocyter » le savoir-faire hexagonal  : pour le journaliste économique Jean-Michel Quatrepoint, « le piège des trois pour cent se referme donc sur nous et sur ce qui restait encore de l’excellence industrielle française : les industries de défense »1. En tout cas, à plus court terme, le budget de la Défense reste un casse-tête. Pour montrer qu’elle garde la main, la ministre des Armées Florence Parly a finalement annoncé un dégel de 1,2 milliard d’euros de crédits sur les 1,9 milliards bloqués en 2017. Et assuré que l’annulation des 850 millions n’aurait « aucun impact » sur le « fonctionnement quotidien » des armées cette année.

Reste que cet épisode, couplé à celui de l’ISF et à la hausse à venir de la CSG pour les retraités, sans compter la nouvelle loi travail, a laissé des traces. En un mois, la cote de popularité d’Emmanuel Macron a perdu dix points, à 54 pour cent, selon l’Ifop. À ce stade du mandat, c’est davantage que Jacques Chirac en 1995, mais moins que Nicolas Sarkozy en 2007 (66 pour cent) et même François Hollande en 2012 (56 pour cent). Et encore, le sondage a été mené avant la polémique sur la baisse des aides au logement. Une fin d’état de grâce rapide, pour un président censé porter un profond renouvellement.

1 « Macron, Villiers et le piège des 3% », tribune au Figaro, 21 juillet 2017

Emmanuel Defouloy
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