Programme d'action

Convertir l'immobilisme de l'immobilier

d'Lëtzebuerger Land vom 12.12.2001

Le nouveau programme d'taction visant à réactiver et à réguler le marché de l'immobilier s'est fait attendre - les principes ont été approuvés en mai 2000 par le gouvernement - les modalités ont été présentées aux députés de la Commission concernée le mois dernier. La situation est connue : pénurie de logements et de terrains à bâtir disponibles sur le marché, déséquilibre entre l'offre et la demande, flambée des prix. Conséquence : 20 000 à 30 000 logements font défaut. Pourtant, les terrains sont là, les habitations vides longent les rues, la spéculation foncière va bon train. La politique de logement s'est longtemps limitée à concentrer ses efforts sur les aides et les subsides, le Fonds pour le logement à coût modéré étant chargé de la création de logements - alibi d'une politique dont le bilan est qualifié de déficitaire, notamment par le député-maire socialiste Mars Di Bartolomeo. Celui-ci a pris l'initiative d'interpeller le gouvernement sur la politique du logement et l'évolution des prix des terrains à bâtir. Même les libéraux sont d'avis qu'il faut réguler le marché. Cette discussion a eu lieu au parlement le 4 juillet dernier, elle sera suivie d'un débat d'orientation au printemps prochain. 

 

Entre-temps, une nouvelle organisation s'est créée, la Biergerinitiativ fir bezuelbare Wunnraum, au logo rappelant le jeu électronique Sim City. Ses membres ont dressé une liste de « neuf revendications pour un logement à prix abordable ». La discussion est lancée avec le spectre des 700 000 habitants comme toile de fond. La situation est d'autant plus préoccupante qu'elle ne concerne plus uniquement les personnes à revenu modeste, mais aussi les classes moyennes. « Il est impossible pour bon nombre de personnes d'acquérir un logement en propriété, sans le soutien financier de leurs proches. L'acquisition d'un logement - même pour les ménages ayant deux salaires à leur disposition -, constitue une charge financière souvent insurmontable, » telle est l'introduction de la nouvelle association, fer de lance de ces personnes d'un niveau de vie assez élevé. La Biergerinitiativ les invite notamment à signer une pétition on-line (www.bi-wunnen.lu).

 

Par le nouveau programme d'action, le ministre du Logement Fernand Boden compte rectifier le tir en introduisant certains changements des modalités existantes. Il s'agit d'augmenter d'une part l'offre de logements et d'autre part l'accès aux aides publiques, en introduisant toute une palette de mesures budgétaires et fiscales. 

 

Tout d'abord, il est nécessaire d'établir un inventaire des logements et des terrains à bâtir sur tout le territoire en créant un « observatoire des établissements humains ». La racine du problème est là : personne ne sait exactement quelles sont les disponibilités existantes. 

Le Premier ministre Jean-Claude Juncker avait déclaré l'année passée que l'État lui-même allait prendre l'initiative de mettre à disposition ses propres terrains pour endiguer la hausse des prix et la spéculation foncière. Ces déclarations lui ont valu de sévères critiques du député Mars Di Bartolomeo parce qu'elles n'étaient pas suivies dans les faits. Le programme d'action prévoit d'y remédier et aussi de dresser une liste des immeubles de l'État afin de les reconvertir en logements. 

 

Il s'agit là sans doute d'un signal en direction des communes pour qu'elles suivent l'exemple. Car celles-ci seront invitées à faire de même. Lors de l'interpellation au parlement, Fernand Boden a fait entre autres allusion à l'immobilisme des communes. En rappelant qu'elles avaient pour mission d'assurer un logement aux personnes y ayant leur domicile, il déclarait notamment que les administrations avaient une importante responsabilité en la matière, que ce n'était pas seulement au gouvernement d'agir. Les communes disposent de certains pouvoirs, notamment de la possibilité d'expropriation ou d'ordonner la construction sur des terrains non bâtis, des mesures impopulaires, certes, mais dont les conseils communaux peuvent faire usage. 

 

La crainte d'impopularité rend les bourgmestres frileux. Maints projets de lotissements ont échoué à cause de l'opposition des populations locales craignant pour leur confort et leur qualité de vie. Ces blocages ont évité dans une certaine mesure la croissance naturelle de ces localités - le résultat de ce repli sur soi est celui de devoir prendre aujourd'hui des mesures inéluctables avec le risque de changements précipités. 

 

La riposte des communes est prompte : lorsque les promoteurs ont quitté le terrain, les poches bien remplies, ce sont elles qui se retrouvent avec d'énormes dépenses sur les bras. Elles sont obligées de financer l'aménagement des infrastructures, les voiries, la canalisation, les écoles etc., bref un surplus de dépenses trop important, surtout pour celles qui sont déjà endettées. Ces arguments sont toutefois contredits par certains acteurs du terrain qui estiment que les communes ont bien la possibilité de se faire rembourser une grande partie des dépenses, notamment les canalisations et les stations d'épurations - n'empêche que certaines localités n'en disposent toujours pas. Un nouveau système de subventionnement des infrastructures socio-économique de l'État est d'ailleurs prévu. 

 

Le gouvernement participe surtout lorsque des mesures sont prises pour favoriser le logement. Le ministre Fernand Boden le rappelle dans la brochure « plaidoyer pour une politique active de l'habitat ». Un exemple : l'État participe à hauteur de quarante pour cent au coût d'acquisition du foncier en relation avec des logements vendus sur bail emphytéotique.

 

L'emphytéose est d'ailleurs le mot clé de ce programme d'action. Ce droit est accordé par un bail de longue durée, généralement de 99 ans, moyennant paiement d'une somme modique. Ce système est peu répandu au Grand-duché et consiste à éviter les prix exorbitants de l'achat du terrain à bâtir. La durée du bail écoulée, il est soit prolongé, soit le terrain retourne à son propriétaire - avec l'immeuble qui s'y trouve. Le gouvernement souhaite promouvoir cette formule, adoptée d'ores et déjà par le Fonds du logement. 

 

L'État participe aussi à hauteur de quarante pour cent au coût d'acquisition des terrains en vue de constituer des réserves foncières - un instrument important pour augmenter l'offre de terrains à bâtir, selon Fernand Boden. Mais la question se pose de savoir dans quelle mesure ces financements publics risquent de contribuer à une nouvelle flambée des prix des terrains - l'État et les communes ayant des moyens bien plus importants que les particuliers. 

Dans la logique de l'urbanisation et de la gestion rationnelle de l'espace limité, il est nécessaire de construire de manière plus dense. Fernand Boden a rappelé lors de l'interpellation au parlement qu'il fallait changer de mentalité. Le ministère de l'Intérieur aussi aurait des difficultés à imposer cette vision, car les communes ne seraient pas disposées à suivre ces exigences. Dès lors, le gouvernement voudrait encourager la construction d'immeubles jumelés. L'accent est d'ailleurs mis sur la revalorisation et l'assainissement des constructions existantes. Un autre défi est celui de créer des endroits où il fait bon vivre, donc d'éviter de produire d'autres cités-dortoirs. 

 

Dans son programme d'action, Fernand Boden déclare la guerre à la spéculation foncière. Il compte mettre en place un groupe de travail représentant les différents départements ministériels concernés, en étroite collaboration avec le syndicat des communes Syvicol. Les membres de ce groupe seront chargés de vérifier si les mesures énoncées portent leurs fruits. Sinon, il faudra analyser comment agir d'une manière plus interventionniste, notamment par l'augmentation de la taxe foncière, si certains terrains à bâtir sont retenus manifestement à des fins spéculatives, si des logements restent vides pendant une certaine durée ou si un logement change d'affectation. Il n'est pas rare de voir des habitations transformées en bureaux, avec la possibilité d'augmenter le loyer considérablement. 

 

Autre initiative de poids : la réforme de la loi sur les baux à loyer, jugée trop contraignante pour les propriétaires et donc dissuasive pour la création de nouveaux logements locatifs. Il est notamment envisagé d'abandonner la différentiation entre les immeubles datant d'avant la dernière guerre et ceux construits après. La notion de logements de qualité supérieure, le taux de rendement et le capital investi seront redéfinis. Le principe d'adaptation annuelle du loyer sera introduit pour garantir au propriétaire le maintien de son revenu face à l'érosion monétaire. 

 

La mise en place de toute une panoplie de mesures fiscales, de possibilités de déduction d'impôts, visant à encourager les particuliers à investir dans la pierre, constitue la cerise sur le gâteau. Le gouvernement compte lancer une campagne visant à promouvoir les attraits de ces placements refuge en relation avec les avantages fiscaux liés aux différents types de financement comme le prêt hypothécaire ou l'assurance-vie capitalisante. Cette campagne pourra sans doute susciter l'intérêt de petits investisseurs qui viennent de se brûler les ailes dans des spéculations en bourse. 

 

Afin d'encourager l'investissement dans le logement locatif privé, le gouvernement a trouvé une nouvelle astuce : une « loi Rau bis » est envisagée. Pour les revenus de location, il est proposé d'augmenter les taux d'amortissement pour le capital investi. Pour l'investissement dans la pierre, il s'agira d'inciter à l'épargne et à l'investissement. Un modèle possible serait l'émission de sicav dont l'objet social serait la location de logements par exemple. 

Pour faciliter l'accession à la propriété, il est proposé de favoriser l'épargne logement, peu connu jusqu'ici, sauf pour les fonctionnaires de l'État. Le traitement fiscal des cotisations d'épargne logement sera réexaminé. Une autre mesure est l'introduction de l'amortissement de l'habitation personnelle. Le propriétaire d'un logement aura les moyens de déduire de ses revenus un certain montant du prix d'acquisition de l'immeuble, à condition qu'il y habite lui-même.

 

Le gouvernement compte aussi adapter les critères d'attribution de la prime de construction/acquisition afin d'en élargir le nombre de bénéficiaires. Le système des primes est donc maintenu et même renforcé, bien qu'il ait contribué à la surenchère. L'épargne régulière sera encouragée par une prime additionnelle, la subvention et la bonification d'intérêt seront réformées et un « carnet de l'habitat » sera introduit. Il s'agit là d'un programme visant à évaluer des bâtiments et à attribuer des subventions prévues pour le rénovation et l'assainissement de logements anciens. 

 

Souvent, les personnes souhaitant louer n'ont pas les moyens de régler les frais d'entrée tels que la caution de trois mois de loyer, les frais d'agence et le loyer à payer à l'avance. L'État propose dans ces cas d'introduire une garantie locative pour ces personnes, souvent confinées dans des cagibis peu réjouissants avec salle de bain commune, payant le même loyer que pour un appartement décent. 

 

anne heniqui
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