Huit mois après son déménagement à Belval, la communauté universitaire bataille ferme pour conquérir un peu d’indépendance et de liberté dans les bâtiments gérés par le Fonds Belval pour l’État

À qui est Belval ?

d'Lëtzebuerger Land du 03.06.2016

C’était une petite note dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, à la mi-mai : « Abrisszettel hinter Glas : Hier atmet der Geist der Technologie », sous une photo d’un espace architectural aseptisé qu’affectionnent les architectes. Le correspondant du quotidien allemand au Luxembourg, Jochen Zenthöfer, y rend compte de ce qui pourrait paraître légèrement absurde de prime abord : dans ces bâtiments de l’Université du Luxembourg, pour lesquels le gouvernement a dépensé plusieurs centaines de millions d’euros, la vie estudiantine a du mal à éclore, huit mois après le déménagement de la première faculté sur le site. Et pour preuve, l’auteur cite ces affiches de manifestations et de réunions d’étudiants qui sont interdites parce que le propriétaire des infrastructures, le Fonds Belval, veut un environnement vierge à sous-louer à toutes sortes d’organisations externes, qu’elles soient publiques, comme des réunions de la Présidence luxembourgeoise du Conseil des ministres de l’Union européenne, ou privées, comme des congrès de partis politiques ou toutes sortes de séances académiques ou de conférences de sociétés ou d’associations privées.

Or, l’anecdote s’avère être un symptôme d’un malaise plus profond. Des enseignants qui travaillent à Belval se sont plaints dès la rentrée de la lourdeur administrative qui domine le fonctionnement de la Cité des sciences, lourdeur qui va de la réservation d’une salle de cours à la récupération du matériel technique, voire des clés de salle, jusqu’à la disponibilité d’étagères pour entreposer des livres, pourtant indispensables à l’enseignement. Cela se fait remarquer dès l’entrée à l’université : signalétique fragmentaire et une armée de surveillants de sociétés privées. Au lieu de créer une ambiance libre et propice à la discussion et à l’échange intellectuel, cette volonté de tout contrôler de la part du Fonds Belval rend les lieux froids et distants.

« C’est incroyable, dit Zara Anwarzai en pointant les hauts fourneaux. De l’extérieur, tout ici symbolise un lieu chargé d’histoire, mais de l’intérieur, à la fac, il n’y a aucune mémoire. Il est impossible de laisser son empreinte dans cette université... » La jeune Américaine qui enseigne la littérature anglaise depuis la dernière rentrée académique à Belval et est chercheuse en pédagogie, est une des animatrices du mouvement Belval est à nous ! qui s’est créé en début d’année autour d’un petit noyau d’enseignants-chercheurs et d’étudiants afin de revendiquer une place pour la vie estudiantine sur le campus. L’initiative est née d’un papier que Zara Anwarzai a écrit avec des étudiants sur la vie au campus Belval, papier qu’ils sont allés présenter lors d’un colloque sur l’espace académique qui a eu lieu en février à Copenhague. Impressionnés par le vie dynamique et l’ambiance décontractée à l’université danoise, ces étudiants voulaient continuer la discussion à leur retour : il doit être possible de faire naître une ambiance estudiantine à Belval se dirent-ils. Ils commencèrent donc à se concerter, à discuter, à prendre des notes, avant de lancer une conférence ouverte qui devait avoir lieu le 19 mai au premier étage de la Maison du savoir, annoncée via Facebook et par des affichettes sur le campus. Or, quelle ne fut leur surprise de voir que toutes ces affiches ont été enlevées illico presto par les services de sécurité du Fonds Belval. « Nous ne voulions pas de tensions, mais j’étais choquée de voir qu’on enlève nos affiches. »

Depuis, la radio socioculturelle 100,7 y a consacré un reportage, le Wort et le Tageblatt en ont rendu compte et les députés Martine Hansen (CSV) et Marc Baum (la Gauche) viennent de poser, cette semaine, deux questions parlementaires aux ministres du Développement durable et des Infrastructures Fançois Bausch (Verts) et à celui, délégué, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, Marc Hansen (DP). « Ne trouvez-vous pas que la gestion du site universitaire par le Fonds Belval devrait être adaptée au fait qu’un campus universitaire a besoin d’un certain degré d’autonomie et d’autogestion pour pouvoir développer une dynamique propre et une vie de campus ? » demande Marc Baum.

Peut-être que le péché originel de l’Université à Belval remonte plus loin : à l’opposition intra-gouvernementale qu’a dû affronter, lors de sa création, il y a treize ans, la ministre de l’époque Erna Hennicot-Schoepges (CSV) ; au bras-de-fer entre la Ville de Luxembourg et Esch pour l’implantation de la jeune université ; au malentendu qu’il devait s’agir d’un projet de revalorisation économique d’une friche industrielle plutôt que d’un projet éducatif... Et à l’ambition des gouvernements successifs d’être ambitieux dans ses aspirations universitaires sans que cela ne devienne excessivement cher : un milliard d’euros d’investissement, d’accord, une dotation directe qui atteint plus de 147 millions d’euros cette année, d’accord, mais pour les frais d’exploitation, il faudrait essayer de les optimiser. C’est pour cela que l’Université n’est pas propriétaire de ses propres infrastructures, qui appartiennent au Fonds Belval. Avec la loi du 24 novembre 2015, les missions de cet établissement public ont été élargies à des missions de gérance et de valorisation. Le Fonds lui-même appelle cela « Belval Project. Property and Facilty Management » (dans son magazine n° 04/14). L’idée en est simple : si l’Université n’occupe la splendide Maison du savoir que huit mois par an, il doit être possible de mettre les salles de conférence et amphithéâtres à disposition d’autres utilisateurs. La fiche financière du projet de loi sur la réforme du Fonds Belval prévoit des frais de consommation énergétique des surfaces communes, d’entretien et d’exploitation/gardiennage de l’ordre de treize millions d’euros cette année, seize en 2017 et presque 19 en 2018 (pour toutes les infrastructures publiques à Belval). Donc si quelque locataire pouvait contribuer à porter ces frais, ce ne serait pas de refus. Mais pour que les locaux soient attractifs pour un locataire, ils devraient être aussi neutres et anonymes que possible, toute trace de vie estudiantine doit être gommée, craignent les étudiants et enseignants.

« On dirait que pour le Fonds Belval, nous ne sommes qu’une société utilisatrice parmi tant d’autres », regrette Louis Van Der Elst, ingénieur et chercheur à l’Uni.lu et membre de Belval est à nous ! Comme ses collègues, il a vu des cours qui ont dû être interrompus plus tôt ou annulés parce qu’une manifestation privée devait avoir lieu, des étudiants ne retrouvant plus leurs salle de cours parce qu’ils ont dû déménager pour cause de manifestation privée et ainsi de suite. Tous demandent qu’au moins, l’université soit prioritaire dans l’utilisation des infrastructures. Ni Luc Dhamen, le directeur du Fonds Belval, ni Félicie Weycker, la présidente de son conseil d’administration n’ont été joignables dans le cadre de la recherche pour le présent article, c’est donc le ministre François Bausch qui prend la défense de l’établissement et de la politique gouvernementale : « Ce n’est pas vrai que le gouvernement ou le Fonds Belval veulent tirer un maximum de profit des bâtiments, affirme-t-il. Et bien sûr que l’université est prioritaire dans l’occupation de la Cité des sciences. Mais elle ne les occupe pas pleinement. L’Université voudrait avoir la gestion de ses bâtiments, mais le gouvernement n’est pas d’accord avec cela. » Pour le ministre, les tensions actuelles ne sont dues qu’à un manque de communication et de contact humain. Mais, comme Luc Dhamen serait un homme flexible et ouvert, beaucoup de ces problèmes devraient être assez facilement résolus. Toutefois « on ne peut pas non plus faire n’importe quoi dans ces bâtiments. »

Or, qui ne se souvient de ses années d’études à glander sur le campus de sa fac à l’étranger, des cafet’ à bon prix, des parties de cartes sur l’herbe entre deux cours et des coins fumeurs de haschich où on devenait stoned rien qu’en passant ? À Belval, rien de tout cela. Il n’y a pas d’espaces pour les étudiants, pas d’endroit où on puisse prendre un café, s’asseoir et lire un journal, se donner rendez-vous. L’architecture semble juste pensée comme lieu de passage, qu’on emprunte pour aller d’un point A à un point B. Il n’est donc pas étonnant que les étudiants ne viennent que pour les cours et repartent aussitôt. À l’exception du déjeuner à la cantine, réputé d’un bon rapport qualité/prix, toute l’offre sur le site est une offre commerciale : boire un espresso sur la terrasse du Golden Bean, faire des achats au Belval Plaza, prendre un apéritif à l’Urban... « Ici, tout est organisé, contrôlé, même ces graffitis-là furent commandités », regrette Zara Anwarzai. Or, sans espaces de liberté, pas de vie étudiante.

« La culture estudiantine a besoin de temps et d’efforts communs », concède le rectorat dans une prise de position à l’adresse de la communauté universitaire. Un rectorat, entend-on, qui serait également frustré de la manière dont se passe la collaboration avec le Fonds Belval. Le 28 juin, une réunion entre le Fonds Belval et le rectorat doit permettre de chercher des solutions à court, moyen et long terme. Ce pourraient être des interventions très simples, comme installer des bancs : sur le blog de Belval est à nous ! (http://belvalestanous.blogspot.lu), des personnages repeignent les longs couloirs gris de couleurs ciardes et amènent des canapés. D’autres projets concernent la Maison des arts et des étudiants, en cours d’achèvement, dont l’aménagement pourrait être plus orienté vers les étudiants. Des containers pourraient aussi être prévus pour des espaces autogérés (ce qui serait un comble, sur un site dédié aux études avec des bâtiments flambants neufs...) « Il faut maintenant faire vivre ces bâtiments, créer des endroits de rencontre et soutenir activement la culture estudiantine », écrit le rectorat. Les militants de Belval est à nous ! ont également écrit au Fonds Belval pour lui proposer de venir voir sur place et de s’échanger sur les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien. Car pour que les étudiants vivent des études accomplies, de cela Zara Anwarzai est convaincue, il faut qu’ils puissent combiner études et vie sociale à un même endroit, sans quitter le campus. Aujourd’hui, ajoute Louis Van Der Elst, « il faut quitter Belval pour se faire des amis ».

josée hansen
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