Carnet grec

L’été étrange : la crise après la crise

d'Lëtzebuerger Land du 04.09.2020

La crise après la crise Le dernier « Carnet grec » paru dans le Land date du mois de novembre 2015. Presque cinq ans plus tard et alors que la Grèce commençait à sortir de la crise économique, sociopolitique, crise de valeurs et d’identité qui a duré dix ans, est venue la pandémie du Covid-19. Cette crise sanitaire est mondiale, mais son arrivée ici, vient – encore une fois – dévoiler les dysfonctionnements systémiques chroniques du pays : économie dépendante des recettes d’un quart de l’année, système sanitaire insuffisant et non renforcé, système éducatif mal organisé, insuffisance des politiques sociales, non séparation de l’Église et de l’État avec ce que cela signifie  – et aussi surréaliste que cela puisse paraître – en transmission de messages scientifiquement infondés concernant les mesures de prévention face au virus, etc. Cette pandémie arrive, sans transition, frapper le talon d’Achille d’un pays qui était en train de faire ses premiers pas vers une période plus prospère. La Grèce redevient ainsi le « cas d’étude européen par excellence », car l’on s’attend ici à un crise économique importante en hiver. Le défi à relever pour le gouvernement de droite néolibérale grec est difficile.

Première vague Les pays de l’Est de l’Europe et les Balkans s’en sont mieux sortis que les autres, mais ceci n’est pas uniquement dû aux réactions des gouvernements et des peuples concernés1. Le retard économique de la Grèce plus particulièrement et le niveau très bas d’activités internationales en hiver expliquent en partie la faible diffusion du virus avant la prise des mesures2. Mais même si les chiffres sont positifs concernant la première vague du Covid-19 en Grèce (9 800 cas jusqu’au moment de l’écriture de cet article et 260 morts « seulement » pour dix millions d’habitants), cela n’est guère rassurant concernant l’économie du pays, ses politiques sociales, ou encore sa capacité à gérer l’éventuelle seconde vague attendue dans les mois qui viennent.

Le tourisme n’est plus la seule « valeur sûre » Quand plus du quart du PIB d’un pays est basé sur l’activité touristique (en incluant les revenus directs et indirects), et que 85 pour cent des recettes de cette activité proviennent du troisième trimestre de l’année, la dépendance des mois de juillet à septembre est évidente. Or, les estimations actuelles disent que l’activité touristique grecque en 2020 est entre dix et quinze pour cent de ce qu’elle était en 2019. Ce qui signifie qu’une très grande partie de la population ignore comment elle va tenir l’hiver.

Politiques sociales : faibles Des mesures de soutien ont été prises pour les entreprises et leurs salariés, mais pour ce qui concerne les maillons les plus fragiles de la société (réfugiés, prisonniers et artistes) : ils sont laissés pour compte. Les deux premières catégories ont été enfermées dans leurs camps et prisons, sans désinfections appropriées, sans assez de personnel pour assurer le bon fonctionnement des structures et sans aucune prise de mesures réelles assurant la sécurité de ces milliers de personnes. Pour ce qui concerne la culture : le gouvernement a jusqu’à présent, et contrairement aux autres gouvernements européens, ignoré la grande majorité des artistes, musiciens, acteurs et professionnels du spectacle qui sont sans revenus depuis le mois de février3.

Batailles à mener Cet été qui n’a pas vu les hordes de touristes habituelles, et pas non plus de panygiria4, de théâtres et de concerts sous les étoiles, où les bars et les restaurants ferment à minuit (et les Grecs sont des oiseaux de la nuit), cet été de la distanciation sociale, de l’étrangéité et de la peur de l’« Autre », l’été où l’on n’a pas pu prendre ses amis dans ses bras (et le peuple grec est un peuple très tactile), été de l’enfermement, de l’annulation, de la peur pour ce qui advient, est un été qui s’éteint sur les couleurs de l’incertitude et non de l’insouciance. Le peuple grec va devoir se battre dans des eaux troubles pour une santé publique bien trop faible5, pour un système éducatif qui va devoir fonctionner même avec un éventuel deuxième lockdown et alors que les familles qui ont un ordinateur par enfant sont peu nombreuses, pour ces milliers de personnes qui n’ont pas été payées depuis des mois, et alors que le voisinage turc dans la mer Égée menace et que l’Europe hésite à prendre position…

1 En Belgique, le lockdown a commencé le 17 mars et en Grèce le 23 mars ; les chiffres que nous avons actuellement sont 560 morts/million d’habitants pour le premier pays et douze pour le second.

2 Les 18 millions de voyageurs qui passent par l’aéroport d’Athènes par an ne viennent ni en janvier ni en février…

3 Un petit pourcentage de ces professionnels a reçu une aide unique de 800 euros et des discussions sont actuellement en cours entre les syndicats d’artistes et le ministère de la Culture.

4 Les fêtes traditionnelles, de provenance dionysiaque, où l’on danse tous ensemble âges et styles confondus des danses traditionnelles jusqu’au petit matin et qui sont des moments caractéristiques de l’été grec ont évidemment été toutes annulées.

5 Le test Covid-19 par exemple coûte entre 150 et 250 euros selon les endroits, y compris pour les médecins, et alors que le salaire minimum grec est à 758 euros, ce qui fait de la pandémie aussi une affaire de classes.

Sofia Eliza Bouratsis
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