Chroniques de l’urgence

L’UE recule devant l’obstacle

d'Lëtzebuerger Land du 26.09.2025

Pour l’heure, rien ne semble pouvoir stopper le retour en arrière des politiques climatiques européennes. Au sortir d’un été qui a aligné les désastres et dégâts météorologiques, les ministres de l’environnement, réunis le 18 septembre à Bruxelles, ont solennellement décidé d’entériner le surplace de l’Union. Invités par la Commission à approuver l’objectif d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 90 pour cent d’ici 2040, ce qui aurait mécaniquement impacté les ambitions affichées pour 2035, ils ont préféré botter en touche en adoptant une vague « déclaration d’intention » à porter lors de la COP30, qui commence le 10 novembre à Belém. Certes, parmi les grands acteurs de l’économie mondiale, l’Union européenne reste le plus engagé. Néanmoins, à l’approche de l’Assemblée générale de l’ONU et de cette COP, qui marque les dix ans de l’accord de Paris, elle envoie au reste du monde un signal déplorable, actant sa propre impuissance face au défi le plus fatidique qu’elle ait jamais eu à affronter.

Il ne faut pas chercher bien loin pour comprendre ce qui alimente cette paralysie. Au pouvoir ou aux portes du pouvoir dans une partie des États membres, l’extrême-droite, abonnée au déni, a fait de la dénonciation d’une soi-disante « écologie punitive » un de ses chevaux de bataille. Elle est de plus en plus rejointe sur ce point par les partis de droite et de centre-droit. La tectonique des plaques à l’œuvre en matière d’écologie est désormais celle d’une surenchère du moins-disant. Paris flatte ses agriculteurs, Berlin ses constructeurs automobiles. La France et l’Allemagne, l’historique couple moteur qui a longtemps soutenu les avancées de la Commission, sont à la manœuvre pour détricoter tant les directives existantes que les projets de réglementation, rejoignant d’autres États membres encore plus réticents. Les ministres ont fini par convenir, après d’âpres négociations, d’une fourchette : entre 66,25 et 72,5 pour cent. Un compromis à la fois ridicule (comment justifier qu’une fourchette à dix ans comporte des fractions de pourcentage ?) et procrastinateur (les ministres ne se sont pas accordés au sujet de l’objectif pour 2040).

Pire : face au blocage, la France et l’Allemagne ont proposé de confier aux chefs d’État et de gouvernement, qui doivent se réunir le 23 octobre, le soin de trancher. Une façon de saper encore davantage les chances d’un accord à la hauteur des enjeux, les décisions aux sommets européens se prenant à l’unanimité (au lieu de la majorité qualifiée requise lors des conseils ministériels) en laissant aux pires élèves, comme la Hongrie ou la République tchèque, toute latitude pour mettre à mal une esquisse d’accord.

Ainsi, en ménageant maladroitement la chèvre et le chou, la France et l’Allemagne prennent le risque de faire perdre à l’UE son leadership climatique tout en créant un contexte d’incertitude qui ne peut que négativement impacter les choix des industriels en matière de transition. Les tergiversations politiques sur les objectifs climatiques vont bel et bien se traduire par des retards technologiques et industriels. Céder aux sirènes du climatoscepticisme d’extrême-droite, qu’il soit européen ou américain, est une erreur au regard du climat, mais aussi au regard de l’économie et des indispensables transitions.

Après le discours historiquement stupide de Donald Trump cette semaine à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui a marqué au surligneur grossier le positionnement climatique lamentable de son administration, il convient pour les dirigeants européens de se ressaisir, d’abandonner leurs savantes triangulations et de revendiquer à nouveau avec fierté un rôle de locomotive de l’action climatique. Se cacher derrière les menaces de l’extrême-droite, diluer, reporter, c’est faire le jeu d’un camp nihiliste et misanthrope. Mieux vaut prendre date en assumant sans complexe l’héritage de l’Accord de Paris.

Jean Lasar
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