Agences immobilières

Résidence Acacia VI

d'Lëtzebuerger Land du 17.02.2011

L’activité des agences immobilières a beaucoup changé en dix ans, bien que la profession n’ait toujours pas été règlementée, restant ainsi ouverte au tout venant : de nombreux acteurs « traditionnels » se sont orientés vers la promotion de logements neufs, sans doute plus lucrative, laissant le marché dit secondaire aux nouveaux arrivants, lesquels pour survivre dans un secteur devenu pléthorique (plus de 700 agences ont été recensées au grand-duché) ne doivent pas seulement disposer d’un gros portefeuille de biens à louer ou à vendre, mais aussi avoir une visibilité sur le marché.

En principe, cette visibilité s’acquiert grâce au nom d’un réseau. Mais le Luxembourg est un marché atypique et la plupart des franchises immobilières, de Laforêt à Era en passant par Engel [&] Volkers ou Remax, n’ont pas réussi à imposer leur marque au Luxembourg. La faute à des marges de commission trop étroites (trois pour cent maximum fixés par un règlement grand-ducal de 1972 dont la validité est douteuse) qui ne suffisent pas toujours à rémunérer le réseau pour l’intendance qu’il est censé apporter ? Toujours est-il que l’activité des agences immobilières est surtout le fait d’entreprises indépendantes, dotées de structures légères en ressources humaines, avec une base de clientèle essentiellement étrangère qui ignore souvent tout des ressorts du marché luxembourgeois et encore davantage ses prix. Ce qui contribue sans doute, même si ce n’est pas là la principale raison, à la dérive des prix de l’immobilier au grand-duché. La clientèle crédule et souvent fortunée, provenant la plupart du temps de grandes capitales européennes où les prix sont ­similaires à ce qui se pratique au Luxembourg, accepte sans trop de mal les offres de logement qui lui sont présentées et qui ne sont pas légion dans la gamme du résidentiel de « haut standing », sauf à choisir d’habiter dans des logements neufs.

Pour exister et avoir sa part du gâteau, il faut se faire voir : telle est la stratégie poursuivie par la jeune agence Yous Real Estate Group dirigée par Luc Schuller, qui fait un arrosage systématique d’annonces immobilières dans la presse écrite, luxembourgeoise et étrangère. Yous fait de l’immobilier comme on fait de la banque privée, aime à dire son patron Luc Schuller. Le mandat de l’agent ne serait donc pas très éloigné du mandat de gestion privée. Probablement parce que l’homme vient lui-même de la banque et qu’il en a importé certaines méthodes pour une clientèle haut de gamme à un tiers étrangère. Dans l’agence, on parle même le russe, bien que la clientèle russophone se fasse plutôt rare ces derniers mois. C’est aussi Yous qui a contribué à la création d’une rubrique consacrée au Luxembourg dans la célèbre revue Propriétés de France, spécialisée dans les logements luxueux.

En tapant dans cette gamme avec un forcing sur le marketing (2 500 à 2 600 visites par jour sur le site Internet), ce qui est nouveau sur le marché, Luc Schuller vise les clients fortunés qui cherchent à vendre ou à acheter dans la discrétion : « Ils ne souhaitent pas toujours par exemple que leur maison s’affiche sur Athome.lu », explique-t-il dans un entretien au Land. La « méthode » Yous, proposant à ses clients une mise en évidence de leurs biens en les présentant comme la « propriété de la semaine », porte assez bien ses fruits : les propriétés se vendent généralement au bout de quelques jours, si tant est que leur prix est en rapport avec le marché.

Fini le temps où les agents immobiliers attendaient le client qui signait les yeux fermés un mandat de vente exclusif qui le liait à une agence pendant au moins six mois, avec des clauses parfois pas très nettes, poussant l’agence à réclamer le remboursement de certains frais s’il n’était pas parvenu à écouler le bien dans les délais requis.

On ne fait plus d’immobilier sur une table d’un café (en tout cas moins), à guetter la moindre parole d’un agriculteur désireux de céder une parcelle de terrain et une maison héritée. Les commerciaux du secteur immobilier se lèvent tôt pour être les premiers à éplucher les petites annonces des journaux à l’affût de nouvelles offres, pour l’essentiel de particuliers qui croient pouvoir se passer des services d’un intermédiaire.

« Dans 90 pour cent des cas, et même si l’annonce précise que les agences doivent s’abstenir, ceux qui appellent à la suite d’une annonce d’un particulier sont des profes­sionnels à la recherche d’un mandat », explique Paul Fabeck, le fondateur et patron de Bricks Real Estate Solution. Depuis plus de dix ans dans le métier, il en connaît toutes les ficelles et en dénonce aussi certaines pratiques, comme celle de ses concurrents de « repiquer » sans en avoir le mandat des annonces immobilières sur des sites spécialisés (avec une position quasi monopolistique du portail Athome.lu). Ce qui pousse d’ailleurs souvent les agences à ne plus mettre sur ces portails que des photos d’intérieur en évitant soigneusement d’y faire figurer des façades et surtout des indications de rue susceptibles de localiser le bien commercialisé.

Les nouveaux venus de la profession immobilière, et qui ne l’exercent pas à titre accessoire, sont rarement affiliés à la Chambre immobilière. L’organisation professionnelle, qui regroupe environ 150 membres, a perdu de sa représentativité. « Ce sont souvent des vieux de la vieille qui se serrent les coudes pour protéger leur marché », déplore un professionnel qui ne souhaite pas être nommé. Pour lui, l’immobilier est un des rares secteurs de l’économie luxembourgeois qui échappe encore à la logique de la qualité de service. Pour combien de temps encore ?

Véronique Poujol
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