Technologies de l’information

La revanche des geeks

d'Lëtzebuerger Land du 22.03.2013

Tant qu’il n’était question que de calculateurs, de bits et de bytes, d’Algol et de Cobol, de C++ et de C#, d’assembleur et de compilateur, il y avait une certaine logique à ce que seuls les informaticiens s’occupent d’informatique. Mais depuis qu’on parle de « technologies de l’information et de la communication», est-il vraiment raisonnable de confier la communication à ce genre d’individu ?

Même le commun des mortels (comprendre, les non-abonnés à disque-dur magazine) a pu se faire une idée de cette frange particulière de la population à travers les usual geeks, que l’on croise désormais aux machines à café de toutes les entreprises, voire dans tous les repas de famille. Les icônes des informaticiens, qui ont atteint un statut de star planétaire, nous en disent également assez long sur leur compte. Kim Dotcom, fondateur de Mégaupload.com, ou Julian Assange, fondateur de Wikileaks qui campe depuis l’été dernier dans l’ambassade de l’Équateur à Londres, incarnent le côté bad boys. Bill Gates serait le tonton qui a réussi. Steve Jobs le père spirituel. Ils ont de drôles de look, personne n’a vraiment envie de leur ressembler et, pourtant, ce sont des pionniers, des héros, des aventuriers. On se rappelle que, quand on avait quatorze ans, il y avait dans chaque classe un garçon boutonneux dont tout le monde se moquait. Et l’on se dit que lui aussi, dans une moindre mesure, est peut-être aujourd’hui devenu une sorte de sous-Mark Zuckerberg ou de pseudo Jeff Bezos. Comment des vilains petits canards à qui personne n’adressait la parole ont-ils pu devenir des spécialistes des technologies de l’information ? En tout cas, ils ont bien caché leur jeu, pendant toutes ces années.

En 2000, ils nous ont fait croire que tout le monde pouvait créer une start-up et devenir millionnaire. En 2003, que tout le monde pouvait créer un blog et devenir écrivain. En 2005, que tout le monde pouvait créer un compte MySpace et devenir une star planétaire. En 2007, que tout le monde pouvait avoir des centaines d’amis sur Facebook. En 2010, que tout le monde pouvait faire fortune en créant des applications pour iPhone. En 2012, que tout le monde pouvait avoir une audience planétaire en postant des messages sur Twitter.

Résultat des courses : tout le monde s’est mis à passer autant de temps sur un ordinateur que les véritables informaticiens. Pour un résultat qui fait froid dans le dos. Les sites Internet les plus visités au monde, selon le classement du site Alexa, référence en la matière, peuvent se répartir en trois catégories : les moteurs de recherche et les portails, qui ne fournissent rien d’autre que ce que les autres sites mettent à disposition (Google, Baidu, Yahoo, Windows Live, Ask), les sites alimentés directement par leurs utilisateurs (Facebook, Twitter, YouTube, Wikipedia, Flickr, Tumblr, Pinterest) et les sites marchands (Amazon, e-Bay, Craigslist). Ce ne sont pas à proprement parler des médias, mais plutôt des plateformes, des supports interactifs, des tuyaux.

Les premiers fournisseurs de contenus originaux sont Babylon (traduction et dictionnaire : 33° site le plus visité au monde), IMDb (base de données sur les films : 50° site le plus visité au monde), et évidemment quelques sites pornos. Côté « grands éditeurs » CNN.com n’arrive qu’en 76° position, le New York Times en 124° position. Chez les « born digital », rien de plus glorieux, The Huffington Post n’est qu’en 99° position. En France, l’excellent Slate.fr se classe péniblement 394°. Rue89.com fait un peu mieux en étant 154°, loin derrière lemonde.fr, qui pointe en 28°. Au Luxembourg, les premiers locaux sont RTL.lu en 11° position et lessentiel.lu en 13° position. Le site du Wort n’arrive que 15° et Paperjam 66°.

Ce n’est pas la presse qu’Internet a tué. C’est le temps libre. Les gens préfèrent lire le statut Facebook du cousin Kevin, les tweets de Lady Gaga, des articles sur jeuxvideo.com ou les petites annonces sur athome.lu plutôt que de s’informer. C’est tout…

Cyril B.
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