The Road

Froid dans le dos

d'Lëtzebuerger Land du 03.02.2012

Sylvia Camarda, danseuse et chorégraphe, avait reçu lors de la clôture du Danz Festival Lëtzebuerg 2011 le premier Lëtzebuerger Danzpräis. Peu surprenant au vu de sa carrière nationale et internationale et de son travail avec des grands noms de la danse : le Ballet C. de la B, le Cirque du Soleil, Jan Fabre. Après Amerika du bist so wunderbar, commandée en 2008 par le Théâtre national du Luxembourg, elle revient dans ce lieu avec How do they know that they are the last humans on earth ?, création théâtre-danse inspirée du roman post-apocalyptique The Road de Cormac McCarthy, qui avait remporté en 2007 le Prix Pulitzer et fut adapté au cinéma par John Hillcoat. L’adaptation scénique de Sylvia Camarda, produite par le Théâtre national du Luxembourg et sa propre compagne, Missdeluxedanceco, constitue le second volet d’une trilogie sur la fin du monde dont le premier volet, 3012, a été créé en 2009 pour l’Opernhaus de Magdebourg avec douze danseurs.

Un père et un fils, survivants d’un cataclysme planétaire, luttent pour leur subsistance. Évitant voleurs, tueurs et cannibales qui rôdent, ils parcourent à pied un long trajet vers le sud du pays, en quête de cieux plus cléments. Dans ses rêves, l’homme revoit sa tendre épouse, qui a préféré se laisser mourir. Ils parviennent à trouver des denrées dans un abri antinucléaire et un nouveau drame survient alors que l’espoir renaissait.

Le décor gris et noir est très minimaliste, les dialogues inexistants, tout est dans le silence de l’angoisse et dans la suggestion de la mort qui rôde. Sylvia Camarda apparaît la première sur scène, grimée en bête de sang et de cendres, évoquant cette apocalypse et tous les excès de violence de ce monde ténébreux. La danseuse évolue par apparitions très physiques avec deux comédiens, Hervé Sogne (le père) et Joe Jakobi (le fils), dans un espace sonore de Steve Kaspar. Synthétisant en quelques scènes fondatrices de l’histoire, la chorégraphe confectionne dans un temps idéal sa vision du roman dans une humanité peu réjouissante. Le rythme de la pièce est lent et reflète le poids de l’expérience humaine qui se déroule devant nos yeux. Poussant devant eux un caddie d’objets hétéro-clites, ils sont à l’affût du danger. Leur perception de la peur et ses conséquences physiologiques et psychologiques sont saisissantes.

Sortant manifestement de sa zone de confort habituel de création aux tendances plus volubiles, le pari est tout de même réussi. Si le début laisse entrevoir un risque de redondance dans le jeu des acteurs et de la mise en scène, la pièce s’écarte rapidement de cet écueil. En effet, certes le père et le fils poussent et repoussent un caddie contenant des objets divers, mais au-delà de ce mouvement répétitif, la relation qui s’instaure entre eux est émotion-nellement ressentie.

Le duo père-fils, vêtus comme sur l’affiche du film, sont soumis à cette obligation de résultat qui est celle de survivre et ce n’est pas sans rappeler l’univers de Terry Gilliam dans Fisher King (avec Robin Williams et Jeff Bridges). Seconde apparition de la danseuse dans l’évocation de l’épouse décédée. La scénographie s’articule bien et tout au long de ce théâtre physique, il y a une très bonne complémentarité entre le geste, les jeux de lumière et la musique. Cette agonie lente d’un père et de son fils dans cette ambiance très réaliste et leurs terreurs nocturnes sur l’incompréhension de ce qui a pu se passer et de ce qui va leur arriver constitue un crescendo dans l’angoisse. La mort prédatrice aura raison du père. Le fils dernier survivant sera donc une proie facile …exposé à la solitude et à la peur de l’inconnu.

Emmanuelle Ragot
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