Prix luxembourgeois de l'Architecture 2004

Qui a peur de l'architecture?

d'Lëtzebuerger Land vom 16.12.2004

On dirait que nos architectes doutent d'eux-mêmes, si on se réfère au titre de la conférence qu'ils organiseront le 20 janvier prochain et qui s'intitule «Qui a peur des architectes?». À voir pourtant le nombre de grues qui hérissent les chantiers à travers le pays (et ce n'est pas fini), ils n'ont rien à craindre. Quant à quels types de projets sont allés hier les Prix luxembourgeois d'architecture, via les mains du ministre de la Culture, François Biltgen, sur les cinq prix attribués, quatre l'ont été à des oeuvres commanditées par la maîtrise d'ouvrage publique. La profession, en quête de «reconnaissance culturelle», n'a donc en tout cas pas à se plaindre d'un manque de confiance de la maîtrise d'ouvrage publique. Aussi s'agace-t-on de la petit phrase chauvine mentionnant chez nous «la présence de grands noms de l'architecture internationale» (entendez concurrence) qui revient  de manière récurrente dans le discours de Bohdan Paczowski, président de la Fondation de l'architecture. Mais avant de clore ce débat à notre sens sans fondement et sans fin - le phénomène de l'internationalisation de l'architecture est mondial et tous les pays peuvent en dire autant quant à la proportion de projets d'ailleurs minimes en pourcentage des productions générales par pays construits sur les sols nationaux respectifs par des non autochtones -, on relèvera en tout cas que ce discours stimule les activités et manifestations organisées ces derniers temps et dans l'avenir proche par la Fondation de l'architecture et de l'ongénierie ! En vue de mieux se faire connaître et leur production de qualité auprès du grand public, il semblerait que «l'épouventail» qu'est cette contribution étrangère aux grands projets (la Salle philharmonique, la Cour de Justice des Communautés Européennes respectivement signées Christian de Portzamparc et Dominique Perrault) a le mérite d'être un véritable aiguillon ! Or, 36 agences d'architecture ont en tout présenté 54 réalisations à l'édition 2004 du Prix luxembourgeois d'architecture. Parmi lesquelles un nombre conséquent, il est vrai de maisons particulières, soit des «petits» projets. On aimerait toutefois et en toute bonne foi à ce sujet, pouvoir comparer le nombre de personnes qui, dans les pays voisins, ont les moyens de se faire construire une «maison d'architecte», soit l'équivalent d'un costume sur mesure confectionné par un tailleur ! Parmi ces 18 home sweet homes personnalisés luxembourgeois présentés au jury, c'est Nico Steinmetz et Xavier de Meyer qui ont remporté la palme. Deux jeunes femmes se sont vu par ailleurs attribuer une mention : Anouck Thill et Claudine Arend (Agence A+T) pour les columbariums des cimetières de Soleuvre et Belvaux. À prendre le sujet par ce bout de la lorgnette, on remarquera qu'au Grand-Duché, le nombre d'architectes femmes, menant en association ou seules des agences est assez impressionnant pour un milieu réputé plutôt macho, sans parler de la réelle difficulté de s'imposer sur un chantier. Ainsi d'Arlette Schneiders, qui a remporté le prix de l'urbanisme pour l'aménagement de l'îlot B de la Vieille Ville, rue de la Boucherie. Si l'envergure de ce projet initié par le Fonds de rénovation de la Vieille Ville est indéniable, on regrettera personnellement que l'architecte ne se soit pas vu attribuer un prix pour un deuxième projet qu'elle présentait : l'école préscolaire et primaire de Mühlenbach, dont on ne se lassera pas de mentionner pour notre part la finesse de l'insertion dans le site et qui donc, entrait dans la même catégorie. D'autant plus que - le prix n'ayant lieu que tous les trois ans - l'incontournable Musée national d'histoire et d'art de l'agence Christian Bauer et associés (pourquoi n'a-t-elle  pas présenté aussi la très belle réalisation pour le bureau d'ingénierie Jean Schmit avenue Gaston Diderich à Luxembourg?), situé dans le même quartier et ayant le même maître d'ouvrage, s'est vu attribuer le prix dans la catégorie «Bâtiments publics». En avait-il réellement besoin, le «mur aveugle en guise de pignon sur rue» du musée du Fëschmaart qui a fait son chemin depuis son inauguration voici deux ans dans l'esprit des plus réticents à l'époque du chantier, confirmant, s'il besoin en est, la stature d'un de nos ténors de la profession. On s'arrêtera donc plus volontiers sur la mention qui est allée - mais oui - à une oeuvre luxembourgeoise à l'étranger, avec la tour-belvédère sculpturale réalisée par l'agence Hermann [&] Valentiny pour la Landesgartenschau à Trèves et surtout, sur nos deux «chouchous», personnels et de la rédaction culturelle du Land : le château d'eau de l'agence Georges Reuter architecte, édifié à Koerich dans la catégorie «Équipement» (Syndicat des eaux du Sud, maître d'ouvrage) et le Centre de Conférence provisoire construit pour les délégations des pays membres de l'UE sur le site de LuxExpo au Kirchberg, par l'agence d'architecture et de design Jim Clemes (catégorie «Lieux de travail»). On aime la simplicité volumétrique du premier et la transposition, pour le coup réussie de l'une de nos «références nationales» le paysage agricole, via la forme de la meule de foin transposée au langage architectural du matériau contemporain qu'est la tôle d'aluminium. Du second, on retiendra la connotation effectivement temporaire (les délégations européennes utilisent cette structure en bois trois mois par an), modulaire (il sera un jour démonté comme un meccano). Sans doute son auteur, connaissant son engouement pour l'art contemporain, a-t-il aussi pensé à franchir les limites du stricte et trop souvent hermétique langage architectural pour le commun des mortels. On retrouve cette plasticité, parlante, dans l'enveloppe en caoutchouc «bibendum» matelassée noir, un tantinet provocatrice il est vrai, car étonnante d'innovation. Nos habitudes de «bon goût» pour le moins en prennent un coup, et c'est tant mieux, au pays des... toits d'ardoise, noire.

Les projets lauréats du Prix luxembourgeois d'architecture 2004 seront exposés à la Banque de Luxembourg, 41 avenue Kennedy à Luxembourg-Kirchberg à partir d'aujourd'hui et jusqu'au 29 janvier 2005. Heures d'ouverture : de 9 à 18 heures en semaine et de midi à 18 heures le samedi. Des visites guidées des projets lauréats auront lieu en bus les samedis 18 décembre 2004, 15 et 22 janvier 2005 ; départ devant la Banque de Luxembourg à 14.30 heures. Inscription souhaitée au fax 42 75 56 ou par e-mail à office@fondarch.lu. Visites guidées de l'exposition les samedis 8 et 29 janvier à 14.30 heures et sur rendez-vous. Informations au 42 75 55 ou par e-mail à office@fondarch.lu. La conférence «Qui a peur des architectes?» aura lieu le 20 janvier 2005 à 19.30 heures à la Banque de Luxembourg, agence Kirchberg.

Marianne Brausch
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