Édito

Road rage

d'Lëtzebuerger Land du 10.03.2023

Trois vies ont été fauchées lundi matin dans un accident de la route à Neudorf. Une autre personne est grièvement blessée. Le bilan humain suggère une violence rare en zone urbaine où la vitesse est normalement limitée à cinquante km/h. Selon les rapports médiatiques et après confirmation de la police, une voiture engagée dans le dépassement d’une série de véhicules alignés derrière un bus à l’arrêt a percuté l’automobiliste qui a lui aussi entrepris de doubler l’autobus. Après l’impact, la voiture qui arrivait de derrière a terminé sa course dans un immeuble. Les deux occupants du véhicule sont décédés. L’autre voiture a heurté les véhicules stationnés en face et son conducteur a été hospitalisé. Une passante a été heurtée. Elle est décédée. Les photos publiées sur RTL révèlent la violence du choc  : un mur en pierre éboulé ou encore un impact à trois mètres de hauteur sur la façade.

Dans la soirée de lundi, sur Facebook, l’échevin CSV Serge Wilmes a reproché avec une certaine virulence le tweet publié (et retiré depuis) quelques heures plus tôt par une « Kandidatin vun de Stater Gréngen », lui reprochant de faire de la politique sur un événement tragique « plutôt que de laisser la police et le parquet faire leur travail ». Laure Huberty, puisqu’il s’agit d’elle, avait écrit : « Et ass eng Saach vun politesche Wëllen, dësen Accident ass en trauregt Beispill vun toleréiertem #trafficcrime ». Chacun se fera un avis sur la mauvaise foi de l’une ou l’autre partie. Il n’en reste pas moins que ce tragique événement doit rouvrir le débat sur la sécurité routière, un débat éminemment politique.

Les partenaires de coalition de Serge Wilmes ne s’en privent pas. Mercredi, l’échevin à la Mobilité, Patrick Goldschmidt, a informé de sa volonté de généraliser la limitation de la vitesse à 30 km/h et de faire des 50km/h une exception. Cocasse. Plusieurs fois ces dernières années, l’opposition (et à commencer par Déi Lénk) avait proposé une telle mesure. La coalition DP-CSV l’avait rejetée prétextant avoir déjà agi en ce sens tout en gonflant artificiellement les statistiques de rues à 30 km/h. En juillet 2020, lors d’un débat sur la mobilité à Luxembourg-Ville, l’élue CSV Elisabeth Margue avait ajouté ne pas trop y croire, que des études montraient « que les automobilistes ne respectent pas la limite de vitesse si la zone 30 km/h est trop longue ».

Dans la même coalition, depuis plusieurs mois, l’échevin aux Finances, Laurent Mosar (CSV) pointe du doigt un combat culturel contre l’automobile :« Dieser Kulturkampf, der gegen das Auto geführt wird, geht mir sowas von auf den Senkel », écrivait-il le weekend dernier. Le député chrétien-social a une certaine audience en la matière sur Twitter et surfe dessus. Il épingle ainsi un tweet auréolé de 4 362 likes, 573 retweets et 1 040 réactions : « Kann mir bitte jemand erklären wie man 2035 25-30 Millionen E-Autos aufladen wird, ohne Atomkraft und Kohle ? ». Ces doutes exprimés envers les politiques publiques de mobilité durable sont souvent associés à la stigmatisation des partis écologistes. Ils alimentent une véhémence visible sur les réseaux sociaux et se traduisent par des tensions entre les usagers de la route, parfois des comportements dangereux. Or, la vulnérabilité des piétons et cyclistes est bien supérieure à celle de l’automobiliste. Cette vulnérabilité a été maintes fois rappelée ces dernières années lors des débats sur l’amélioration des infrastructures, qu’il s’agisse de pistes cyclables mais aussi de passages piétons, et il est tout à fait compréhensible que certains posent la question de la responsabilité morale quand ils sont quotidiennement mis en danger. Sur Twitter, un Américain vivant au Grand-Duché dresse un parallèle entre la gun culture et certains automobilistes qui voient en la voiture le symbole d’une liberté aliénée. Sensibilisons aux dangers de la route. Débattons sereinement de la place que doivent prendre les différents outils de mobilité dans l’espace urbain avec pour impératifs partagé la sécurité de tous et la protection de l’environnement.

Pour ce qui touche aux causes de l’accident de lundi, il appartiendra au ministre des Transports de décider de leur publicité, s’il devait penser qu’elles justifieraient l’une ou l’autre mesure de sécurité routière. A priori, personne ne fera l’objet d’un procès.

Pierre Sorlut
© 2023 d’Lëtzebuerger Land