Chronique de l’urgence

Rail et charbon, l’alliance du déni

d'Lëtzebuerger Land du 20.12.2019

Le charbon, le pire des combustibles fossiles, a de beaux jours devant lui en Asie. C’est ce que dont nous a doctement informés il y a quelques jours l’Agence Internationale de l’Énergie, fidèle à son habitude de reproduire pratiquement comme un perroquet les prévisions des entreprises d’énergies fossiles tout en faisant fi de ses propres avertissements sur l’urgence de stopper les émissions de gaz à effet de serre. L’agence prédit que l’Inde, l’Indonésie et le Vietnam vont continuer de compter sur le charbon pour soutenir leur croissance économique, créant une « demande robuste » pour l’or noir. Elle précise que la tendance globale dépendra en définitive de la Chine, qui, tout en misant sur les renouvelables et le nucléaire, produit et consomme la moitié du charbon mondial. Résultat probable : une consommation à peu près stable de la ressource au plan global pour les cinq prochaines années. Une perspective qui n’aura pas échappé à l’Australie, gros exportateur et saboteur en chef de la COP25. 

Dans ce contexte des plus sombres, une étude menée à l’Université Drexel et évoquée par Meyer Robinson, du mensuel The Atlantic, révèle qu’il existe en Amérique du Nord, depuis des lustres, une alliance mortifère entre entreprises charbonnières et ferroviaires, qui se retrouvent pour nier en chœur l’existence du réchauffement d’origine humaine. De quoi surprendre les Européens, habitués à voir dans le rail un moyen de transport vertueux tant pour les passagers que pour le fret. Or, outre-Atlantique, les entreprises de fret ferroviaire tirent un tiers de leur chiffre d’affaires du transport de charbon. Il ne faut pas chercher plus loin. 

L’étude conclut que les quatre plus gros opérateurs étatsuniens de fret ferroviaire, BNSF Railway, Norfolk Southern, Union Pacific et CSX, ont joué un rôle central dans les efforts pour mettre en doute l’existence du changement climatique. Ils ont participé à des campagnes orchestrées contre des scientifiques, semé le doute sur le consensus scientifique et rejeté les rapports du GIEC, allouant des dizaines de millions de dollars à cet effort de désinformation. Tout cela en se vantant, dans leurs campagnes de publicité, de représenter l’alternative verte en matière de transport. « Nous sommes à présent en mesure d’identifier les entreprises ferroviaires comme un élément intégral d’opposition à l’action climatique », dit Robert Brulle, professeur de sociologie et de science environnementale à l’université Drexel.  Un de ses auteurs explique que l’Association of American Railroads a participé, au cours des trois dernières décennies, à « huit des groupes-paravents les plus efficaces, régressifs au point d’être toxiques et pratiquant un déni du changement climatique véritablement pernicieux ».

Non seulement nous sommes loin d’être sortis de l’auberge, mais il nous reste à découvrir et à dénoncer toutes sortes de connivences climaticides.

Jean Lasar
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